Quelles conséquences stratégiques ?
La pandémie de COVID-19 a des conséquences stratégiques larges. Pour l’heure, la distribution de puissance à l’échelle internationale ne semble pas réellement affectée : les États militairement les plus forts conservent un équilibre entre eux… mais la perception de leur puissance est prise en défaut. Ainsi, les retards et mensonges chinois, les silences russes, l’impréparation américaine, les controverses françaises, les choix douteux du Royaume-uni, de la Suède ou des Pays-bas, et la faible réactivité de l’union européenne elle-même sont tous apparus au grand jour. Mais si aucun État ne sort donc véritablement vainqueur – à l’exception des remarquables cas taïwanais et sud-coréen – face à la pandémie, cette dernière ne sonne pas leur glas. Aucun n’est, pour l’instant, « sorti » du jeu international. En tout état de cause, l’épidémie rappelle que la puissance est indivisible : des secteurs tels que la protection civile ont pu, concrètement, être délaissés alors pourtant que nombre de documents nationaux de prospective stratégique de ces vingt dernières années pointaient le risque d’une épidémie comme réel…
Une vraie résilience systémique peut également être observée, à tout le moins dans les États européens. Les représentations des épidémies charriées par le cinéma ou la « collapsologie » ont été prises en défaut : les sociétés, au moins européennes, tiennent. Si des critiques peuvent légitimement être adressées concernant l’anticipation de la crise et les préparations nationales, il faut aussi constater que les services vitaux et essentiels ont continué de fonctionner, que les approvisionnements en nourriture ont été assurés, que le contrôle social est globalement exercé sans qu’il faille mettre en oeuvre des lois martiales et que les économies ne se sont pas effondrées, en dépit d’une sévère crise attendue – et, pour le coup, anticipée. La pandémie, au demeurant, posera la question du rôle stratégique de l’état : extrêmement puissant sur le papier – pour la France, plus de 390 milliards de dépenses en 2019, hors sécurité sociale –, il voit aussi une dispersion de ses moyens. Audelà du soutien à l’économie, la crise pourrait donc impliquer un recentrage sur les fonctions de sécurité, comprises au sens large, du sanitaire au régalien.
Le jeu international perdure également. L’épidémie a démontré le poids des stratégies d’influence : elle est aussi source d’opportunités stratégiques. Russie et Chine, en particulier, se sont positionnées en pointe sur le sujet, sans nécessairement réussir à combiner médiatisation et message philanthropique. La qualité des aides fournies a rapidement été remise en cause par les professionnels de la santé de plusieurs pays ayant bénéficié de masques, de respirateurs et d’autres matériels d’origine chinoise. Le journal italien La Stampa s’inquiétait quant à lui du déploiement par la Russie de spécialistes NBC, dont la présence n’avait pas été annoncée, sur le sol italien. D’anciens officiers s’étonnaient que les unités italiennes spécialisées en décontamination ne fussent, dans le même temps, pas mobilisées. Plus largement, l’évaluation des stratégies étatiques en la matière reste problématique : faire la part des choses entre les actions des États et leurs relais de bonne foi au sein des pays ciblés constitue toujours un défi ; tout comme les réactions à y apporter. À l’inverse, les solidarités intraeuropéennes – en matière de rapatriements de ressortissants, de transferts de malades ou de transport de matériel – n’ont pas nécessairement reçu beaucoup d’attention médiatique ni fait l’objet de publicité.