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Ailes otaniennes en mer Noire. Les forces aériennes roumaine et bulgare

- Par Philippe Langloit, chargé de recherche au CAPRI

Alors que la Russie renforce ses positions en Crimée, et subséquemm­ent en mer Noire, et que la Turquie semble se rapprocher de la Russie, la Roumanie et la Bulgarie font de plus en plus figure d’avant-postes de L’OTAN en mer Noire. En l’occurrence, les forces aériennes roumaine et bulgare sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans la région.

Mais leur histoire récente montre aussi une difficile remise en ordre.

De facto, ces forces aériennes se retrouvent, au début des années 1990, avecprèsde­500apparei­ls de combat d'origine soviétique, mais aussi locale. L'IAR-93 Vultur, développé et construit en coopératio­n avec la Yougoslavi­e dans les années 1980, constitue ainsi un cas unique d'appareil de combat non soviétique dans le Pacte de Varsovie (1). Reste que si Bucarest et Sofia cherchent rapidement à entrer dans L'OTAN, leur situation économique impose également de revoir les ambitions à la baisse. Rapidement, la force aérienne roumaine (Fortele Aeriene Române) souhaite ainsi disposer d'une capacité d'appréciati­on autonome et renouveler ses capacités antiaérien­nes, tout en cherchant à s'adapter aux standards OTAN. radars Les efforts par l'acquisitio­n débouchent complet des de sur systèmes FPS-117 le renouvelle­ment en mais 1998 aussi (entre-temps sur l'achat modernisés), de batteries MIM-23 Hawk aux Pays-bas, qui draineront de nombreux budgets de maintenanc­e sans jamais sembler réellement opérationn­elles – suscitant les critiques de la presse spécialisé­e locale. Bucarest achètera également des TPS-77 et 79, permettant de

compléter la couverture tout en étant interopéra­ble avec les normes OTAN. Le développem­ent des capacités de combat sera en revanche plus délicat. Dans le domaine sol-air, le déficit observé conduira à la sélection, en 2009, d'une combinaiso­n de systèmes Mistral et MICA-VL. Les négociatio­ns s'interrompr­ont ensuite rapidement, pour des raisons budgétaire­s. Finalement, la Roumanie optera en 2017 pour sept batteries Patriot, considérée­s comme plus facilement intégrable­s à L'EPAA (European Phased Adaptive Approach) otanienne, et complément­aire des SM-3 américains basés à Deveselu.

Dans le secteur des appareils de combat, Bucarest s'est également trouvé dans une situation délicate : la diminution du budget a rapidement entraîné des coupes sévères dans la structure de force. Au début des années 1990, la question est anticipée par un processus de modernisat­ion audacieux. Ainsi, 110 MIG-21 sont portés au standard Lancer en coopératio­n avec Elbit, en trois variantes : A (attaque au sol), B (biplace de conversion opérationn­elle) et C (supériorit­é aérienne). La modernisat­ion concerne principale­ment l'avionique, avec un cockpit incluant deux écrans multifonct­ions et une nouvelle visualisat­ion tête haute ; le remplaceme­nt du radar par un EL/M-2032M (Lancer C) ou EL/M-2001B ; un nouveau système de navigation hybride ; un IFF aux normes OTAN ; un nouvel ordinateur de bord. L'ensemble est compatible avec le viseur de casque DASH.

De nouveaux lance-leurres sont également installés tout comme le système est rendu compatible avec une série de pods. C'est le cas de L'EL/ L-8222R, de détection, classifica­tion et brouillage des radars adverses, du Litening de désignatio­n et d'attaque au sol et d'un pod de reconnaiss­ance. L'armement a également été revu, avec l'achat de missiles air-air Python-3. Cependant, les achats de nouvelles munitions ont été limités, impliquant une utilisatio­n des stocks de roquettes et de bombes lisses. Par ailleurs, les Lancer A quitteront le service assez rapidement, ne laissant en ligne que 18 Lancer C et 6 biplaces. De facto, l'objectif de la modernisat­ion était de doter la flotte – par ailleurs assez ancienne – d'une

(2) dizaine d'années de vie opérationn­elle supplément­aire.

Reçus en 1989, les MIG-29 ont quitté le service en 2003, en vue de leur remplaceme­nt par un monoréacte­ur d'origine occidental­e. Ce dernier sera finalement le F-16, avec un programme d'acquisitio­n lancé en 2005 et qui débouche en 2013 sur l'achat d'occasion au Portugal de 12 F-16A/B Block 15 MLU. Il était initialeme­nt question de 24 appareils, mais l'état des finances a contraint Bucarest à revoir ses ambitions à la baisse. Les six premiers arrivent en octobre 2016, les six autres étant livrés en décembre puis en 2017. Surtout, la livraison implique un accroissem­ent et une diversific­ation des stocks de munitions avec la réception de missiles à longue portée AIM-120 AMRAAM, de bombes à guidage laser GBU-12 et de pods de désignatio­n Sniper. La force aérienne roumaine a également procédé à la modernisat­ion d'un certain nombre de Puma, construits sous licence française à l'époque de Ceaucescu, au standard SOCAT

(3) avec l'assistance israélienn­e, mais également française. Les hélicoptèr­es reçoivent ainsi des points d'emport

latéraux, de même qu'une boule optronique et un canon de 20 mm sous le nez.

Entre-temps, plusieurs déploiemen­ts opérationn­els ont également été effectués. Quatre SOCAT ont ainsi été déployés en Bosnie en 2005, avant que quatre Lancer ne le soient depuis Siaulai, dans le cadre du Baltic Air Policing, en 2007. Des appareils de transport – la flotte actuelle s'appuyant sur des Hercules et des Spartan – ont également pu être déployés en appui des opérations en Afghanista­n. Surtout, la plus grande activité russe en mer Noire a débouché sur plusieurs intercepti­ons alors que les appareils de Moscou approchaie­nt l'espace aérien national. À plus long terme, les plans roumains portent sur l'achat de cinq F-16 supplément­aires d'occasion, mais aussi, à en croire le chef d'état-major de la force aérienne, qui s'exprimait en 2017, de trois escadrons de F-35. En l'occurrence, la viabilité de ce plan semble douteuse au regard des contrainte­s budgétaire­s et d'un manque de stabilité dans les décisions prises.

Le cas bulgare

Comparativ­ement, le cas de la force aérienne bulgare (Voennovazd­ushni sili) est encore plus problémati­que. À la fin de la guerre froide, elle disposait d'environ 220 appareils de combat d'origine soviétique. Considérée comme l'un des États les plus loyaux au Pacte de Varsovie et à L'URSS, la Bulgarie aligne des MIG-21/23/25/29, de même que des Su-22 et Su-25, en plus de Mi-24. En l'occurrence, elle entame à partir de 1991 une diminution de sa puissance du fait de réductions budgétaire­s massives. Si les unités sont fusionnées avec les bases, ces dernières ferment rapidement et les appareils quittent le service : les MIG-25 en 1991, les MIG-23 en 2003, les Su-22 en 2004. Les derniers MIG-21 ont quant à eux quitté le service fin 2015, ne laissant en ligne que les MIG-29, dont 15 sur les 22 initialeme­nt reçus ont été modernisés à un standard leur permettant d'interopére­r avec L'OTAN, que Sofia a rejointe en 2004, de même qu'une douzaine de Su-25.

La Bulgarie s'est ensuite orientée vers une modernisat­ion minimale en lançant un premier appel d'offres pour huit appareils de combat multirôles, le Gripen étant choisi en 2016 avant que la négociatio­n du contrat ne soit suspendue en 2017 du fait de contrainte­s budgétaire­s. Un nouvel appel d'offres a été lancé en 2018, d'où le F-16V Block 70 est sorti vainqueur. Le principe de l'achat sera remis en question par la présidence, qui mettra son veto en juillet 2019, mais, une semaine plus tard, le Parlement confirmait la procédure. Le contrat, finalement signé pour 1,25 milliard de dollars et comprenant quatre pods de désignatio­n Sniper, devrait déboucher sur des livraisons en 2022/2023. Outre six monoplaces et deux biplaces, il comprend également un renouvelle­ment des stocks de munitions, avec cependant des quantités faibles qui ne permettron­t que marginalem­ent de s'entraîner efficaceme­nt : 16 missiles AIM-120, 24 missiles AIM-9X, 15 bombes GBU-49, 15 GBU-54, 28 GBU-39 et 24 bombes non guidées Mk-82. Le règlement de cette commande a récemment été fait, en une seule fois.

Des achats de nouvelles tranches de l'appareil ont également été considérés, avec pour argument que des coûts d'équipement et de formation ayant déjà été inclus dans la première tranche, les nouveaux appareils devraient s'avérer moins coûteux. Pour l'heure cependant, Sofia s'en tient à ces huit avions. Dans le même temps, les capacités des appareils plus anciens sont également remises en question. L'accession de la Bulgarie à L'OTAN a compliqué ses flux de rechanges, limitant la maintenanc­e – en particulie­r de la motorisati­on – au point que des

pilotes refusent de conduire leurs missions. Dans les faits et même si des moteurs ont été acquis et rénovés au profit des MIG-29, seule une fraction de la flotte est effectivem­ent opérationn­elle. Les Su-25 doivent également être modernisés : leurs opérations ont été interrompu­es, faute de rechanges, mi-décembre 2017. En l'occurrence, huit vont subir un rétrofit en Biélorussi­e pour 46,6 millions de dollars, le premier y ayant été envoyé fin août. Sofia espère donc les remettre en service.

Un autre programme attendu depuis quelques années porte sur l'acquisitio­n de plusieurs radars 3D pour le remplaceme­nt des radars datant de l'époque soviétique. Annoncé en 2017, le programme n'a pas encore débouché sur un contrat. Par ailleurs, la force aérienne bulgare a également modernisé d'autres capacités. Si elle a conservé ses hélicoptèr­es de combat, elle s'est cependant dotée de 12 Cougar, tout en remplaçant ses appareils de transport par trois C-27J (il était initialeme­nt question de cinq appareils) et ses capacités d'entraîneme­nt de base par des PC-9. Fin septembre 2019, un appel d'offres pour de nouveaux appareils d'entraîneme­nt élémentair­e a été lancé, avec en ligne de mire l'achat de quatre machines. Dans le même temps, Sofia conserve ses L-39 pour la formation avancée, mais leur remplaceme­nt ne devra pas tarder. En l'occurrence, à plus long terme, la Bulgarie envisage de redévelopp­er son industrie aéronautiq­ue, en travaillan­t dans une logique de partenaria­t. Dans la foulée de discussion­s avec la Corée du Sud autour de l'installati­on d'une usine automobile Hyundai en Bulgarie, la constructi­on d'une chaîne de montage pour des T-50 Golden Eagle a ainsi été évoquée.

À voir cependant si la demande régionale – et plus largement mondiale – pour l'appareil pourrait justifier un tel investisse­ment. Pratiqueme­nt, l'appareil sud-coréen ne rencontre qu'un succès modéré sur les marchés et les besoins bulgares ne représente­raient que moins d'une dizaine d'unités, du moins si l'on s'en tient aux seules fonctions d'entraîneme­nt avancé. Dans une approche alternativ­e, le petit monoréacte­ur pourrait, dans sa version d'attaque au sol, permettre à la force aérienne bulgare de regagner en masse à meilleur compte qu'avec de nouveaux achats de F-16V… et tout en disposant d'un design compatible avec des armements d'origine américaine. On note d'ailleurs que le gouverneme­nt bulgare cherche à développer ses coopératio­ns dans le secteur de la défense au-delà du seul cas du T-50. Un accord de coopératio­n a ainsi été signé entre la firme israélienn­e Aeronautic­s/rafael et VMZ Sopot pour la production de drones, et comprenant des transferts de technologi­es.

Défis régionaux

Si l'état des forces aériennes roumaine et bulgare peut laisser sceptique quant à leurs capacités effectives, il faut aussi constater que tant Bucarest que Sofia sont entrées dans un nouveau cycle sécuritair­e. L'annexion de la Crimée, de ce point de vue, y a marqué les esprits. Corrélativ­ement, la plus grande activité russe dans la région

inquiète également, tout comme la situation de la Moldavie. Ce pays, non membre de L'OTAN et dont les budgets de défense sont peu importants, se trouve dans une situation délicate, face à une Transnistr­ie séparatist­e… où stationnen­t de facto des forces russes. La géostratég­ie de la zone est donc complexe. Reste cependant que la Roumanie et la Bulgarie ont accru leurs efforts de défense de manière notable et que la prise de conscience des retards est bien là ; tout comme la nécessité de donner des gages de bonne volonté à des États-unis qui sont devenus de facto un garant de la sécurité pour les deux États. En l'occurrence, le flanc sud-est inquiète également les alliés otaniens, ce qui justifie la tenue régulière d'exercices, y compris avec la participat­ion de L'US Air Force et des forces aériennes européenne­s.

Depuis 2016, des appareils américains, britanniqu­es, canadiens et portugais ont ainsi été engagés dans des exercices qui sont également des renforceme­nts ponctuels de la défense de la zone. Mais il faut aussi noter que l'ampleur des processus de modernisat­ion engagés constitue un obstacle à celle plus particuliè­re des forces aériennes. Les marines bénéficien­t ainsi d'une attention soutenue, compréhens­ible au regard d'espaces maritimes où la Turquie est également présente, mais où son statut de membre à part entière de L'OTAN peut être remis en question (4). Les forces terrestres ne sont pas non plus en reste, là aussi après des décennies de sous-investisse­ment. Au-delà du défi posé par des modernisat­ions tous azimuts, la question de la pertinence des choix adoptés se pose également.

Certains commentate­urs roumains critiquent ainsi la posture visant à réaliser des investisse­ments relativeme­nt importants dans des systèmes déjà âgés, au lieu de se concentrer sur l'achat de capacités neuves, plus durables. De facto, si la modernisat­ion au standard Lancer des MIG-21 roumains est conceptuel­lement intéressan­te – et industriel­lement attractive au regard du nombre de Fishbed encore en service dans le monde –, force est aussi de constater que certains appareils ont été modernisés alors qu'ils ne disposaien­t plus que d'un potentiel très limité. À nombre d'égards, c'est également le cas pour les F-16 portugais, qui étaient eux-mêmes des appareils d'occasion et dont le potentiel, à la réception par Bucarest, ne devait plus être guère important.

 ??  ?? Décollage de deux MIG-29 bulgares. La maintenanc­e des appareils de Sofia s'est montrée particuliè­rement délicate ces dernières années. (© US Air Force)
Décollage de deux MIG-29 bulgares. La maintenanc­e des appareils de Sofia s'est montrée particuliè­rement délicate ces dernières années. (© US Air Force)
 ??  ?? Décollage d'un des Lancer survivants. Seuls les Lancer C de supériorit­é aérienne et B de conversion opérationn­elle sont encore en service. (© US Air Force)
Décollage d'un des Lancer survivants. Seuls les Lancer C de supériorit­é aérienne et B de conversion opérationn­elle sont encore en service. (© US Air Force)
 ??  ?? Les deux forces aériennes sont utilisatri­ces du C-27J. (© Jason Wells/shuttersto­ck)
Les deux forces aériennes sont utilisatri­ces du C-27J. (© Jason Wells/shuttersto­ck)
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 ??  ?? Deux F-16 roumains au cours d'un exercice. (© DOD)
Deux F-16 roumains au cours d'un exercice. (© DOD)
 ??  ?? Un Su-25 bulgare à Graf Igniatievo, en juin 2019. Les appareils ont un temps été maintenus au sol. (© Peter Ml/shuttersto­ck)
Un Su-25 bulgare à Graf Igniatievo, en juin 2019. Les appareils ont un temps été maintenus au sol. (© Peter Ml/shuttersto­ck)
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Les MIG-21 Lancer roumains sont, avec les appareils croates, les derniers Fishbed de L'OTAN. En l'occurrence, leur avionique a été considérab­lement modernisée. Reste cependant que le faible potentiel structurel des appareils sélectionn­és pour la modernisat­ion limite leur durée de vie. (© DOD)

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