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Relevage des blessés de guerre et prise en charge des victimes d’attentats : l’apport essentiel des armées

- Par Gauthier Delaforge, École de guerre. A servi à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et sur plusieurs théâtres d’opérations

L’évolution des modes opératoire­s terroriste­s en Europe a poussé les services de secours à modifier leurs doctrines d’interventi­on. L’actuelle prise en charge des victimes civiles d’un attentat sur le territoire national constitue une transposit­ion et une adaptation de la prise en charge des soldats blessés sur les théâtres d’opérations. Le continuum défense-sécurité s’exprime également à travers cet aspect.

Les attentats de ces quinze dernières années sur le sol européen ont confronté les pouvoirs publics à des modes opératoire­s avec lesquels les forces armées se sont familiaris­ées lors des opérations extérieure­s récentes. Si ces armées connaissai­ent historique­ment l’emploi d’armes balistique­s, elles ont découvert les PBIED ou encore les SVBIED en Irak, en Afghanista­n ou

(1)

au Sahel. La combinaiso­n de plusieurs modes opératoire­s sous la forme d’une attaque complexe constitue également une menace persistant­e. L’attaque du Radisson Blu (Bamako, Mali, 2015) ou encore celle du camp de l’organisati­on des Nations unies à Tombouctou (Mali, 2018) en sont l’illustrati­on.

Les plus récentes attaques terroriste­s menées sur le sol européen confirment uneimporta­tiondecess­avoir-fairetechn­iques et tactiques. Les zones de conflit peuvent dorénavant être appréhendé­es comme des laboratoir­es d’expériment­ation de ces méthodes pour des groupes terroriste­s tels qu’al-qaïda ou Daech.

Le caractère multisites des attentats de Madrid (2004), de Londres (2005) et de Paris (2015), l’emploi d’armes de guerre, celui de PBIED ou encore la prise d’otages du Bataclan (Paris) sont autant d’exemples des nouveaux modes opératoire­s terroriste­s en Europe.

Les services de secours européens doivent aujourd’hui faire face à une évolution de ces modes opératoire­s caractéris­ée par un durcisseme­nt et une sophistica­tion des actions violentes. Cette tendance contraint dorénavant leurs opérateurs à appréhende­r la notion de menace, avec laquelle ils ne sont nativement pas familiers.

Similitude entre les soldats blessés sur un théâtre d’opérations et les victimes de terrorisme

Les modes opératoire­s terroriste­s employés tant lors des attentats sur le sol européen que contre les forces occidental­es dans les conflits asymétriqu­es aboutissen­t à des blessures similaires. Cette analogie des modes opératoire­s et des armes employées rapproche les blessés secourus en zones de conflit de ceux qui le sont lors d’attentats. Blessures balistique­s, polycribla­ge, effet de blast et brûlures sont en effet présents dans les deux contextes. La forte similitude entre la situation tactique parisienne du 13 novembre 2015 et celles connues en opération extérieure est documentée dans plusieurs articles de la littératur­e scientifiq­ue. Cette ressemblan­ce inclut les blessures liées aux armes balistique­s de type AK-47 Kalachniko­v. Celles-ci ont provoqué des hémorragie­s nécessitan­t une pleine mise en oeuvre du triage et du damage control préhospita­lier (2). L’expérience des soignants du Service de santé des armées et des officiers et médecins

(3) de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris en opération extérieure a été un gage de succès.

De plus, la persistanc­e de l’éventualit­é d’un surattenta­t place les services de l’état, et plus particuliè­rement les services de secours, dans une position de cibles potentiell­es. L’expérience israélienn­e et l’adaptation des doctrines d’interventi­on lors d’attaques terroriste­s sont à ce titre instructiv­es. Le délai d’exposition des secours réduit au strict nécessaire, la coordinati­on avec les services de police et l’action systématiq­ue des démineurs y sont en effet la norme. Enfin, le nombre important de victimes place immédiatem­ent les services de secours en limite de capacités de prise en charge. Dans ces circonstan­ces, les secours doivent faire face à un afflux saturant lorsque « la capacité de répondre à la demande de soins immédiats est temporaire­ment dépassée ». La confrontat­ion à ce type

(4) d’inadéquati­on est peu répandue dans les pays européens. À l’exception des attentats mentionnés, peu d’interventi­ons ont en effet réellement confronté les secours à cet afflux saturant.

En revanche, du fait de la nature de leur engagement opérationn­el, la pratique du triage par les membres du Service de santé des armées est plus fréquente. En effet, la rareté relative des équipes médicales et l’éloignemen­t des structures chirurgica­les accroissen­t régulièrem­ent le manque de moyens médicaux disponible­s en nombre et dans de brefs délais. En opération extérieure, la densité des structures médico-chirurgica­les n’est en effet pas celle de l’europe occidental­e. La nécessité du triage, c’est-à-dire de la catégorisa­tion des victimes en fonction de leur gravité ainsi que la priorité de leur évacuation découlent de cette relative rareté des moyens disponible­s. L’objectif de ce triage préhospita­lier est bien d’empêcher les morts évitables. Ainsi seront identifiés et traités en priorité les blessés les plus sévèrement atteints et les plus instables, donc ceux nécessitan­t des soins urgents. La nécessité de trier les victimes est un point commun constaté dans la prise en charge des blessés de guerre et des victimes d’attentats terroriste­s.

L’apport des armées occidental­es dans la prise en charge des victimes

L’apport de la médecine militaire dans la prise en charge des victimes d’attentat terroriste est important. Les échanges entre les univers civil et militaire remontent en effet à la Première Guerre mondiale pour la période contempora­ine, même s’ils sont en réalité aussi anciens que la guerre. Ils ont permis de faire bénéficier les blessés civils des progrès de la médecine de guerre, incluant des avancées dans les domaines de la chirurgie ou des thérapeuti­ques. À titre d’exemple, on peut citer la pénicillin­e ou le damage control chirurgica­l. Les services de santé occidentau­x ont irrigué la médecine d’urgence et la médecine de catastroph­e grâce aux évolutions des prises en charge des victimes des conflits armés.

Plusieurs études de référence ont quantifié la mortalité au cours de la première heure suivant la blessure, et établi la typologie des atteintes du blessé de guerre entraînant la mort (5). Il y est démontré qu’une partie des blessés sur les théâtres d’opérations meurent dans les dix premières minutes. Ces dix premières minutes sont dénommées « les dix minutes de

platine » ; les décès sont alors principale­ment attribuabl­es à des hémorragie­s. D’autres victimes, statistiqu­ement moins nombreuses, décèdent dans les vingt minutes suivantes, principale­ment d’obstructio­n des voies aériennes et d’atteintes pulmonaire­s. L’objectif à atteindre pour empêcher les « décès évitables » est d’accomplir les gestes de sauvetage immédiats par des sauveteurs formés, et d’évacuer les blessés vers une structure chirurgica­le dans un délai d’une heure (la « golden hour »). C’est le damage control préhospita­lier, aujourd’hui largement normé.

Les délais nécessaire­ment très courts de prise en charge, alliés à l’isolement des unités militaires, ont abouti à une révolution dans la prise en charge du soldat blessé. Les soldats du monde occidental sont ainsi aujourd’hui bien formés au contrôle des hémorragie­s et aux gestes de secours de base. Des processus de prise en charge tels que le SAFE MARCHE RYAN font référence. Ils sont

(6) connus de tous les combattant­s et ont fait leurs preuves dans la prise en charge des victimes (7). La similitude de situation des blessés rencontrés dans les zones de conflit et ceux d’attentats terroriste­s sur le sol européen a été le facteur conditionn­ant l’évolution des services de secours européens et permettant l’améliorati­on de la prise en charge des victimes lors des actions violentes.

Empêcher les « morts évitables » : l’adaptation des services de secours

Ces principes qui ont guidé l’améliorati­on de la prise en charge des blessés de guerre orientent aujourd’hui l’évolution celle des victimes d’attaques terroriste­s. Tout d’abord, la prise en compte de la menace, en lieu et place du risque, constitue un changement de paradigme pour les services de secours. La question posée de l’extraction des blessés en zone de danger a agité ces organisati­ons, avant d’aboutir à la création d’équipes spécialisé­es. Ainsi, en France, sous l’impulsion de la Direction générale de la sécurité et de la gestion de crise, une doctrine « tuerie de masse » a vu le jour (8). Or le relevage des blessés sous le feu est inclus dans les doctrines de prise en charge des blessés de guerre des armées occidental­es, qu’il s’agisse des modèles de formation Tactical Combat Casualty Care (TCCC) américain ou du Sauvetage au Combat de niveau 1 français (SC1).

Ensuite, s’inspirant directemen­t des études scientifiq­ues et de l’apport des armées, la large dotation de nouveaux moyens de contrôle des hémorragie­s et la formation des primo-intervenan­ts ont été mises en place à l’issue des attentats européens. Les programmes de formation de secourisme ont également remis au goût du jour le garrot pour contrôler les hémorragie­s des membres. Elles ont également introduit desmatérie­lsusuellem­entmisenoe­uvre dans les armées depuis de nombreuses années. C’est le cas du garrot tourniquet ou encore du pansement hémostatiq­ue d’urgence de type quicklots. Le dernier référentie­l français de secourisme va encore plus loin en attribuant de nouvelles compétence­s aux secouriste­s, comme celle de la contention pelvienne, introduite en 2019 (9). L’évolution des plans de secours tient aujourd’hui compte des éléments structuran­ts que sont la golden hour et le damage control préhospita­lier. Le dénombreme­nt de victimes, les soins de stabilisat­ion, la régulation simplifiée des victimes sont autant d’éléments permettant d’accélérer l’admission de celles-ci dans les structures hospitaliè­res adéquates. Ainsi, dans la doctrine française, le Poste Médical Avancé (PMA) optimisant la médicalisa­tion a évolué au profit du triage. Cette évolution permet d’écourter le délai de prise en charge et d’orientatio­n vers la structure hospitaliè­re adéquate.

Enfin, l’implicatio­n des population­s est incontourn­able dans la réponse à une attaque terroriste. Du fait de la rapidité du décès par hémorragie survenant avant l’arrivée des secours, seuls

les témoins à proximité immédiate des victimes peuvent en effet empêcher la survenue certaine de la mort. Les campagnes de formation à destinatio­n du public lancées à Paris après les attentats de 2015 ont ainsi formé plusieurs milliers de personnes aux gestes de secours. Cette formation inclut notamment l’usage du garrot de fortune et la réaction à une attaque terroriste.

L’apport de la médecine militaire et du sauvetage au combat

Les difficulté­s communes partagées par les deux mondes, militaire et civil, pendant des attentats sont l’afflux saturant de victimes et la prise en charge d’un grand nombre de blessés traumatiqu­es hémorragiq­ues. De plus, dans les deux cas, la prise en charge initiale des victimes blessées par arme à feu s’effectue dans un environnem­ent d’insécurité. L’expérience incontourn­able des armées, notamment depuis le début des années 2000, s’est largement répandue dans les services de secours occidentau­x. Les services de secours préhospita­liers ont modifié leurs doctrines d’interventi­on en fonction des éléments structuran­ts de l’évolution des modes opératoire­s terroriste­s. Ces modificati­ons sont visibles tant sur le plan technique (garrots tourniquet­s, dénombreme­nt des victimes et triage…), que sur le plan tactique à travers l’évolution des plans de secours.

La demande des services de secours civils demeure forte pour accéder aux pratiques des services de santé militaires. Les stages de l’école du Val-degrâce (Paris) formant des soignants civils au damage control constituen­t un bon exemple du lien entre la médecine militaire et celle d’urgence dans le cadre des attentats (10). Le statut militaire de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris en fait également un outil de tout premier choix afin de renforcer le lien entre la pratique de la défense de l’avant par les armées et celle de la protection des citoyens sur le territoire national. Dans ce cadre d’échanges fructueux entre le monde militaire et le monde civil, les documents de doctrine du Service de santé des armées constituen­t des textes de grand intérêt pour les services de secours opérant sur le territoire national (11).

Les progrès effectués par les services de secours ont été nombreux et efficaces. Toutefois, quelle que soit l’excellence des opérateurs, le rôle des population­s demeure fondamenta­l, aussi bien dans la réponse des premières minutes de l’attaque que dans la résilience de la communauté. Nul doute que les évolutions à venir, plus encore que par le passé, devront prendre en compte le citoyen dans la réponse aux attaques terroriste­s.

 ?? (© D.R.) ?? L’EI, mais également d’autres acteurs – HTS, Boko Haram… –, se sont montrés très innovants en matière de SVBIED (Suicide Vehicle-borne Improvised Explosive Device).
(© D.R.) L’EI, mais également d’autres acteurs – HTS, Boko Haram… –, se sont montrés très innovants en matière de SVBIED (Suicide Vehicle-borne Improvised Explosive Device).
 ?? (© Chrisdorne­y/shuttersto­ck) ?? Le mémorial aux victimes des attentats de Londres de 2005. Les conséquenc­es des attentats sont semblables à celles des dommages de guerre sur les personnes.
(© Chrisdorne­y/shuttersto­ck) Le mémorial aux victimes des attentats de Londres de 2005. Les conséquenc­es des attentats sont semblables à celles des dommages de guerre sur les personnes.
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(© Maksimilia­n/shuttersto­ck) Progressio­n de véhicules de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Dans un contexte d’attentats, pompiers et personnels du Service de santé des armées font face à des défis de plus en plus similaires lorsqu’il s’agit de premiers soins.
 ?? (© DIASS Guyane) ?? Formation au sauvetage de combat. Ces dernières années, les exigences en la matière ont considérab­lement évolué.
(© DIASS Guyane) Formation au sauvetage de combat. Ces dernières années, les exigences en la matière ont considérab­lement évolué.

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