Le DAUBE le plus long
Tous les deux mois, Carl von C. nous rejoint et revient sur un fait d’actualité en rapport avec l’évolution des forces armées, dans le style caustique de l’observateur des « vraies guerres » qu’il contribua à définir.
Ach so ! Avec ce dernier DSI de l’année arrivent bientôt Noël et les délicieux moments passés empaquetés dans des magasins, bercés par les horripilantes musiques qu’on ne manquera pas de nous servir. Arrivent aussi la grippe saisonnière et l’époque des dîners en famille. Qu’y servir pour se requinquer ? Mais, pardi, une bonne DAUBE! Vous êtes donc invités à la table de tonton Carl pour y goûter l’épisode 2019 du Darwin Award Ubuesque des Études en Estratégie. Mais avant de connaître le ravissement des papilles, Jane Fonda, Saddam Hussein, Edgar J. Hoover, les membres de choc et de charme de notre jury que j’ai l’honneur de présider, vous invitent dans la cuisine des moments les moins glorieux des sorties, saillies et petites phrases les moins inspirées autour des questions de défense. On vous le promet, aucun chroniqueur, journaliste, essayiste ou homme politique n’a été blessé durant nos délibérations. Leurs dossiers étaient pourtant lourds et la peau de leur pertinence, bien légère.
Le Manuel-valls
Au désormais ex-candidat maire de Barcelone et ancien Premier ministre de servir l’entrée : expliquer, c’est déjà un peu excuser, nous disait-il. Quel édile nous a expliqué des trucs et devrait s’excuser pour ses bêtises ? Première bouchée, légère, avec François Ruffin qui réinterprète le désormais classique « Rafale saoudien » avec une petite touche personnelle, pour des Leclerc que « la France vend à l’arabie saoudite ». Pas mal, mais passé de mode. Le 5 juin, alors que tout le monde prépare les commémorations du débarquement de Normandie, Nathalie Arthaud y voit un « épisode de cette guerre entre impérialistes pour le repartage du monde ». En même temps, se faire imposer un partage de la France avec les nazis nécessitait bien de repartager plus honnêtement. Du genre, 100 % de la France pour nous. Alexis Corbière s’étonnait, le 2 septembre, devant une ligne du temps des guerres en Europe publiée par le Parlement européen, de voir apparaître la Révolution française : « La Révolution française est une guerre à classer sur le même plan que les deux guerres mondiales ! », oubliant sans doute que, dans la foulée, la guerre de Vendée, la Terreur et la suite des guerres napoléoniennes n’étaient pas franchement des pique-niques.
Plus conceptuellement intéressant, Bruno Retailleau, le 29 janvier sur Europe 1, voulait redéfinir le droit : les djihadistes « ne sont pas des Français, ce sont des criminels de guerre ». Certes, mais la destruction de l’état islamique ne les a pas fait disparaître façon « petite fée GBU-12, pouf-pouf ». Ce n’est pas que l’on n’aurait pas aimé : c’est seulement qu’ils avaient une vie avant L’EI et que personne dans le jury ne sait où se trouve le Criminel-de-guerre-istan. Bref, ce membre du corps législatif a l’air de connaître son droit – ou non. Notez tout de même que l’on ne badine pas avec les institutions de la République, même quand la République, c’est lui. Les dernières bouchées de l’entrée se profilant, qui donc nous offrira le feu d’artifice de saveurs et sera couronné par le Manuel-valls ? Si la commémoration du débarquement a permis de lire des choses aussi bizarres qu’un cassoulet servi avec une confiture de fraises, cela a également été le cas pour les différentes mobilisations des « gilets jaunes ». Commentant les incidents du 1er décembre 2018, le grand gagnant de notre épisode d’« Un dîner presque pas frais » en rajoute : « Place de l’étoile, les manifestants sont encerclés dans une nasse et bombardés sans issue. » Ce jourlà, personne n’a pourtant vu de Rafale ou de tirs de CAESAR. C’est donc avec le souvenir ému d’un gif où Jean-luc Mélenchon a les yeux exorbités que nous lui adressons un salut républicain.
Évidemment, la situation internationale nous a livré un cas d’étude intéressant : doit-on prendre en compte les trumperies ou les facéties turques pour un DAUBE historiquement français ? Au premier, une multiplication de bêtises, faites ou dites, allant jusqu’à expliquer qu’il fallait laisser tomber les Kurdes parce qu’ils n’avaient pas participé au débarquement de Normandie. Les Sud-coréens et les Japonais
apprécieront la fiabilité de leur allié… Quant à Recep Tayyip Erdogan, son intervention en Syrie d’octobre « pour lutter contre le terrorisme » aboutit concrètement à remettre un bon paquet de djihadistes dans la nature. Conclusion du jury, la politique internationale est une source tellement prolifique de DAUBE que mieux vaut s’en tenir à la seule politique française. Mais nous tirons notre chapeau aux efforts réalisés.
Le Michel-onfray
Je ne sais pas chez vous, mais avec les morfals que je me coltine, l’arrivée de la grosse pièce impose de déjà confisquer les clés de voiture pour cause d’allégeance au Code de la route et à la sécurité routière. Cette année-ci, les éléphants roses ont rapidement débarqué dans la rédaction dès qu’il s’est agi du petit monde de nos intellectuels. Certes, tonton Carl luimême était nominé : le 9 mars je me moquais de la proverbiale lenteur de la DGA en indiquant qu’elle pourrait disposer d’un rapport sur l’opportunité de créer un compte Twitter en 2029. Pour le coup, elle tweeta pour la première fois 40 jours plus tard. Cette traversée du désert mérite-t-elle de me voir hissé à l’hénaurmissime pinacle intellectuel du DAUBE Michel-onfray ?
Guère plus, sans doute, que les usual suspects. On note ainsi une toujours sympathique tentative de notre BHL national (« Erdogan est un djihadiste », 8 octobre) et, bien évidemment, celles du Maître en personne, avec plusieurs tentatives. En fait, un peu comme votre grand-tante qui essaie de vous refiler à plusieurs reprises ses patates trop cuites aux repas de famille. Le jury en a goûté deux. Le 28 mai, promouvant sa Théorie de la dictature, celui qui dit ne jamais avoir accès aux médias nous expliquait que nous étions en guerre au Mali parce qu’on « en profite pour piller leurs sous-sols ». Pas de pipelines donc – pas encore ! –, mais une saillie qui a sans doute fait mourir de rire pas mal de géologues. Note pour plus tard : penser à proposer à la DGA la conception de camions-derricks. On peut cependant noter qu’une première utilisation de cette ficelle avait valu à Michel-lamalice son premier DAUBE : serait-il guetté par la maladie d’alzeihmer? Allez, une petite deuxième : quatre jours auparavant, il nous expliquait que si Overlord avait reçu ce nom de code, c’était pour souligner la vassalisation de la France aux États-unis. Assurément, il sache. Quoi, en revanche, cela reste à découvrir. Après tout, l’opération « Toenails » (« doigts de pieds ») n’avait rien à voir avec la botte italienne.
Usual suspects toujours avec Alain Bauer qui nous propose, en présentation d’un MOOC, de « choisir soi-même de définir ce qu’est le terrorisme » (novembre 2018). Personnellement, pour moi, le terrorisme, c’est un RER bloqué avec un mec qui écoute à fond le best of de Maître Gims et n’hésite pas à en faire profiter les passagers. Reste à voir si monsieur le juge aura la même vision que moi. Pascal Boniface aura également apporté, comme d’habitude, sa pierre à l’édifice, en comparant les incomparables budgets russe, de L’OTAN et des États-unis. On note aussi une belle performance des Jeunes de L’IHEDN qui programment – avant de l’annuler – une conférence sur les fake news avec notamment… Caroline Galactéros. La spécialiste de ce qu’il est a présent convenu d’appeler la « gnéopolitique» n’avait pas hésité à expliquer que le porte-avions chinois était à Tartous (Syrie), tout comme d’ailleurs le SNLE russe Dmitry Donskoi.
Avec l’alcool, les esprits peuvent s’échauffer et, pour le coup, Luc Ferry, le 8 janvier s’est laissé emporter, alors que les manifestations des « gilets jaunes » se multipliaient, en demandant aux policiers, sur Radio classique « qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois ». Notez bien qu’il a pu être entendu et que lesdites manifestations ont un peu tendu nos nominés. Le « Groupe Jeanpierre Vernant », joyeux groupe folklorique se réclamant de l’université (oui, comme les bizuts beurrés qu’on peut croiser), s’interroge : « Dans quel type de régime utilise-t-on des chars contre les opposants politiques ? » Les « chars » en question étaient… des VBRG de la Gendarmerie. Notez qu’il paraît qu’ils « sont vulnérables à des bouteilles incendiaires (cite l’endroit où viser) », selon Jacques Sapir (6 décembre 2018). Qui nous expliquera, lorsqu’un véhicule sera attaqué, que les flammes ne peuvent pas y pénétrer du fait de la surpression. En oubliant manifestement qu’elle fonctionne par injection d’oxygène. Bref, c’est toujours à la grosse pièce que l’avant-garde de la pensée se dévoile, de préférence lorsqu’il est question de politique.
Tout cela, c’est très bien, mais qui sera levainqueurdumichel-onfray?unpeu sonné par la charge calorique prise, le jury a cependant tranché, sur un double ex aequo. Oui, on sait, c’est un peu facile. Mais il faut admettre que nos récipiendaires envoient du lourd, comme disent les djeuns. Parce que tonton Carl est vieux, il a une certaine affection pour les urologues. Et en l’occurrence, notre premier vainqueur écrit souvent n’importe quoi.pourcequinousconcerne,c’estsur l’intelligence artificielle, au coeur de… (tremblez, lecteurs : le zézètte-ologue parle) « la troisième guerre mondiale » (chronique du 5 juin). Cher Laurent Alexandre,noustrouvonsvotremanque de foi en la science (et donc votre manque de lectures) consternant. Et de un... Nous avons également été tentés par nos confrères de la Revue Défense Nationale, mais c’eût été injuste. D’une part, parce qu’ils se sont tapé l’onde de choc de l’affaire Légrier. D’autre part, parce qu’ils ont dû publier un moment d’égarement du général (2S) Norlain, en l’occurrence ses commentaires à l’ouvrage aussi informé que je suis plombier de Maxime Chaix sur la Syrie. Du coup, notre deuxième vainqueur est L’EMA Com qui, en voulant masquer l’article du colonel Légrier, a donné à des générations de communicants le plus bel exemple de ce qu’est « l’effet Streisand ». Jusqu’à plusieurs mois plus tard avec ce DAUBE, donc.
Le Sputnik
Nous restait donc le dessert à ingurgiter, avec un festival de petites choses en vérité assez indigestes. Entre les « gilets jaunes » et les 75 ans du débarquement de Normandie, l’assortiment s’est montré redoutable. À propos des premiers, Le Média évoque « une arme chimique secrète », enquête à l’appui sur… le lacrymogène (26 janvier). Le 28 janvier, les manifestants blessés deviennent, pour L’humanité, des « gueules cassées » (oui, comme les Poilus). En mars, le toujours très en forme Edwy Plenel en rajoute une couche en oubliant d’écouter ce que dit le général Le Ray, pour sortir un magnifique « assumer que des militaires tirent sur des manifestants mobilisés ». Le 26 avril, on note également que Mediapart avoue piquer des infos de Défens’aéro sur des crashs, non seulement sans les citer, mais en prime, en en réclamant l’exclusivité. Pas bien.
Côté débarquement, tempête dans la presse autour de la place de la Russie dans la victoire de 1945 et accessoirement sur l’histoire de la chose ellemême. Spécialiste reconnu de l’usage des armes chimiques et déjà nominé au DAUBE, Claude El Khal nous a ainsi expliqué que Churchill était contre un débarquement dont les anciens, en observant les débats, doivent se dire que les générations qui les ont suivies n’ont toujours pas inventé le Nobel d’histoire. Bel effort également de France Culture sur une chronique d’arjuna Andrade que l’on aurait cru tirée d’un jamboree pacifiste avec une prise d’acides tellement puissants qu’ils en oublient de ne pas manipuler les faits. Certes, tout cela est bel et bon, mais peut-on y voir la cerise sur la chantilly médiatique d’un dessert qui, après tout, est le point d’orgue de toute fête ? Eh bien non ! Nous avons trouvé mieux – et sans doute plus inquiétant.
Si vous vous intéressez à la défense, la campagne – au sens de l’opération complexe – menée par Disclose et un certain nombre d’ autres médias ne vous aura pas échappé. Pensez donc, Arjuna Andrade et Grégoire Chamayou pourraient avoir raison :« ces matériels militaires français qui bafouent les droits de l’ homme »( tout seuls, comme des grands) pour Radio France (21 septembre). Trois jours plus tôt, Edwy Plenel découvrait la vente de patrouilleurs et de Mirage F1 au Maroc «pour contrôler les riches eaux du Sahara occidental » (que le Maroc a d’ailleurs l’obligation de protéger). C’est même encore mieux : « Des navires français contrôlent les eaux » de la région, titre Mediapart. On sait donc enfin où les SNLE passent leur temps. Un peu plus tard, une vingtaine de camions blindés livrés au Cameroun font scandale. Pratiquement, ce n’était que les derniers feux d’une opération conduite en avril et ciblant les ventes d’armes en Arabie saoudite et aux Émirats, note confidentiel-défense à l’appui. Si nos confrères affichent ainsi un joli retard de quatre ans, cela ne les affûte guère plus sur la méthodologie : les canons CAESAR pourraient potentiellement tirer sur des civils. Des preuves (ou pas)? La note dit que si la population dans les districts est homogène, plus de 430000 civils sont menacés. Et d’ailleurs, « selon des documents », plus de canons doivent être livrés à Riyad… sauf que l’arabie saoudite n’est pas mentionnée dans la copie produite par L’ONG.
Derrière l’étonnement de voir des armements livrés depuis parfois plus de 20 ans avant le commencement de la guerre y être utilisés – dont des navires participant à un blocus bien documenté, ce qui permettra de nous resservir de la DAUBE en septembre –, il y avait de vraies questions. Pourquoi, par exemple, continuer à entretenir certains de ces matériels ? Mais trop préoccupés à mettre en avant le « confidentiel-défense », nos confrères sont passés à côté, tout comme ils se sont adressés à des experts bien particuliers et un tantinet militants. En démocratie, c’est légitime et ce n’est d’ailleurs pas sans rappeler le fiasco du tritium dans l’eau du robinet. Mais dans un monde où le factuel importe quand même un peu, cela vaut donc à l’opération le Sputnik, et à notre très atterré jury d’attaquer la dernière bouteille de cognac en se demandant où l’infocalypse s’arrêtera. Carl et ses comparses