Nouvelle phase de la guerre
L’annonce du retrait américain de Syrie, le 6 octobre, a ouvert la voie à une nouvelle opération turque en Syrie, promptement engagée et avec à la clé plusieurs conséquences, notamment en termes de gestion des prisonniers djihadistes. Si Washington ne maintenait plus qu’environ 1000 hommes dans le pays, ils sanctuarisaient une zone tenue pour une bonne partie par les Kurdes de L’YPG, qui ont joué un rôle central dans les opérations contre l’état Islamique (EI). Il semble que, dans la foulée, un certain nombre de camps de prisonniers aient été abandonnés, libérant des djihadistes dans un contexte où les structures de pouvoir de L’EI, reconfigurées, sont toujours actives. Ankara a indiqué qu’elle allait assurer la traque et la garde des djihadistes, mais le chaos des opérations laisse sceptique quant à la concrétisation des intentions turques. C’est donc une nouvelle phase de la guerre en Syrie qui s’est ouverte alors que le territoire tenu par le califat avait été repris.
Les buts de guerre turcs semblent rester cohérents avec la ligne tenue par Ankara depuis 2013-2014 : établir une «zone de sécurité» d’une profondeur de 30 à 60 km d’où seraient exempts les Kurdes, coupant ainsi leurs relations avec les Kurdes de Turquie. La zone permettrait également d’y relocaliser les réfugiés syriens actuellement en Turquie. Ankara tient déjà une zone tampon au sud-ouest de sa frontière avec la Syrie. En réalité cependant, il s’agit aussi d’annexer peu ou prou une partie de la Syrie, ce qui n’est guère du goût de Damas. Assez rapidement, des forces gouvernementales et leurs supplétifs se sont ainsi portés vers la frontière, et notamment vers Kobané, où les forces turques n’étaient pas présentes. À l’heure où nous écrivons ces lignes (17 octobre), elles semblent poursuivre leurs opérations, notamment à proximité de Manbij. Pour le moment, aucun affrontement entre forces turques et syriennes ne semble avoir eu lieu.
Les États-unis ont annoncé des sanctions visant la Turquie, mais tout redéploiement semble exclu : des bases auparavant occupées par les forces spéciales américaines ont ainsi été bombardées afin qu’aucune partie ne puisse les utiliser, de même que d’éventuelles munitions qui y auraient été laissées. La question des djihadistes emprisonnés – et évalués à 12000 – reste par ailleurs pendante. L’hypothèse de leur transfert en Irak a été rejetée par le président irakien, qui entend récupérer les Irakiens, mais qui estime que chaque pays doit s’occuper de ses ressortissants. Pratiquement donc, la nouvelle configuration pourrait bien voir une remontée en puissance de L’EI dans un contexte où les forces aussi bien irakiennes que syriennes sont sorties épuisées d’opérations longues et complexes. Dans le même temps, les Kurdes d’irak sont dans une position affaiblie depuis le référendum d’indépendance de septembre 2017 et les opérations irakiennes qui se sont ensuivies.
La Russie est donc gagnante dans une configuration où elle cherche à accroître son influence au Moyenorient. Elle continue de maintenir des troupes sur place et appuie celles de Damas. Le grand perdant est américain : privé de tout levier d’influence dans le conflit tout en privilégiant ses relations avec l’arabie saoudite – et paradoxalement donc, en accentuant la perte d’influence de la présidence Obama, critiquée durant la période électorale –, Washington s’est également montré peu loquace au sujet des activités de l’unité 29155, révélées par le New York Times. L’unité du GRU aurait ainsi participé à une tentative de coup d’état au Monténégro, à des opérations de déstabilisation en Moldavie, aurait eu un rôle dans l’affaire Skripal et aurait été active depuis plus de 10 ans avec pour mission de déstabiliser les États européens. En l’occurrence, les États européens, également sur la touche au Moyenorient, n’ont été guère plus actifs en termes de positionnement à l’égard de la Russie…