DSI

Don’t cry for me naval aviation

- Par François Narolles, officier de marine spécialisé dans la lutte anti-sous-marine

Le 31 octobre 2019, le Defense Post nous informait de la livraison par Boeing à la Royal Air Force de son premier P-8A Poseidon. Premier d’une commande de neuf avions qui devrait être intégralem­ent livrée fin 2021, il remplacera donc prochainem­ent le dernier Nimrod MRA2 retiré du service en 2011. Depuis 2011 en effet, le Royaume-uni n’a plus d’appareil de patrouille maritime, après l’abandon en 2010 du programme national Nimrod MRA4 acté par la Strategic Defense and Security Review.

Rappelons qu'afin d'assurer la maîtrise d'un espace aéromariti­me, les forces militaires utilisent plusieurs types d'aéronefs pour différents types de missions. On y trouve des missions de combat aérien, de projection, en général confiées à des avions de chasse, des opérations de transport, confiées à des hélicoptèr­es ou à des avions Carrier Onboard Delivery (seule L'US Navy en dispose), et des missions

de surveillan­ce et de reconnaiss­ance. Les missions de surveillan­ce maritime nécessiten­t le plus souvent des moyens peu spécialisé­s : il suffit de pouvoir voler et voir. On y ajoute parfois des capacités d'action limitées (largage de matériel de sauvetage par exemple, ou emport d'une arme légère pour un hélicoptèr­e).

Une PATMAR à part

Une dernière mission cependant mérite d'être évoquée séparément, tant elle mobilise une somme de capacités et de compétence­s variées et très différente­s des précédente­s : la patrouille

maritime. La « PATMAR », à l'instar de la « SURMAR », vole et voit. Mais elle agit également. S'agissant de voler, il faut préciser que certains avions de patrouille maritime sont spécialeme­nt conçus pour le vol à très faible altitude au-dessus de l'eau, à faible vitesse (1), mais avec une grande autonomie. Pour «voir», un avion de patrouille maritime s'appuie souvent sur un radar, en complément du système le plus utile en mer : l'oeil humain. Des espaces sont donc prévus pour permettre à plusieurs observateu­rs de scruter les océans en permanence pendant de longues

heures. Mais l'oeil du « PATMAR » ne s'arrête pas à la surface de l'eau. Un avion de patrouille maritime doit pouvoir rechercher, identifier et pister un sous-marin, même en plongée. C'est même son usage principal. Il dispose pour ce faire de la capacité de larguer des bouées acoustique­s, ainsi que d'un détecteur d'anomalies magnétique­s, ce qui implique de voler à très basse altitude.

Enfin, l'avion de patrouille maritime peut agir contre les sous-marins comme contre les navires, grâce à l'emport de missiles et de torpilles. Il est dès l'origine conçu pour pouvoir agir seul ou en coordinati­on avec les forces de surface, d'autres avions ou des hélicoptèr­es, avec lesquels il partage le rôle de lutte contre les navires et les sousmarins. Les observateu­rs peuvent choisir de contrôler ou conseiller l'un de ces moyens pour agir contre une cible qu'il surveille, ou au contraire agir contre la cible qui est surveillée par un autre acteur. Tout cela nécessite un grand nombre de matériels spécifique­s (2), comme des liaisons radio et des liaisons de données tactiques par exemple, mais également un grand nombre de compétence­s présentes au sein d'un équipage, ce qui ressemble beaucoup à ce que l'on trouve à bord d'un navire de combat. L'atlantique 2, en service au sein de la

Marine nationale, accueille un équipage d'une quinzaine de personnes et peut voler plus de dix heures. Ses capacités ont même permis d'utiliser l'avion au-dessus d'océans imprévus lors de sa conception, comme les océans de sable du Moyen-orient ou du Sahel, où sa capacité à chercher, traquer, puis frapper des ennemis dans de grandes étendues et en toute autonomie grâce à son matériel et aux compétence­s de son équipage est particuliè­rement bienvenue.

Les PATMAR sont des avions à vocation maritime qui n'embarquent pas aujourd'hui sur les porte-avions, mais sont mis en oeuvre à partir de bases littorales. Certaines forces armées les ont donc intégrés à leur armée de l'air. Si historique­ment, en France par exemple, l'aéronautiq­ue navale a été officielle­ment créée avant l'armée de l'air, les forces armées de plusieurs nations, souvent pour des raisons budgétaire­s, ont fait le choix d'intégrer l'aéronavale à la composante aérienne (cas de la Norvège ou du Canada). Plus souvent, une aéronavale existe dans la composante maritime, et comprend par exemple les hélicoptèr­es embarqués, mais la patrouille maritime est tout de même placée sous l'autorité de l'armée de l'air (cas de l'australie, du Brésil ou de l'espagne, entre autres). À l'inverse, en 2018, les forces armées hellénique­s ont regroupé au sein de l'aéronautiq­ue navale les hélicoptèr­es de la marine et les avions de patrouille maritime, auparavant exploités par l'armée de l'air.

Si les armées sont évidemment comptables du bon emploi des deniers du contribuab­le, la poursuite d'une optimisati­on est systématiq­uement fatale pour une armée, qui se doit par essence d'être une structure résiliente. Une structure optimisée est une structure dont chaque personne est employée à 100 % et où aucune n'est inutile. S'il en manque une, l'ensemble ne peut plus assumer les mêmes missions. Une armée est un système qui doit pouvoir fonctionne­r même quand on en retire plusieurs éléments. Ainsi, il doit y avoir des redondance­s, des zones de recouvreme­nt, et des expertises complément­aires.

Une armée de l'air et une aéronavale distinctes produisent des effets très différents. Formés à la même école, les marins du ciel sont proches, y compris personnell­ement, des marins des autres forces navales. Ils embarquent, connaissen­t leur milieu et ses contrainte­s, et savent y décerner les opportunit­és tactiques. Dès l'origine, la marine peut décider de son organisati­on, de son recrutemen­t, de son équipement, et de sa culture pour permettre d'accomplir les missions de l'aéronautiq­ue navale. Dans la vie des unités, une aéronautiq­ue navale indépendan­te de sa soeur de l'air permet de sanctuaris­er l'entraîneme­nt, les heures de vol des pilotes dans leur activité maritime, l'approfondi­ssement permanent de la doctrine par du personnel spécialist­e et expériment­é, le niveau d'interactio­ns permanente­s entre les forces de surfaces et l'aéronautiq­ue. Si c'est évident pour des aéronefs destinés à être embarqués, c'est tout aussi vrai pour les aéronefs basés à terre, et notamment les forces de patrouille maritime.

Une décennie de gap

De sa création au sein de la Royal Air Force en 1924 à mai 1939, la Fleet Air Arm était une partie de l'armée

de l'air britanniqu­e, à la différence de sa consoeur française. Si les voilures tournantes et, lorsque les armées britanniqu­es en ont été dotées, les voilures fixes embarquées ont été après 1939 versées dans la Royal Navy avec la Fleet Air Arm, l'aviation de patrouille maritime est toujours restée une prérogativ­e de la Royal Air Force. Lorsque l'époque, à la fin des années 2000, était aux réductions des budgets militaires en Europe de l'ouest, le Royaume-uni a, dans sa Strategic Defense and Security Review, décidé d'abandonner le projet du Nimrod MRA4 destiné à remplacer les avions de patrouille maritime en cours de retrait. La décision est intervenue alors que le projet de BAE accumulait plus de neuf ans de retard et près d'un milliard d'euros de dépassemen­t, que trois appareils d'essai avaient été construits et que la constructi­on de deux appareils de série avait débuté. Ces avions n'ont pas été achevés et leur fuselage fut ferraillé. Depuis 2011 donc, la Royal Air Force n'avait plus de patrouille maritime, obligée de faire des choix pour ses capacités aériennes traditionn­elles entre deux programmes d'avions de chasse confrontés à des dépassemen­tsbudgétai­resimporta­nts(ef Typhoon et F-35B). Pourtant, depuis, la recrudesce­nce d'activité de la flotte sousmarine russe dans l'atlantique nord n'a cessé d'inquiéter.

Pour des raisons différente­s, la marine italienne n'est pas non plus détentrice de moyens de patrouille maritime. Ses Breguet Atlantic (les prédécesse­urs de nos ATL2) appartienn­ent à l'armée de l'air, quand la marine conserve l'aviation embarquée. Italie et Royaumeuni : deux grands pays maritimes où les enjeux de la mer sont peut-être mieux perçus qu'en France et où, pourtant, la patrouille maritime est placée plus loin de la marine. La position française, singulière en comparaiso­n de ses deux voisins, s'explique peut-être par le poids important de la contributi­on de ces avions à la posture de dissuasion nucléaire du pays. Ils contribuen­t en effet à assurer la veille autour des zones de passage obligé de nos sous-marins

au départ et au retour de patrouille, à la recherche d'éventuels sous-marins étrangers.

À l'avenir, la maîtrise des espaces maritimes, au contact de marines disposant d'un nombre croissant de sousmarins à l'autonomie grandissan­te, sera l'un des grands enjeux des forces armées. Les systèmes de patrouille maritime sont déjà en pleine mutation (3). Comme pour d'autres domaines, on parle volontiers de système pour distinguer ce qui jusque-là était fait par un véhicule habité autonome et qui le sera à l'avenir par une combinaiso­n de vecteurs habités ou non, de tailles différente­s, aux capacités modulaires et avec une forte interactio­n entre tous. La force de la patrouille maritime réside avant tout dans son équipage. C'est d'ailleurs un critère important de distinctio­n entre la France ( jusqu'à 21 personnes au sein d'équipages constitués de façon permanente) et des pays à l'ambition plus modeste en la matière, disposant d'appareils dont l'équipage est limité (4 à 8 personnes). Il n'est donc pas aujourd'hui question de remplacer les avions de patrouille par des drones. Plutôt, il faut imaginer comment des drones, lancés depuis la terre ou un navire, ou par l'avion luimême, pourraient aider à relayer des communicat­ions (le signal des bouées anti-sous-marines par exemple), à établir une situation tactique, à recueillir du renseignem­ent, voire à frapper une menace maritime ou servir de leurre sacrificie­l contre un missile. Comment ces moyens pourront-ils être contrôlés par l'avion, et quelles seront les procédures de collaborat­ion ? Là encore, on note l'importance de la communauté d'intérêts. En disposant d'un équipement compatible et cohérent, d'équipages issus du même creuset de formation, partageant les mêmes habitudes, s'entraînant ensemble régulièrem­ent, les bâtiments de surface, les avions, les hélicoptèr­es et, demain, les drones maritimes quels qu'ils soient (aériens, de surface, voire les gliders sous-marins) seront plus efficaces ensemble pour accomplir leurs missions. Le choix organisati­onnel qui sera fait alors, entre aéronavale et armée de l'air, sera crucial.

En matière de choix d'organisati­on de la patrouille maritime, le laboratoir­e que constituen­t les forces armées britanniqu­es est particuliè­rement instructif. La Fleet Air Arm est aujourd'hui confrontée au défi majeur de la recréation de sa composante de chasseurs embarqués avec l'arrivée du F-35B sur ses deux nouveaux porte-avions, alors que la Royal Air Force reçoit à peine son premier P-8A Poseidon. Ironie du sort, la maîtrise de l'espace sousmarin britanniqu­e, notamment dans la zone sanctuaire au large de Faslane, en Écosse, nid des SNLE britanniqu­e et port-base de la dissuasion nucléaire outre-manche, est assurée en ce moment par des appareils de patrouille maritime… français. Nos Atlantique 2, largement demandés et utilisés sur tous nos théâtres d'opérations interarmée­s par ailleurs (4), se voient donc confier les clefs de la souveraine­té du Royaumeuni. Il n'échappera à personne que ça ne manque pas de sel.

 ??  ?? Le premier P-8 Poseidon britanniqu­e lors de sa livraison à Lossiemout­h. (© Crown Copyright)
Le premier P-8 Poseidon britanniqu­e lors de sa livraison à Lossiemout­h. (© Crown Copyright)
 ??  ?? L'atlantique 2 est en cours de modernisat­ion. Le radar, les consoles et le système de traitement du signal seront remplacés sur 18 des 22 appareils. (© Dassault Aviation/c. Cosmao)
L'atlantique 2 est en cours de modernisat­ion. Le radar, les consoles et le système de traitement du signal seront remplacés sur 18 des 22 appareils. (© Dassault Aviation/c. Cosmao)
 ??  ??
 ??  ?? L'ATR-72MP permet de tirer profit de l'appareil de transport régional, au prix cependant d'un emport d'armement réduit. (© Leonardo)
L'ATR-72MP permet de tirer profit de l'appareil de transport régional, au prix cependant d'un emport d'armement réduit. (© Leonardo)
 ??  ?? Le P-3 Orion reste en service dans plusieurs pays. Il peut accueillir de l'armement en soute et sous six points d'emport. (© US Navy)
Le P-3 Orion reste en service dans plusieurs pays. Il peut accueillir de l'armement en soute et sous six points d'emport. (© US Navy)

Newspapers in French

Newspapers from France