L’armée nationale somalienne à un tournant
Alors que la situation paraît bloquée en Somalie, dont la sécurité dépend essentiellement de L'AMISOM, et que les institutions fédérales fonctionnent mal ou sont invisibles, une conférence se tient en mai 2017 à Londres. Elle réunit les principaux acteurs somaliens de la sécurité ainsi que leurs soutiens étrangers. L'enjeu est simple : redéfinir le partenariat « pour la paix, la stabilité et la sécurité ». Une feuille de route formalise les constats et décisions qui découlent de cette conférence. Cependant, les objectifs de ce qui s'apparente à une nouvelle réforme du secteur de la sécurité sont trop ambitieux au regard du contexte et des lacunes (1) des forces gouvernementales. À peine un an plus tard, le principe du retrait de L'AMISOM dans des délais donnés se transforme en dogme péremptoire. Désireux de donner des gages de bonne volonté, le Conseil des ministres somalien adopte un plan de transition sécuritaire le 19 avril 2018, que valide l'union africaine le 30 avril.
Si dans le courant des années 2011-2014, L'AMISOM prend l'ascendant sur les Shebab et que certains espoirs d'amélioration s'affermissent, cette période n'aboutit finalement qu'à une stagnation que savent mettre à profit les djihadistes. Depuis 2011, un temps considérable a été perdu, tant pour la sécurisation de la Somalie que pour l'édification cohérente de ses forces (2). Les efforts ont été dispersés par manque de coordination entre les soutiens étrangers. La corruption à tous les niveaux de la société somalienne (3), elle-même fragmentée par ses spécificités claniques, a exacerbé le gaspillage des res
sources. Tout est à construire dans un contexte de violences dont les Shebab sont les premiers responsables (4). Ils ne sont pas les seuls. En 2016, au moins 150 groupes armés de nature clanique étaient ainsi identifiés dans le pays, ce qui doit notamment au développement des milices de clans, soit une centaine en 2017 (5). Trois desdits clans sont particulièrement impliqués dans des exactions et du brigandage n'ayant rien à envier aux Shebab : les Habar Gedir, les Jejele et les Darood (sous-clan des Marehan). À cela s'ajoutent les tensions entre communautés, elles-mêmes enchevêtrées dans le phénomène clanique, pour le contrôle des terres fertiles et de l'eau. Le défi de la construction de la Somali National Army (SNA) est donc considérable et incompatible avec le calendrier de retrait de L'AMISOM.
Organisation et armement
D'après un audit de 2017, l'operational Readiness Assessment (ORA), la SNA aligne environ 22 000 hommes dans quatre des cinq régions-états du pays (6), dont 10 900 opérant avec L'AMISOM. Dans les faits, selon les sources, ce total est estimé, au pire, à seulement 10 000 hommes et, au mieux, à 16 000. La confusion s'explique essentiellement par des unités dont les effectifs sont très inférieurs à ce qu'ils devraient être. Ainsi, selon L'ORA, les bataillons ne disposent en moyenne que de 63 % de leurs effectifs théoriques. La conférence de Londres prévoyait d'amener les personnels à 18 000 hommes (7), tous opérationnels, dans un délai de six mois à partir du 1er juin 2017. Quant au budget de la défense, il s'élève à environ 60 millions de dollars (8).
L'ordre de bataille de la SNA se structure en secteurs. Ceux-ci sont également parfois désignés comme «divisions» ou «commandements de divisions » en cela qu'ils reprennent essentiellement la numérotation des divisions historiques somaliennes. La première division (21e) est recréée en 2013. En 2017, d'après L'ORA, l'ordre de bataille comprend huit secteurs/divisions : 12e (9), 21e, 26e, 43e, 48e, 49e, 54e et 60e. Ils se répartissent en 12 brigades d'infanterie qui elles-mêmes se partagent une trentaine de bataillons (de 300 à 500 hommes chacun). Le bataillon du 14 Octobre 2017 est l'un des plus récents mis sur pied, en juillet 2018, en hommage aux victimes de l'attentat d'octobre 2017. Les brigades et bataillons sont constitués selon des lignes claniques. L'unité Danab fait figure d'exception relative par rapport à ce qui prévaut au sein de la SNA, avec deux caractéristiques principales. La première est que, dans son ensemble, elle est de dimension «nationale». De la taille d'une section en 2012, elle croît jusqu'à devenir un bataillon. Désormais, l'unité Danab, de type « rangers », évolue en une brigade qui devrait comprendre au moins cinq bataillons (10), soit environ 3 000 hommes. Chaque compagnie regroupe des commandos issus des régions où elle doit opérer (11). Il s'agit donc d'un système hybride : Danab est une
unité nationale avec des composantes distinctement régionales. Sur le terrain, cela facilite les contacts avec les populations locales et favorise la confiance portée à la SNA par l'intermédiaire des éléments de Danab. Cependant, ce système a également un défaut important. En cas d'éclatement de l'état central, comme cela s'est déjà produit, chaque (futur) bataillon se placerait probablement sous l'autorité de son clan. Deuxième caractéristique, Danab constitue la seule unité véritablement opérationnelle de la SNA, correctement entraînée et équipée. Toutefois, elle est encore incapable d'opérer sans l'aide américaine en matière de renseignement et de soutien (logistique, médical).
En plus de ces unités principales, l'ordre de bataille comprend une garde présidentielle. Elle assure la sécurité du président et du palais présidentiel. Elle effectue également des missions de surveillance, opérant à des points de contrôle dans Mogadiscio. Elle constitue aussi une des « réserves stratégiques » dans la capitale, susceptible d'intervenir en cas de crises graves. Viennent enfin quelques éléments de police militaire, du génie, de renseignement militaire, d'action civilo-militaire ou encore du service de santé.
Grâce aux aides étrangères, l'armement s'est amélioré au fil du temps. En 2019, la SNA dispose avant tout d'armes légères : classiques fusils d'assaut AK-47 et AKM dans différentes variantes ainsi que MPT-76 turcs pour une partie des forces entraînées par Ankara ; fusils de précision Zastava M77, PSL et autres Dragunov ; mitrailleuses légères PKM et mitrailleuses lourdes généralement montées sur véhicules légers; lanceroquettes antichars RPG-7 et canons sans recul SPG-9. L'artillerie se résume à quelques lance-roquettes multiples de 107 mm Taka 107 (Type-63). Cependant, les armes légères manquent toujours ; L'ORA établit que seulement 70 % des militaires somaliens en sont dotés. Il en va de même pour les munitions, les équipements de communication, les kits de soin, les équipements de base (bottes de combat, uniformes, tentes, etc.).
Le parc de véhicules a quant à lui été développé : des pick-up et des Hummer (dont beaucoup armés avec des mitrailleusesdshkm,destype-77outype-85, des HK GMG). Il s'est également enrichi en matière de blindés. De fait, la SNA possède 67 Storm (12), 6 RG31 et 9 Reva III, au moins une douzaine de Tiger chinois, 13 Bastion, des KF-410 et enfin de 24 à 50 (selon les sources)
AT-105 Saxon. Si ces derniers ont été revalorisés et se révèlent robustes, donc adaptés à une armée somalienne avec des personnels peu aptes à maintenir en condition opérationnelle des équipements relativement complexes, ils n'ont toutefois qu'une valeur tactique limitée dans un environnement où l'usage d'engins Explosifs Improvisés (EEI) et les embuscades sont fréquents.
Des forces aériennes sont souhaitées, au moins pour des missions de reconnaissance et de surveillance. Cependant, ce projet, dont la réalisation est prévue avec l'aide de la Turquie, tarde à se concrétiser, avec seulement 170 personnels en 2017, sans aéronefs
(13) (deux hélicoptères et deux appareils à voilure fixe, à terme). La création d'une entité navale est « relativement » plus avancée, avec 550 hommes et quatre petits patrouilleurs.
Formation et luttes d’influence
Le défaut d'instruction est l'un des obstacles souvent ignorés, mais pourtant considérable quant à la mise sur pied d'une armée professionnelle. Ce problème touche la SNA, dont une
partie des militaires et des cadres sont analphabètes. Aucun chiffre n'est disponible, mais, en 2010, la proportion d'enfants somaliens n'ayant pas accès à l'école était évalué à environ 80 %. Ceux qui étaient enfants en 2010 sont aujourd'hui en âge d'appartenir à la SNA et l'on peut donc extrapoler que peu de militaires ont un bagage scolaire. Le budget de l'éducation est de 6,1 millions de dollars en 2018, dont 2,6 pour l'instruction primaire et secondaire (14). Ce qui est peu au regard des besoins et du retard. Il ressort d'une évaluation effectuée dans quelques écoles autour de Mogadiscio que 47 % des enfants de 7 à 8 ans sont incapables de lire un seul mot d'un passage donné (15). Il sera donc difficile de voir le « niveau cognitif » de la SNA progresser solidement au cours des années à venir.
La formation des personnels constitue un autre problème majeur. La Somalie a bénéficié, et bénéficie toujours, d'un important soutien au travers de coopérations militaires. La présence turque est appréciée à Mogadiscio, notamment en raison de la gestion de l'effroyable attentat du 14 octobre 2017 (au moins 587 tués) ainsi que
(16) pour les nombreux investissements turcs dans le développement. Cette présence se matérialise notamment par la construction en 2016 d'un camp d'entraînement, d'une valeur d'environ 50 millions de dollars. En 2017, il était prévu que la Turquie forme un total de 10 000 personnels de la SNA. De leur côté, les Émirats Arabes Unis (EAU) ont ouvert en mai 2015 leur centre d'entraînement destiné à la formation des éléments d'une nouvelle brigade. Avec l'égypte, ils livrent également des armes légères.
Finalement, Mogadiscio donne sa préférence à Ankara. En avril 2018, le programme d'entraînement des EAU est interrompu. La Somalie indique alors qu'elle reprend à son compte la formation et le paiement des militaires jusqu'alors entraînés par Abou Dhabi. Autre signe de la volonté somalienne de se soustraire à l'influence Eau/arabie saoudite, début 2019, le Qatar donne 68 blindés de transport de troupes Storm, acceptés avec enthousiasme. Le bloc Arabie saoudite/eau se contente de faire savoir que, si la Somalie ne veut pas de son argent, il sera investi ailleurs (17).
La coopération est également portée par l'europe, avec un programme de formation, l'european Training Mission(eutm).aujourd'hui,l'eutm est implantée en Somalie, après l'avoir été en Ouganda. Outre des avantages pratiques, il y a là un symbole : les Somaliens sont entraînés sur leur sol. Par ailleurs, des instructeurs somaliens précédemment formés par L'EUTM travaillent désormais avec l'entité européenne. En dépit de toutes les bonnes volontés, les résultats ne sont pas à la hauteur du travail accompli par la mission. La plupart des personnels formés par L'EUTM ont « disparu dans la nature ». Signe de cet échec, Berlin préfère réorienter son soutien vers les forces de sécurité somaliennes. Hors EUTM, plusieurs pays d'europe s'investissent dans la coopération militaire avec la Somalie, tout spécialement la France, le Royaume-uni et l'italie.
Outre l'europe, les États-unis sont eux aussi très engagés, et ce, plus directement. Les forces américaines opèrent de concert avec des Somaliens qu'ils encadrent, conseillent, voire chapeautent depuis deux ans. La corruption a toutefois des conséquences graves sur
cette coopération. Faute d'avoir reçu un rapport sur des aides octroyées, Washington cesse en décembre 2017 d'approvisionner en nourriture et en carburant les éléments de la SNA qu'elle ne forme pas. De fait, en 2019, les États-unis disposent d'un effectif de 500 à 600 hommes, sans compter des contractors de la firme Bancroft Global Development qui recrutent les combattants de Danab et leur donnent une formation de base. Ceux-ci ne sont entraînés par des militaires américains que lorsqu'ils ont été « brevetés » Brancroft. Les militaires américains estiment devoir poursuivre leur action jusqu'en 2026 si tout se déroule bien, avant d'obtenir les résultats escomptés.
À noter enfin que des coopérations militaires avec l'égypte et le Soudan
(18) existent toujours malgré l'éloignement de la Somalie du bloc saoudien/ émirati (19). Par ailleurs, si la SNA ne s'est pas désagrégée sur le terrain, elle le doit d'abord à L'AMISOM qui pourvoit fréquemment aux manques des Somaliens, en leur fournissant par exemple de la nourriture et des équipements de base. Les contingents de L'AMISOM – notamment les Éthiopiens – participent aussi à la formation des militaires de la SNA.
La superposition de coopérations corrélée à des luttes d'influence a joué un rôle dans la stagnation de la SNA. Sans concertation entre partenaires géopolitiquement rivaux, ni avec les autorités somaliennes alors que, de toute manière, le développement des institutions a été négligé par les soutiens étrangers, les outils militaires et sécuritaires somaliens sont restés indigents. Un calcul l'illustre de façon édifiante : depuis 2004, environ 80 000 militaires somaliens ont été formés par des partenaires étrangers. Une quinzaine d'années plus tard, la SNA peine à aligner un peu plus d'une dizaine de milliers d'hommes… Aucune doctrine militaire n'a émergé. Il faut attendre le courant de l'année 2018 pour que Mogadiscio choisisse enfin d'adopter les standards de L'OTAN pour tous les programmes de coopération destinés à ses forces.
La problématique des clans est un autre des handicaps à la professionnalisation classique, ainsi qu'à la cohésion. En effet, les militaires somaliens obéissent d'abord à des loyautés claniques plutôt qu'à une chaîne de commandement nationale boiteuse. Cinq grands clans ou sous-clans prédominent au sein de la SNA : les Majerteen, les Marehan, les Rahanweyn et enfin les Abgal et Saad (20), ces derniers étant des sous-clans des Hawiye. De fait, les unités ne travaillent pas, ou travaillent peu, les unes avec les autres. Cela vaut également pour les forces armées et les différents services de sécurité. Par exemple, en septembre 2017, un affrontement survient à Mogadiscio.
Chacun des protagonistes pense qu'il est attaqué par une milice hostile au pouvoir. Le bilan est lourd : huit soldats et membres des forces de sécurité sont tués dans des tirs fratricides, ainsi qu'un civil. Cet incident grave n'est pas le premier du genre.
Les luttes d'influence exogènes évoquées plus haut alimentent aussi les rivalités claniques. Les militaires qui ont été formés ou qui étaient en cours de formation par des instructeurs émiratis sont considérés par une partie de la SNA « loyale » comme étant des rebelles. Dans le même temps, les partisans des EAU dénoncent la politique du gouvernement comme n'étant pas neutre et distinctement alignée sur celle du Qatar, contrairement à ce qui est affirmé officiellement.
En mars 2018, une fusillade éclate entre des éléments entraînés par les EAU et ceux du service de renseignement stratégique (National
Intelligence and Security Agency – NISA). En avril 2018, le centre d'entraînement auparavant géré par les EAU et désormais clos, mais toujours sous la garde de militaires ayant justement été formés par les Émiratis, est attaqué par d'autres soldats. Pendant plus d'une heure et demie, les combattants s'affrontent. Malgré l'intervention de la Garde présidentielle (dont des éléments ont d'ailleurs été entraînés par les EAU) qui met fin aux combats, au moins 600 armes sont volées par les assaillants. Quarante-huit heures plus tard, une partie est en vente sur le marché noir de Mogadiscio.
Indiscipline, chaîne de commandement défaillante, soldes non payées et corruption…
L'indiscipline est une des caractéristiques de la SNA et les abandons de
(21) poste sont fréquents. Ils relèvent aussi des déficiences de la chaîne de commandement (avec l'absence d'ordres précis ou qui ne parviennent pas à temps aux unités concernées) ainsi que de complicités diverses avec les Shebab. Il n'est pas rare que certains membres d'une même famille appartiennent à la SNA ou aux forces de sécurité et les autres aux Shebab. L'explosion du camion piégé le 14 octobre illustre tragiquement ce problème du noyautage de la SNA par les djihadistes.
En mars 2017, une grève éclate dans les rangs de la SNA, touchant 2 000 hommes (22). Ils protestent contre l'absence de paiement de leur solde, soit environ 200 dollars mensuels, dont la moitié est réglée par les États-unis et le Royaume-uni. Les mutins se déploient en périphérie de la capitale. Un nouveau système de paiement a bien été annoncé en septembre 2016, mais se révèle inefficace dans un pays où la corruption est généralisée. Deux ans plus tard, en mars 2019, une nouvelle grève survient. Les soldats d'au moins trois bases réclament le paiement de quatre mois de solde. Une partie des éléments font mouvement vers Mogadiscio à bord de dizaines de véhicules, abandonnant ainsi leurs positions. Le Premier ministre somalien explique que les soldes non versées ne concernent que des soldats non listés alors qu'un programme d'enregistrement biométrique des effectifs est en cours (23). Nonobstant ces difficultés, quelques efforts sont faits pour aider les militaires blessés et leurs familles.
Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant que les militaires de la SNA soient souvent peu enclins à combattre etpromptsàrançonnerlescivils(24),ainsi qu'àvendreleurmaigreéquipementafin
d'acheter des subsistances pour eux et leurs familles, voire du khat. Ce qui contribue à affaiblir un potentiel déjà rachitique. Les uniformes vendus sont prisés par les Shebab qui peuvent ensuite les utiliser lors d'actions de déception (25). Il en va de même pour les armes. Trois des fusils d'assaut utilisés lors de l'attaque contre le complexe Dusit D2 au Kenya, du 15 au 16 janvier 2019 (21 civils et 5 djihadistes tués), proviennent de l'armée somalienne. À ce jour, il n'a pas été précisé en source ouverte si les armes ont été prises à la SNA à l'occasion de combats ou achetées.
Enfin, les brutalités envers les civils (notamment lorsqu'ils appartiennent à un autre clan), voire les exactions, sont communes. Ce qui se traduit par la méfiance des populations et profite à tous les groupes armés, quelle que soit leur nature, tout en renforçant le repli clanique. Des mesures ont été prises pour sensibiliser les militaires à ce problème, mais un changement radical des mentalités sera difficile et long à obtenir, même si une prise de conscience se développe lentement, notamment grâce au personnel féminin de la SNA.
À l'exception de Danab, la SNA est le plus souvent reléguée à un rôle défensif – tenir le terrain précédemment repris par L'AMISOM – jusqu'à l'été 2018. Mais, même dans ce rôle, elle n'excelle pas. Elle mène aussi des opérations conjointes avec la mission de L'UA, comme en octobre 2018 dans la région centrale d'hiiran. Des éléments de la 27e division sont alors engagés. La planification est complexe, car L'AMISOM a ses propres lacunes tandis que la SNA manque de mobilité, de personnels suffisamment entraînés, de moyens. La plupart du temps, quelques pick-up armés accompagnent l'infanterie. Toutefois, la livraison de blindés chinois (Tiger) et qataris (Storm) permet d'engager des appuis plus solides lors des opérations. Au feu, les militaires somaliens lambda tendent à être maladroits, figés dans des postures d'entraînement. Leur maîtrise tactique est généralement mauvaise, avec toutefois une amélioration au sein de certains secteurs. Du fait des problèmes de recrutement, certains soldats n'ont pas une condition physique adéquate. Par exemple, des tireurs PKM éprouvent des difficultés à manier leur arme, trop lourde et encombrante.
Alors que la SNA est censée prendre davantage de responsabilités dans la défense du pays, ses relations avec L'AMISOM se dégradent. En juin 2018, le responsable somalien du dispositif dans le Bas-juba accuse les forces kényanes de L'AMISOM de refuser de mener des opérations avec les
Somaliens dans la zone de Kismayo. Plus prosaïquement, les Kényans ont été avertis du danger D'EEI, alors que les éléments somaliens sont infiltrés par des complices des Shebab, chargés de les renseigner sur la progression des Kényans. Ces derniers ne veulent donc pas être piégés.
En mars 2019, le chef de l'armée de terre somalienne, Dahir Adan Elmi, affirme que les éléments de L'AMISOM mettent en première ligne ceux de la SNA : « Les troupes de L’AMISOM reçoivent 1 000 dollars. Elles sont équipées de meilleures armes, de véhicules blindés, et, pourtant, elles utilisent les soldats somaliens qui ont des Kalachnikov et des armes légères comme boucliers humains, se cachant et avançant seulement derrière eux. » L'accusation
(26) n'est pas sans fondement : les forces de L'AMISOM ne font pas confiance à la SNA, jugée incompétente et noyautée par les djihadistes. Lorsqu'elles doivent opérer de conserve avec la SNA, elles préfèrent donc avoir les militaires somaliens devant eux plutôt que derrière. Et ce d'autant plus que les hommes de L'AMISOM ont perdu en combativité entre 2012 et 2014 et que la perspective d'un retrait ne les incite pas à être le « dernier mort ».
La SNA de 2019 est néanmoins un peu plus opérationnelle que celle de 2017. Un avenir existe, avec des chefs qui émergent, des unités qui s'affirment comme meilleures, avec un relatif « esprit de corps » dont les contours sont cependant limités aux appartenances claniques. Ainsi, la SNA obtient quelques succès, dont certains non négligeables. En août 2018, le bataillon du 14 Octobre parvient à reprendre Markal et à tenir la localité malgré la pression des Shebab. En février 2019, un de leur chef, Aliyow Iman Ibrahim, est tué par la SNA au cours d'une action dans la région de Bakol. Ces efforts sont soulignés par contraste avec des attentats de ce groupe qui visent de plus en plus les officiers supérieurs et les généraux. Cependant, ces progrès ne suffisent pas encore – et ne suffiront pas avant plusieurs années – à faire de la
SNA une force globalement efficiente. C'est d'ailleurs ce que détermine un ORA-II établi par L'ONU, indiquant en substance que l'armée somalienne est toujours fragile, avec des capacités dramatiquement limitées. Dans le même temps, la pression croissante pour une évolution de L'AMISOM, avec moins de masse et plus de muscle et paradoxalement avec un état d'esprit moins létal, le tout dans une logique de retrait progressif, est dangereuse. D'une part, comment les pays participants à la mission de L'UA pourront-ils faire évoluer la philosophie de L'AMISOM avec des moyens nationaux respectifs qui ont leurs limites et alors que la tâche apparaît insurmontable ? Si le développement, la construction et la consolidation d'institutions sont une priorité, les prérogatives militaires – et donc combattantes – de L'AMISOM sont-elles pour autant à revoir « à la baisse » ? En août 2017, l'ambassadeur somalien à L'ONU, Abubakar Osman expliquait qu'un retrait de L'AMISOM serait « […] une recette pour un désastre ». Or un minimum de cinq années studieuses est nécessaire avant qu'émergent des unités somaliennes plus confiantes et robustes, à condition de faire des entorses aux principes de bonne gouvernance, en acceptant une SNA avec une dimension clanique assumée, plutôt qu'en voulant une armée rigoureusement nationale qui ne fonctionnera pas avant des générations.