L’enjeu aérien
Le développement des nouvelles capacités aériennes afaitl' objet d'intenses man oeuvres politico industrielle s cette dernière année. Pour preuve, le récent Salon du Bourget a été l'occasion de formaliser en bonne et due forme la coopération entre la France, l'allemagne et l'espagne par un accord-cadre qui devient légalement contraignant. Le programme est donc officiellement lancé et s'accompagne d'accords sur la répartition des tâches entre Safran et MTU (sur la motorisation), sur la question de la propriété intellectuelle ou encore sur la présentation de la proposition industrielle commune par Dassault et Airbus aux gouvernements concernés. Des étapes importantes ont donc été franchies. Plus symboliquement, on a pu assister au dévoilement de la maquette du NGF (New Generation Fighter) et de plusieurs types de Remote Carriers (RC), des effecteurs déportés devant accompagner les appareils en tant que « remorques à munitions » ou systèmes de soutien et de leurrage. On note d'ailleurs que les arbitrages entre MBDA et Airbus, qui proposent tous deux leurs solutions, n'ont pas encore été faits. Dans le même temps, les systèmes présentés se complètent plus qu'ils ne s'opposent.
NGF et RC ne représentent cependant que deux des trois composantes du SCAF, avec l'air Combat Cloud (ACC) qui devra permettre le partage en temps réel des informations. C'est sans doute le chantier le plus important. Outre qu'il doit assurer ses missions de façon fiable y compris en cas de forte o pp ositioncy be r électronique ennemie, il doit également offrir une double interopérabilité, tout en laissant la possibilité de travailler seul lorsqu'il le faut, en conservant une souveraineté sur les données, mais aussi en étant ouvert aux mises à jour. C'est certes le cas avec les alliés des pays participant au programme. Mais ce l'est également avec les forces terrestres et navales, nationales comme, éventuellement, celles des alliés. Ce qui nécessite, par exemple, des passerelles permettant à un chef de véhicule Griffon ou Jaguar de « plotter » une cible sur une carte avec recopie en temps réel au pilote de NGF pour traitement. Par ailleurs, plusieurs industriels se positionnent également à la périphérie immédiate du programme comme de celui du Rafale F 4, à commencer par MBDA, sur la question des munitions( voirp.22).Àbi en des égards donc, le SCAF va devenir le programme structurant de l'évolution des armées françaises et allemandes dans les prochaines années.
Le chantier est donc immense. Il est cependant mené tambour battant. Ainsi, Dassault attend la
notification de la réalisation d'un démonstrateur pour le dernier trimestre de cette année. Commencera alors une phase de démonstration qui durera jusqu'en 2021. Suivra la construction d'un démonstrateur dont le premier vol interviendrait en 2026. Au terme du développement du système, le SCAF entrerait en service à partir de 2040. En tout état de cause, les armées de l'air concernées ont déjà travaillé sur le sujet, avec une convergence des attentes… qui devrait aider considérablement dans la toujours délicate rédaction du cahier des charges. En tout état de cause, la modularité même de la démarche est en soi un facteur facilitateur en cas de changements d'approches politiques…
Outre-manche, le concurrent direct du SCAF semble moins bien parti. Après son lancement durant le salon de Farnborough en juillet 2018, les progrès ne sont pas légion. Le projet Mosquito, également appelé LANCA (Lightweight Affordable Novel Combat Aircraft), qui porte sur les effecteurs déportés, a vu la sélection de trois équipes qui concourront pour la réalisation d'un démonstrateur : Blue Bear, Boeing et Black Dawn (qui regroupe Bombardier Aerospace et Northrop Grumman UK). Mais la question de son financement reste posée. La Suède a cependant annoncé un partenariat et a signé un accord de principe, le 19 juillet, avec Londres. Cependant, Saab ne rejoint pas l'équipe industrielle comprenant actuellement BAE Systems et Leonardo UK et la communication suédoise est prudente. Pour Stockholm, l'accord est « le point de départ […] pour analyser les conditions d’une coopération plus profonde dans le développement des capacités futures des appareils de combat ». En d'autres termes, Stockholm officialise ses discussions avec Londres, mais ne s'engage pas. Pour le programme, semblable à celui du SCAF en termes d'ambition, la pierre d'achoppement principale reste le financement, dans un contexte où le budget de défense britannique n'augmente pas sensiblement et ne permet déjà pas à lui seul de résorber l'actuelle « bosse budgétaire ». Le SCAF pourrait représenter plus de 70 milliards d'euros ; on mesure donc ce qui attend Londres…
Un, ou deux programmes européens ? Un an après l'annonce du Tempest, la question reste posée : le système britannique est-il une manoeuvre destinée à positionner favorablement Londres (et ses éventuels partenaires) dans des négociations visant in fine à une fusion avec le SCAF ? En mars 2019, le think tank italien IAI recommandait ainsi à l'italie de rejoindre le Tempest puis, une fois associée, de faire pression sur Londres afin que le programme soit fusionné avec celui du SCAF. Il s'agirait ainsi de contourner la définition des besoins, essentiellement franco-allemande et cadrée d'une manière considérée par Rome comme trop rigide. Le même type de raisonnement pourrait être adopté par d'autres pays (outre la Suède, la Belgique ou encore les Pays-bas qui semblent réfléchir à leur puissance aérienne post-2035). Un choix sera donc peut-être à faire entre la plus grande inclusivité politique possible et une efficacité programmatique et budgétaire qui repose sur des choix réalistes, stratégiquement motivés et effectués en amont de la conception. •