Ailes otaniennes en mer Noire. Les forces aériennes roumaine et bulgare
Alors que la Russie renforce ses positions en Crimée, et subséquemment en mer Noire, et que la Turquie semble se rapprocher de la Russie, la Roumanie et la Bulgarie font de plus en plus figure d’avant-postes de L’OTAN en mer Noire. En l’occurrence, les forces aériennes roumaine et bulgare sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans la région.
Mais leur histoire récente montre aussi une difficile remise en ordre.
De facto, ces forces aériennes se retrouvent, au début des années 1990, avecprèsde500appareils de combat d'origine soviétique, mais aussi locale. L'IAR-93 Vultur, développé et construit en coopération avec la Yougoslavie dans les années 1980, constitue ainsi un cas unique d'appareil de combat non soviétique dans le Pacte de Varsovie (1). Reste que si Bucarest et Sofia cherchent rapidement à entrer dans L'OTAN, leur situation économique impose également de revoir les ambitions à la baisse. Rapidement, la force aérienne roumaine (Fortele Aeriene Române) souhaite ainsi disposer d'une capacité d'appréciation autonome et renouveler ses capacités antiaériennes, tout en cherchant à s'adapter aux standards OTAN. radars Les efforts par l'acquisition débouchent complet des de sur systèmes FPS-117 le renouvellement en mais 1998 aussi (entre-temps sur l'achat modernisés), de batteries MIM-23 Hawk aux Pays-bas, qui draineront de nombreux budgets de maintenance sans jamais sembler réellement opérationnelles – suscitant les critiques de la presse spécialisée locale. Bucarest achètera également des TPS-77 et 79, permettant de
compléter la couverture tout en étant interopérable avec les normes OTAN. Le développement des capacités de combat sera en revanche plus délicat. Dans le domaine sol-air, le déficit observé conduira à la sélection, en 2009, d'une combinaison de systèmes Mistral et MICA-VL. Les négociations s'interrompront ensuite rapidement, pour des raisons budgétaires. Finalement, la Roumanie optera en 2017 pour sept batteries Patriot, considérées comme plus facilement intégrables à L'EPAA (European Phased Adaptive Approach) otanienne, et complémentaire des SM-3 américains basés à Deveselu.
Dans le secteur des appareils de combat, Bucarest s'est également trouvé dans une situation délicate : la diminution du budget a rapidement entraîné des coupes sévères dans la structure de force. Au début des années 1990, la question est anticipée par un processus de modernisation audacieux. Ainsi, 110 MIG-21 sont portés au standard Lancer en coopération avec Elbit, en trois variantes : A (attaque au sol), B (biplace de conversion opérationnelle) et C (supériorité aérienne). La modernisation concerne principalement l'avionique, avec un cockpit incluant deux écrans multifonctions et une nouvelle visualisation tête haute ; le remplacement du radar par un EL/M-2032M (Lancer C) ou EL/M-2001B ; un nouveau système de navigation hybride ; un IFF aux normes OTAN ; un nouvel ordinateur de bord. L'ensemble est compatible avec le viseur de casque DASH.
De nouveaux lance-leurres sont également installés tout comme le système est rendu compatible avec une série de pods. C'est le cas de L'EL/ L-8222R, de détection, classification et brouillage des radars adverses, du Litening de désignation et d'attaque au sol et d'un pod de reconnaissance. L'armement a également été revu, avec l'achat de missiles air-air Python-3. Cependant, les achats de nouvelles munitions ont été limités, impliquant une utilisation des stocks de roquettes et de bombes lisses. Par ailleurs, les Lancer A quitteront le service assez rapidement, ne laissant en ligne que 18 Lancer C et 6 biplaces. De facto, l'objectif de la modernisation était de doter la flotte – par ailleurs assez ancienne – d'une
(2) dizaine d'années de vie opérationnelle supplémentaire.
Reçus en 1989, les MIG-29 ont quitté le service en 2003, en vue de leur remplacement par un monoréacteur d'origine occidentale. Ce dernier sera finalement le F-16, avec un programme d'acquisition lancé en 2005 et qui débouche en 2013 sur l'achat d'occasion au Portugal de 12 F-16A/B Block 15 MLU. Il était initialement question de 24 appareils, mais l'état des finances a contraint Bucarest à revoir ses ambitions à la baisse. Les six premiers arrivent en octobre 2016, les six autres étant livrés en décembre puis en 2017. Surtout, la livraison implique un accroissement et une diversification des stocks de munitions avec la réception de missiles à longue portée AIM-120 AMRAAM, de bombes à guidage laser GBU-12 et de pods de désignation Sniper. La force aérienne roumaine a également procédé à la modernisation d'un certain nombre de Puma, construits sous licence française à l'époque de Ceaucescu, au standard SOCAT
(3) avec l'assistance israélienne, mais également française. Les hélicoptères reçoivent ainsi des points d'emport
latéraux, de même qu'une boule optronique et un canon de 20 mm sous le nez.
Entre-temps, plusieurs déploiements opérationnels ont également été effectués. Quatre SOCAT ont ainsi été déployés en Bosnie en 2005, avant que quatre Lancer ne le soient depuis Siaulai, dans le cadre du Baltic Air Policing, en 2007. Des appareils de transport – la flotte actuelle s'appuyant sur des Hercules et des Spartan – ont également pu être déployés en appui des opérations en Afghanistan. Surtout, la plus grande activité russe en mer Noire a débouché sur plusieurs interceptions alors que les appareils de Moscou approchaient l'espace aérien national. À plus long terme, les plans roumains portent sur l'achat de cinq F-16 supplémentaires d'occasion, mais aussi, à en croire le chef d'état-major de la force aérienne, qui s'exprimait en 2017, de trois escadrons de F-35. En l'occurrence, la viabilité de ce plan semble douteuse au regard des contraintes budgétaires et d'un manque de stabilité dans les décisions prises.
Le cas bulgare
Comparativement, le cas de la force aérienne bulgare (Voennovazdushni sili) est encore plus problématique. À la fin de la guerre froide, elle disposait d'environ 220 appareils de combat d'origine soviétique. Considérée comme l'un des États les plus loyaux au Pacte de Varsovie et à L'URSS, la Bulgarie aligne des MIG-21/23/25/29, de même que des Su-22 et Su-25, en plus de Mi-24. En l'occurrence, elle entame à partir de 1991 une diminution de sa puissance du fait de réductions budgétaires massives. Si les unités sont fusionnées avec les bases, ces dernières ferment rapidement et les appareils quittent le service : les MIG-25 en 1991, les MIG-23 en 2003, les Su-22 en 2004. Les derniers MIG-21 ont quant à eux quitté le service fin 2015, ne laissant en ligne que les MIG-29, dont 15 sur les 22 initialement reçus ont été modernisés à un standard leur permettant d'interopérer avec L'OTAN, que Sofia a rejointe en 2004, de même qu'une douzaine de Su-25.
La Bulgarie s'est ensuite orientée vers une modernisation minimale en lançant un premier appel d'offres pour huit appareils de combat multirôles, le Gripen étant choisi en 2016 avant que la négociation du contrat ne soit suspendue en 2017 du fait de contraintes budgétaires. Un nouvel appel d'offres a été lancé en 2018, d'où le F-16V Block 70 est sorti vainqueur. Le principe de l'achat sera remis en question par la présidence, qui mettra son veto en juillet 2019, mais, une semaine plus tard, le Parlement confirmait la procédure. Le contrat, finalement signé pour 1,25 milliard de dollars et comprenant quatre pods de désignation Sniper, devrait déboucher sur des livraisons en 2022/2023. Outre six monoplaces et deux biplaces, il comprend également un renouvellement des stocks de munitions, avec cependant des quantités faibles qui ne permettront que marginalement de s'entraîner efficacement : 16 missiles AIM-120, 24 missiles AIM-9X, 15 bombes GBU-49, 15 GBU-54, 28 GBU-39 et 24 bombes non guidées Mk-82. Le règlement de cette commande a récemment été fait, en une seule fois.
Des achats de nouvelles tranches de l'appareil ont également été considérés, avec pour argument que des coûts d'équipement et de formation ayant déjà été inclus dans la première tranche, les nouveaux appareils devraient s'avérer moins coûteux. Pour l'heure cependant, Sofia s'en tient à ces huit avions. Dans le même temps, les capacités des appareils plus anciens sont également remises en question. L'accession de la Bulgarie à L'OTAN a compliqué ses flux de rechanges, limitant la maintenance – en particulier de la motorisation – au point que des
pilotes refusent de conduire leurs missions. Dans les faits et même si des moteurs ont été acquis et rénovés au profit des MIG-29, seule une fraction de la flotte est effectivement opérationnelle. Les Su-25 doivent également être modernisés : leurs opérations ont été interrompues, faute de rechanges, mi-décembre 2017. En l'occurrence, huit vont subir un rétrofit en Biélorussie pour 46,6 millions de dollars, le premier y ayant été envoyé fin août. Sofia espère donc les remettre en service.
Un autre programme attendu depuis quelques années porte sur l'acquisition de plusieurs radars 3D pour le remplacement des radars datant de l'époque soviétique. Annoncé en 2017, le programme n'a pas encore débouché sur un contrat. Par ailleurs, la force aérienne bulgare a également modernisé d'autres capacités. Si elle a conservé ses hélicoptères de combat, elle s'est cependant dotée de 12 Cougar, tout en remplaçant ses appareils de transport par trois C-27J (il était initialement question de cinq appareils) et ses capacités d'entraînement de base par des PC-9. Fin septembre 2019, un appel d'offres pour de nouveaux appareils d'entraînement élémentaire a été lancé, avec en ligne de mire l'achat de quatre machines. Dans le même temps, Sofia conserve ses L-39 pour la formation avancée, mais leur remplacement ne devra pas tarder. En l'occurrence, à plus long terme, la Bulgarie envisage de redévelopper son industrie aéronautique, en travaillant dans une logique de partenariat. Dans la foulée de discussions avec la Corée du Sud autour de l'installation d'une usine automobile Hyundai en Bulgarie, la construction d'une chaîne de montage pour des T-50 Golden Eagle a ainsi été évoquée.
À voir cependant si la demande régionale – et plus largement mondiale – pour l'appareil pourrait justifier un tel investissement. Pratiquement, l'appareil sud-coréen ne rencontre qu'un succès modéré sur les marchés et les besoins bulgares ne représenteraient que moins d'une dizaine d'unités, du moins si l'on s'en tient aux seules fonctions d'entraînement avancé. Dans une approche alternative, le petit monoréacteur pourrait, dans sa version d'attaque au sol, permettre à la force aérienne bulgare de regagner en masse à meilleur compte qu'avec de nouveaux achats de F-16V… et tout en disposant d'un design compatible avec des armements d'origine américaine. On note d'ailleurs que le gouvernement bulgare cherche à développer ses coopérations dans le secteur de la défense au-delà du seul cas du T-50. Un accord de coopération a ainsi été signé entre la firme israélienne Aeronautics/rafael et VMZ Sopot pour la production de drones, et comprenant des transferts de technologies.
Défis régionaux
Si l'état des forces aériennes roumaine et bulgare peut laisser sceptique quant à leurs capacités effectives, il faut aussi constater que tant Bucarest que Sofia sont entrées dans un nouveau cycle sécuritaire. L'annexion de la Crimée, de ce point de vue, y a marqué les esprits. Corrélativement, la plus grande activité russe dans la région
inquiète également, tout comme la situation de la Moldavie. Ce pays, non membre de L'OTAN et dont les budgets de défense sont peu importants, se trouve dans une situation délicate, face à une Transnistrie séparatiste… où stationnent de facto des forces russes. La géostratégie de la zone est donc complexe. Reste cependant que la Roumanie et la Bulgarie ont accru leurs efforts de défense de manière notable et que la prise de conscience des retards est bien là ; tout comme la nécessité de donner des gages de bonne volonté à des États-unis qui sont devenus de facto un garant de la sécurité pour les deux États. En l'occurrence, le flanc sud-est inquiète également les alliés otaniens, ce qui justifie la tenue régulière d'exercices, y compris avec la participation de L'US Air Force et des forces aériennes européennes.
Depuis 2016, des appareils américains, britanniques, canadiens et portugais ont ainsi été engagés dans des exercices qui sont également des renforcements ponctuels de la défense de la zone. Mais il faut aussi noter que l'ampleur des processus de modernisation engagés constitue un obstacle à celle plus particulière des forces aériennes. Les marines bénéficient ainsi d'une attention soutenue, compréhensible au regard d'espaces maritimes où la Turquie est également présente, mais où son statut de membre à part entière de L'OTAN peut être remis en question (4). Les forces terrestres ne sont pas non plus en reste, là aussi après des décennies de sous-investissement. Au-delà du défi posé par des modernisations tous azimuts, la question de la pertinence des choix adoptés se pose également.
Certains commentateurs roumains critiquent ainsi la posture visant à réaliser des investissements relativement importants dans des systèmes déjà âgés, au lieu de se concentrer sur l'achat de capacités neuves, plus durables. De facto, si la modernisation au standard Lancer des MIG-21 roumains est conceptuellement intéressante – et industriellement attractive au regard du nombre de Fishbed encore en service dans le monde –, force est aussi de constater que certains appareils ont été modernisés alors qu'ils ne disposaient plus que d'un potentiel très limité. À nombre d'égards, c'est également le cas pour les F-16 portugais, qui étaient eux-mêmes des appareils d'occasion et dont le potentiel, à la réception par Bucarest, ne devait plus être guère important.