Sommet tendu
Le dernier sommet de L'OTAN s'est tenu les 3 et 4 décembre 2019 à Londres sans cependant déboucher sur des décisions majeures. En revanche, il a été l'occasion de procéder à une radioscopie non pas tant de L'OTAN – en tant qu'organisation – que de l'alliance atlantique. Début novembre, Emmanuel Macron annonçait ainsi une Alliance « en état de mort cérébrale ». Donald Trump, plus classiquement, s'en prenait aux États membres n'ayant pas atteint 2 % du PIB consacré à leur effort de défense, indiquant que ceux au-dessous de 1 % – la Belgique, le Luxembourg et l'espagne – étaient « de grands délinquants ». Si la focalisation américaine sur le partage du fardeau n'est historiquement pas nouvelle, la rhétorique de l'administration Trump la radicalise. Reste cependant que, depuis 2014, les progrès enregistrés ont été, à de rares exceptions, considérables. Si seuls huit pays ont dépassé le seuil de 2 %, certaines évolutions sont remarquables, à commencer par le fait que plus aucun budget n'a reculé et que, de 2016 à la fin de 2019, 130 milliards de dollars supplémentaires ont été dépensés. Au-delà, le sommet suivait de peu la publication des nouvelles statistiques sur les dépenses de défense des États membres (voir tableau).
Entre 2014 et 2019, la Bulgarie a accru son budget de 193,9%, la Slovaquie de 110 %. Si l'augmentation est de 3,3 % pour les États-unis, elle est de 8,78 % pour la France et de 7,70 % pour le Royaume-uni, et même de 26,48 % pour l'allemagne. Pour la première fois d'ailleurs, le budget allemand est plus important que le français. On note également que 15 États membres ont atteint le seuil de 20% des dépenses de défense affectés aux équipements – soit l'autre engagement du sommet de Newport. Pour ce qui concerne le matériel, un peu avant le sommet, le contrat de modernisation des 14 E-3A AWACS de l'organisation a été signé. Les appareils devraient donc rester en service jusqu'en 2035. Toujours sur le plan matériel, la République tchèque a rejoint la MMF (Multinational MRTT Fleet) le 24 octobre, devenant le sixième pays participant (avec l'allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Norvège et les Pays-bas). La flotte est susceptible de s'agrandir à d'autres États, tout comme d'autres A330MRTT pourraient être commandés en sus des huit qui le sont actuellement.
C’est cependant la sortie d’emmanuel Macron qui a le plus attiré l'attention – l'année des 70 ans de L'OTAN et peu avant le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin. Elle a eu lieu dans le contexte plus large des décisions américaines à l'égard du Kurdistan syrien : le retrait, puis le maintien d'éléments en protection des ressources pétrolières ; de la posture générale de l'administration Trump à l'égard des Alliés ; mais aussi de l'attitude turque. Pour l'élysée, la question est celle de la philosophie d'une alliance que l'atlantique tend à diviser plus qu'à rassembler. Il s'agit ainsi de mettre en avant l'unité européenne… avec en ligne de mire les efforts en faveur d'une défense européenne. Mais le positionnement porte également sur la finalité « concrète » de l'alliance et la désignation de l'adversaire. Là, E. Macron cite clairement « le terrorisme » et non la Russie comme menace première. Reste que le point de vue n'est pas fondamentalement partagé.
Pour une bonne part des États membres, le danger est d'abord
russe et, de facto, les déclarations du président français ont été favorablement accueillies à Moscou. L'allemagne, au contraire, a estimé par la voix d'angela Merkel que le président a « surréagi ». Toujours selon elle, « le président français a trouvé des mots assez radicaux pour exprimer ses points de vue. Ce n’est pas ainsi que je vois l’état de la coopération dans L’OTAN ». Dans la foulée, elle déclarait que L'OTAN était « la pierre angulaire de la sécurité de l’allemagne ». In fine, la France n'a donc pas entraîné d'autres pays dans son sillage. Pis, certains peuvent la considérer comme un facteur de perturbation équivalent aux États-unis ou à la Turquie dans un contexte où nombre d'états ont une position attentiste au regard de l'évolution de l'alliance. Reste que d'autres pays s'accrochent à l'idée que l'administration Trump ne sera pas éternelle et qu'un « retour en arrière » dans les relations transatlantiques finira par arriver… À voir, dès lors qu'il n'est pas impossible que l'actuelle administration américaine rempile pour un autre mandat…
Au-delà des enjeux politiques, le sommet lui-même a débouché sur des résultats concrets, mais discrets. L'espace est ainsi reconnu par les États membres comme un domaine opérationnel. La déclaration finale accorde également une grande attention à la sécurité des réseaux ; mais aussi à la question du contrôle des armements, en particulier dans un contexte post-inf et alors que la Russie accroît ses capacités – pour l'heure sans aucune contrepartie européenne ou américaine. En l'occurrence, le même communiqué final montre que les actions offensives russes sont toujours perçues comme une menace, au même titre que ses actions hybrides. L'influence grandissante de la Chine et de ses politiques est également reconnue, ce qui est qualifié comme présentant « des opportunités et des défis » – notamment au regard de technologies comme la 5G. Paradoxalement donc, autant L'OTAN en tant qu'organisation intégrée fonctionne plutôt bien, autant l'alliance qui sous-tend l'organisation semble secouée par plusieurs débats dont la résolution apparaît de facto essentielle pour la cohésion de l'ensemble…
En dépit des rodomontades américaines, les États membres continuent cependant de s'accrocher à L'OTAN. En témoigne le récent contrat de 166 millions d'euros accordé par la Pologne à un consortium germano-polonais. Il porte sur la construction d'un Long-term Equipment Storage Maintenance Complex (LTESM-C) sur la base aérienne polonaise de Powdiz. En l'occurrence, les installations doivent permettre d'accueillir de manière permanente le matériel d'une brigade américaine, à la manière des POMCUS (Prepositioning Of Materiel Configured in Unit Sets) de la guerre froide. Les installations comprennent notamment des ateliers et 60 000 m² de stockage avec contrôle du taux d'humidité et permettront d'entreposer notamment 85 chars M-1 Abrams, 130 M-2/M-3 Bradley et 18 M-109A6/17 Paladin, en plus de leurs systèmes de soutien, de leurs munitions, lubrifiants et carburants. •