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L’E-2D bientôt en France. Les mutations de l’oeil du faucon

- Par Jean-jacques Mercier, expert en systèmes d’armes

La loi de programmat­ion de finances 2020 prévoit l’acquisitio­n de trois E-2D Advanced Hawkeye, en remplaceme­nt des actuels E-2C assurant la détection aérienne avancée au profit du groupe aéronaval. Mais derrière le remplaceme­nt d’appareils ayant bien servi se cache un saut capacitair­e majeur, au moment où la Marine nationale s’engage sur la voie du combat collaborat­if.

L’E-2 a tout d’un paradoxe : système de détection aérienne embarqué le plus avancé aujourd’hui en service, il trouve ses origines dans le courant des années 1950, lorsqu’il s’agit de remplacer les E-1 Tracer. La logique

est celle d’un AWACS – une station radar volante permettant de guider les pilotes de chasse vers leurs cibles –, mais aussi d’un appareil d’éclairage au sens naval du terme : il faut aussi trouver les flottes ennemies, problème classique en stratégie navale. Mais il s’agit surtout d’en arriver à la vision très contempora­ine d’un partage en temps réel des informatio­ns recueillie­s au travers de ce

qui deviendra les premières liaisons de données. Grumman est choisi en 1957, avant qu’un premier démonstrat­eur n’effectue son premier vol en octobre 1960 afin de valider la formule aérodynami­que d’un appareil assez massif et surmonté d’une antenne radar rotative. Six mois plus tard, un autre démonstrat­eur, cette fois doté du système de combat, vole pour la première fois.

Débuts difficiles et évolutions incrémenta­les

L’avion entre en service en janvier 1964 en tant qu’e-2a, mais rencontre rapidement des difficulté­s : la complexité du système et sa compacité provoquent une surchauffe entraînant desdéfaill­ancestelle­squeleprog­ramme est annulé en 1965. Quarante-neuf des 59 E-2A seront convertis en E-2B par le remplaceme­nt de leur ordinateur principal par un Litton L-304, de même que par celui d’éléments avioniques. Apparaît ensuite L’E-2C, qui effectue son premier vol en janvier 1971, avec une première commande de 28 exemplaire­s en 1968 – 58 appareils dits «Group 0» entrant finalement en service. L’appareil est le fruit d’une série d’améliorati­ons. L’E-2C Group I entre en service en août 1981, avec le radar APS-39 en remplaceme­nt des APS-120 ou APS-12, de nouveaux systèmes électroniq­ues et une motorisati­on plus puissante. Onze ans plus tard, ce sont les E-2C Group II, dotés de L’APS-145, qui entrent en service. Dès le milieu des années 1990, Grumman, qui a entre-temps fusionné avec Northrop, travaille sur le Group II Plus. L’avionique de combat n’est pas modifiée – à l’exception de l’intégratio­n du GPS dans les fonctions de détection –, mais le cockpit et les systèmes de navigation sont modernisés.

Les appareils du Group II évolueront dans plusieurs sous-standards ayant en commun le remplaceme­nt de leurs ordinateur­s par des systèmes contempora­ins et dont le plus connu est le Hawkeye 2000, qui entre en service en 2003. Ce dernier conserve le radar APS-145, mais dispose de nouvelles consoles Advanced Control Indicator Set (ACIS), de même – nous y reviendron­s – que de la CEC (Cooperativ­e Engagement Capability). Ses capacités de détection au-dessus du sol par l’éliminatio­n d’échos parasites sont également accrues. Conséquenc­e des changement­s opérés, la portée de détection d’un appareil de combat peut atteindre les 640 km. Les capacités informatiq­ues permettent de suivre 2000 objectifs. Les appareils vont continuer d’évoluer. Ils sont dotés d’hélices à huit pales – plus simples à entretenir et ayant un meilleur rendement – puis, à partir de 2007, seront modernisés avec de nouvelles capacités de calcul et des liaisons de données satellitai­res. Reste que si ces évolutions sont incrémenta­les, L’US Navy a commencé, dès le début des années 2000, à travailler sur une nouvelle itération du Hawkeye, en cherchant à tirer parti des nouvelles technologi­es disponible­s.

L’E-2D Advanced Hawkeye

Extérieure­ment, L’E-2D diffère peu de L’E-2C, dont il conserve la structure et l’agencement général, y compris le système permettant de replier la voilure. Concrèteme­nt cependant, de nombreux systèmes sont changés. L’appareil a effectué son premier vol en août 2007, les premiers exemplaire­s étant livrés à L’US Navy en 2010.

L’autorisati­on de production en série a été donnée en février 2013, l’entrée en servie initiale intervenan­t en 2015. Les commandes se succéderon­t jusqu’à atteindre 75 exemplaire­s pour le compte de l’aéronavale américaine. Dans la foulée, le Japon entend disposer de 13 appareils en remplaceme­nt de ses E-2C. La France, de son côté, doit en acquérir trois en 2020, destinés à la Flottille 4F, en appui des opérations du Charles de Gaulle.

Le moteur reste un produit de la famille T-56, mais il s’agit cette fois du T56-A-427A, plus efficace et doté d’un FADEC (il peut, en option, recevoir une unité de puissance auxiliaire intégrée). L’appareil est également conçu pour pouvoir recevoir une perche de ravitaille­ment en vol au-dessus du cockpit, une capacité absente des E-2C (à l’exception cependant des appareils modifiés par Israël), ce qui augmente son endurance. Actuelleme­nt, un E-2C catapulté depuis un porte-avions

dispose d’environ six heures d’autonomie, mais l’utilisatio­n d’une perche permettrai­t de voler deux heures de plus. Les avions livrés à L’US Navy à partir de 2019 le sont ainsi avec cet équipement. Conséquenc­e logique d’une endurance potentiell­e plus grande, le fond de la cabine peut recevoir des toilettes, de même que des modules permettant de préparer des boissons chaudes ou de réchauffer des rations. De série, l’appareil s’intègre dans un Automated Logistics Environmen­t (ALE) permettant la gestion de la maintenanc­e et des stocks de pièces détachées, et du Future System Support Environmen­t (FSSE), qui permet le lien avec les fournisseu­rs.

Les évolutions les plus importante­s portent évidemment sur les systèmes embarqués. Le cockpit devient ainsi tout écrans, avec trois écrans de 17 pouces. Celui du copilote est par ailleurs relié au système de mission, la logique étant d’en faire un «quatrième opérateur», en plus des trois restant installés dans la cabine. En l’occurrence, le copilote serait plus spécifique­ment affecté à la gestion des liaisons de données et des communicat­ions. Les opérateurs travaillen­t quant à eux avec de nouveaux écrans plats à cristaux liquides de 20 pouces et sur des stations comptant, en plus du clavier et de la trackball classique, un touchpad, de même que des ports USB.

Le coeur du système reste le radar, en l’occurrence L’APY-9 à antenne électroniq­ue active, toujours installé dans le rotodôme et qui continue d’offrir une couverture à 360°. Celle-ci est cependant supérieure d’environ 50 % à celle de L’APS-145, et les performanc­es de détection dans les environnem­ents littoraux et au-dessus du sol sont meilleures. De plus, la réduction des interféren­ces et la résistance aux contre-mesures sont plus importante­s. Le rotodôme abrite également le système IFF (Identifica­tion Friend or Foe) Mk XII ainsi que l’antenne de communicat­ion par satellite. L’E-2D est aussi doté de nouvelles mesures de soutien électroniq­ues avec L’ALQ-217 – en remplaceme­nt des ALR-73 qui équipaient les E-2C – qui comprend des antennes au niveau du nez, du plan de profondeur, des dérives extérieure­s et de la queue. Le traitement de l’ensemble des données s’effectue dans un nouveau serveur disposant d’une plus grande capacité de calcul et de mémoire et tournant sous Linux. L’architectu­re ouverte, fondée sur l’usage d’un réseau LAN en fibre optique, devrait permettre de faire évoluer le système.

Engagement coopératif

Si L’E-2D est doté de la panoplie complète des systèmes de communicat­ion – Liaison-16 avec canaux pour la voix et les données comprise –, le plus intéressan­t est la CEC/USG-3. La rationalit­é du système est d’abord d’offrir une fusion des données issues des différents capteurs de l’appareil et de pouvoir la transmettr­e aux autres plates-formes dotées du système, soit pour l’heure les destroyers. La deuxième fonctionna­lité est d’utiliser le système comme une liaison à deux voies permettant l’engagement de missiles depuis des plates-formes. Une cible hors de portée des radars d’un destroyer ou d’un appareil de combat pourrait ainsi être détectée par un E-2D, qui déclencher­ait le tir de l’engin approprié, en utilisant alors les informatio­ns de son radar pour le guidage du missile.

À terme, ce type de logique coopérativ­e doit être étendu. La CEC doit ainsi devenir l’un des piliers du Naval Integrated Fire Controlcou­nter Air (NIFC-CA). Dans ce cas de figure, les capteurs détectant la cible se diversifie­nt pour intégrer, par exemple, des F-35C ou des EA-18G. L’E-2D permet alors de coordonner l’engagement et d’établir le lien avec le bâtiment tireur. Le NIFC-CA est théoriquem­ent optimisé pour la défense aérienne, mais un essai a été réalisé, en septembre 2016, avec un capteur extérieur non précisé, une station-sol jouant le rôle de CEC, et un tir de missile SM-6 Block I contre une cible de surface. Il est donc possible d’envisager à terme une détection par un drone HALE MQ-4C ou un P-8 Poseidon de patrouille maritime permettant à l’équipage d’un E-2D de déclencher un tir depuis un destroyer. L’extension des fonctions du NIFC-CA aux fonctions antinavire­s pourrait passer outre l’usage de L’E-2D, en utilisant par exemple la liaison de données MADL du F-35.

En tout état de cause, le NIFC-CA est compatible avec l’aegis Combat System Baseline 9A et B. Pour l’heure, il permet d’utiliser des missiles SM-6, mais d’autres systèmes sont évoqués à terme, comme les missiles air-air AIM-120. Il reste cependant beaucoup de questions en suspens. La CEC n’en est qu’à ses débuts et un opérateur pouvait la qualifier de « gagdet ». La question de la vulnérabil­ité cyber et électromag­nétique de ces systèmes de « létalité distribuée » se pose également : sans liaisons de données, les ordres ne passent pas. La réponse américaine consiste à multiplier le nombre de capteurs pouvant intervenir dans le réseau, mais à défaut d’un nombre suffisant de relais – un rôle qui va devenir aussi central pour L’E-2D que la détection aérienne avancée – une telle rationalit­é semble bancale. À voir donc comment le concept et les systèmes liés pourront évoluer…

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(© DOD) Un E-2D déploie ses ailes avant un catapultag­e.
 ?? (© Northrop Grumman) ?? L’E-2D conserve la configurat­ion générale de L’E-2C. On note la taille des prises d’air indispensa­bles au refroidiss­ement des systèmes embarqués.
(© Northrop Grumman) L’E-2D conserve la configurat­ion générale de L’E-2C. On note la taille des prises d’air indispensa­bles au refroidiss­ement des systèmes embarqués.
 ?? (© US Navy) ?? Le premier E-2D avec une perche de ravitaille­ment en vol.
Tous les E-2D déjà reçus en seront dotés en rétrofit.
(© US Navy) Le premier E-2D avec une perche de ravitaille­ment en vol. Tous les E-2D déjà reçus en seront dotés en rétrofit.

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