La France s’arme pour la guerre dans l’espace
Le lancement d’un Commandement De l’espace (CDE) s’est accompagné de l’annonce de toute une stratégie spatiale de défense. L’ambition des armées est de mettre en place leur autonomie afin de pouvoir assurer leurs missions dans ce domaine. Le ministère a annoncé d’importants efforts, tant sur le plan des équipements que sur celui de l’organisation des unités, le tout au cours des années 2020.
Fin juillet 2019, le ministère des Armées a publié le rapport de son groupe de travail « Espace », composé de militaires issus de l’armée de l’air, du renseignement et de la Direction
générale de l’armement, ainsi que de spécialistes civils des affaires juridiques et stratégiques, au sein des ministères des Armées et des Affaires étrangères, mais aussi du Centre National d’études Spatiales (CNES). Sur une soixantaine de pages, ils brossent les enjeux et les ambitions de la France en termes de « stratégie spatiale de défense »: réforme du droit pour rendre les opérations plus fluides, rédaction d’une doctrine, développement de capacités
industrielles et militaires, mise en place d’une organisation plus adaptée aux besoins contemporains. Toute la démarche vise à faire gagner les armées en autonomie pour qu’elles puissent exécuter l’ensemble de leurs missions liées à l’espace.
C’estleprésidentemmanuelmacron qui a annoncé le premier cette réforme de l’organisation des armées, lors de son discours du 13 juillet à l’hôtel de Brienne. Il officialisait alors la création
d’un commandement spécifique, basé à Toulouse, et annonçait qu’à terme l’armée de l’air deviendrait l’armée de l’air et de l’espace. La ministre des Armées a pris le relais de la communication dès la semaine suivante pour officialiser la nouvelle « stratégie spatiale de défense », depuis le Centre Opérationnel de Surveillance Militaire des Objets Spatiaux (COSMOS) de Lyon-montverdun. Ces derniers mois, le gouvernement avait ouvertement évoqué les manoeuvres agressives d’objets spatiaux, notamment russes et chinois, en direction de satellites français et européens : plusieurs machines ont approché dangereusement plusieurs satellites, probablement pour tenter des interceptions de données, même si la nature réelle de ces actes reste pour l’instant inconnue.
Des armes françaises dans l’espace ?
La France reste évidemment très prudente sur la question du déploiement d’armes dans l’espace. Au cabinet de la ministre des Armées, Florence Parly, on assure que rien n’est prévu pour remettre en question les traités internationaux, qui n’interdisent pour l’instant que l’utilisation d’armes de destruction massive. Rien n’empêche la militarisation de l’espace et Paris prend de plus en plus conscience du risque d’affrontements qui y augmente à mesure que des manoeuvres hostiles sont observées. Dans le rapport de son groupe de travail, le ministère écrit ainsi : « L’emploi des moyens spatiaux va s’étendre de l’appui aux opérations conduites sur le globe vers les opérations dans l’espace pour y défendre les capacités déployées. » La logique reste et restera celle de l’« autodéfense », qu’un conseiller de la ministre illustre avec un franc-parler qui ne doit pas laisser planer le doute : « Nous répliquerons si on nous attaque. […] Si on fait un démonstrateur de puissance, ce n’est pas pour beurrer les sandwichs. […] Nos alliés ont été informés. »
De quoi parle-t-on exactement? Tout reste à préciser. Mais le cabinet de la ministre des Armées assume désormais clairement la possibilité de placer des armes sur certains objets spatiaux, comme les satellites de communication et de renseignement Syracuse IV, CERES et CSO, pour l’instant dotés uniquement de caméras pour surveiller des approches hostiles : « Demain, ils pourront être équipés de moyens d’autodéfense qui restent à préciser. Cela peut être du laser, cela peut être de la mitrailleuse. » Une autre piste est celle d’essaims de nanosatellites qui pourraient patrouiller autour de satellites stratégiques. Dans tous les cas, ces hypothèses ne semblent pas avoir encore donné lieu à des études beaucoup plus concrètes. Tout juste laisse-t-on entendre que ces différentes technologies sont plus ou moins mûres au sein des industries française et européenne : pour une « mitrailleuse », cela pourrait se faire relativement vite ; pour des nanosatellites, la compétence pourrait être maîtrisée à un horizon de trois ans ; pour du laser, « il faut confesser que la France est en retard », lâche-t-on au cabinet.
En la matière, on relève à Paris que « cela fait au moins une quinzaine d’années que les États-unis, la Chine et la Russie ont la logique dans laquelle nous nous inscrivons aujourd’hui ». Ces trois pays, ainsi que l’inde, ont déjà effectué différentes formes de tirs vers l’espace pour neutraliser des satellites,
entraînant la dispersion de débris. La France souhaite pour l’instant éviter d’en arriver là et préférerait d’autres moyens de neutraliser les menaces. Les armes envisagées pourraient de ce fait servir à neutraliser un agresseur, en attaquant ses réseaux informatiques ou ses sources d’alimentation, plutôt qu’à le détruire à proprement parler.
La priorité à court terme reste cependant d’améliorer les capacités de surveillance de l’espace. D’ici à 2022, le Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale (GRAVES), chargé de la surveillance des orbites basses (moins de 2 000 kilomètres), doit être « rénové » afin d’allonger sa durée de vie et d’augmenter ses performances actuelles. Son successeur doit être mis en chantier dès le début des années 2020. Un effort important doit être consacré à l’amélioration de la connaissance de l’orbite basse et de l’orbite géostationnaire. Les radars de trajectographie SATAM seront de leur côté modernisés au cours de la Loi de Programmation Militaire (LPM) actuelle et devraient être remplacés à l’horizon 2030.
La liste de courses est là pour le moins longue : acquisition de radars imageurs capables de reconnaître les objets (GRAVES ne fait que les détecter), développement d’un démonstrateur de radar à très longue portée, achat de services d’imagerie de l’espace… Le ministère des Armées a d’ores et déjà fait basculer 700 millions d’euros supplémentaires au profit de l’espace, pour atteindre 3,6 milliards d’euros sur la durée de la LPM. Selon le cabinet de Florence Parly, les sommes qui devraient être engagées d’ici à 2030 représentent déjà une augmentation de 2,2 milliards par rapport à ce qui était initialement prévu.
La France entend s’appuyer, pour le développement de ces différents équipements et services, sur des géants nationaux et européens comme Thales, Airbus et Arianespace. Les partenariats avec des alliés européens devraient se multiplier. « Dès que nous le pourrons, nous ferons appel à la coopération », explique-t-on au cabinet de la ministre. Paris parle pour cela beaucoup avec Berlin, les deux ministres de la Défense ayant échangé ces derniers mois à propos d’un projet commun pour la future génération de radars SATAM chargés de suivre les objets en orbites basses.
L’enjeu est la protection des moyens déployés dans l’espace et qui sont cruciaux pour la France. Il convient de distinguer ici deux aspects. Le premier relève des «opérations spatiales militaires », menées directement dans l’espace : soutien aux capacités spatiales, connaissance de la situation spatiale, action dans l’espace, commandement et contrôle. Le second porte plus directement sur l’appui aux opérations en général, avec des capacités aussi variées que l’observation, l’écoute, l’alerte avancée, les communications et le géopositionnement. Mais il s’agit aussi d’équipements civils qui pourraient être visés par des agresseurs voulant menacer les intérêts du pays, notamment sur le plan économique. Prenant les satellites Galileo pour exemple, l’équipe de Florence Parly affirme sa position : « Nous avons une volonté de protéger non seulement les assets militaires, mais aussi les intérêts économiques majeurs. »
Outre la protection, les armées françaises cherchent une solution pour améliorer la résilience des équipements déployés dans l’espace. L’ensemble des moyens devrait être progressivement durci pour mieux résister aux attaques. L’hypothèse privilégiée pour l’instant pour garantir la pérennité des outils est celle de «lanceurs réactifs» ou « tactiques » qui permettraient, sur très courts préavis, de redéployer des satellites de remplacement en cas de neutralisation par des ennemis. Autre piste évoquée dans le groupe de travail du ministère : des « pseudo-satellites à haute altitude » (HAPS) qui pourraient assurer le relais grâce à des dirigeables.
Des militaires pour piloter des satellites
Tous ces projets capacitaires sont directement liés à la nouvelle organisation adoptée par le ministère des Armées. La mise en place d’un CDE, le 2 septembre 2019, sous la responsabilité du chef d’état-major de l’armée de l’air, indique une ambition militaire renouvelée. Celui-ci regroupe à Toulouse, en plein coeur du pôle industriel aérospatial français, 220 personnes issues des autres formations du ministère. « Il a vocation à croître, assure-t-on dans l’entourage de la ministre, dans une mesure qui n’est pas encore connue. Mais l’idée est d’être doté de capacités terminales d’ici à la fin de la loi de programmation militaire. » La nouvelle organisation des forces et notamment la relation structurelle entre air et espace seront donc à décider d’ici à 2025 au plus tard.
Le personnel intégré dans ce nouveau commandement est largement issu des formations déjà existantes : le Commandement Interarmées de l’espace (CIE), qui suivait jusqu’ici les aspects opérationnels au profit de l’état-major des Armées et qui est totalement absorbé ; le COSMOS de la base aérienne 942 de Lyon-mont Verdun, chargé de la surveillance de l’espace ; le Centre Militaire d’observation par Satellites (CMOS), qui gère les outils d’observation spatiale, qu’ils soient militaires ou commerciaux, au profit de la Direction du renseignement militaire. L’objectif est donc de regrouper progressivement les acteurs liés au spatial pour n’avoir plus que des unités opérationnelles et des bureaux de liaison dans les autres organismes. Le CDE centralisera de plus les questions industrielles, doctrinales et juridiques ayant trait aux enjeux spatiaux militaires.
Pour l’instant, seule une équipe de précurseurs s’est installée à Toulouse. À terme, le CDE devrait regrouper une multitude de bureaux chargés des différents points à suivre : opérations spatiales, relations extérieures, liaison avec les alliés, transformation et emploi, préparation opérationnelle, stratégie industrielle, export… Le reste des effectifs devrait progressivement arriver au fil des mutations depuis les autres organismes. Le général de brigade aérienne Michel Friedling, qui commandait déjà le CIE, poursuit sa mission en tant que chef du CDE.
Toulouse, c’est aussi le CNES, sous tutelle des ministères de l’enseignement supérieur et des Armées. Ce vaste site d’une cinquantaine d’hectares regroupe notamment les centres d’opérations depuis lesquels est géré le pilotage des satellites français. « La relation entre le ministère des Armées et le CNES devra être resserrée et prendre en compte les évolutions de gouvernance interne du ministère », estime le rapport du groupe de travail. L’évolution la plus significative sur le plan organisationnel portera sur la formation de militaires à la manoeuvre de satellites afin que les armées puissent être parfaitement autonomes en la matière.
Pour l’institution, la mise en place de cette nouvelle organisation se veut aussi l’affichage d’ambitions. Avec une structure très verticalisée, dotée d’une réelle hiérarchie, de chefs identifiés et d’une grande visibilité, il s’agit aussi de pouvoir recruter des compétences parmi les meilleurs jeunes talents du spatial. Qu’il s’agisse d’experts civils, de jeunes réfléchissant à la construction de leur carrière ou d’officiers fraîchement diplômés, le spatial doit dorénavant être une direction possible et valorisée au sein des forces. À titre d’exemple, l’école de l’air de Salon-de-provence doit se doter d’une spécialité « Espace » qui permettra la formation des officiers destinés à servir dans ce domaine. Plus largement, une académie de l’espace devra assurer des formations de niveaux différents, au profit des militaires et des civils dont l’institution a besoin. Cet organisme devra enfin coordonner les recherches de stages et les liens avec d’autres organismes de formation, notamment les grandes écoles d’ingénieurs.