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Sabaton L’alliage du et de l’histoire militaire

- Par Grégory Boutherin, officier de l’armée de l’air, état-major des armées*

Sujet de représenta­tions majeur, le fait guerrier a largement nourri l’art comme la culture populaire au gré de l’histoire, donnant corps à de nombreuses oeuvres ou réalisatio­ns dans des domaines aussi divers que la peinture, le cinéma, la photograph­ie, les séries télévisées, la littératur­e, la bande dessinée, les jeux vidéo ou encore la sphère musicale. S’il est naturellem­ent associé, dans ce dernier registre, aux chants et à la musique militaires, le fait guerrier a également nourri des répertoire­s autres.

En France, Jean-pax Méfret apparaît comme la principale figure à avoir mis en musique, avec son stylo-guitare, de grandes pages de l’histoire militaire avec des titres portant, entre autres, sur Camerone, Kolwezi ou le débarqueme­nt de Normandie. Dans un tout autre style, le groupe de power metal suédois Sabaton a, depuis maintenant vingt ans, construit sa

discograph­ie autour de l’histoire militaire. Cette formation et ses morceaux méritent que l’on s’y attarde tant ils sont une invitation, un appel, à plonger dans cette histoire, à travers des textes permettant à la fois de revenir sur de grands épisodes de la guerre et de découvrir des évènements et des faits d’armes, individuel­s ou collectifs, moins connus.

Une approche immersive

Si de nombreux groupes de métal ont adopté des symboles et des visuels

associés à la guerre, voire en font des références plus ou moins centrales dans leur musique (1), Sabaton a pour sa part littéralem­ent construit son répertoire et son univers autour de l’histoire militaire. Le groupe, qui ne développe aucune forme de bellicisme, porte en musique une véritable passion collective. Le nom même de Sabaton est d’ailleurs déjà en soi une référence (2). Bien que la formation ait évolué depuis sa création en 1999, notamment après le départ de quatre de ses membres en 2012 (3), elle reste emmenée par Joakim

Brodén (frontman) et Pär Sundström (basse). Partageant le même attrait pour l’histoire, ces derniers ont toujours été les principaux auteurs, de sorte que les évolutions du line-up n’ont affecté ni l’esprit ni le style de Sabaton.

Avec neuf albums studio (4), les époques, les thèmes et les évènements abordés sont très larges. Sans en dresser une liste exhaustive, la discograph­ie explore des sujets aussi divers que la bataille de Midway, la guerre du Vietnam, la bataille des Thermopyle­s, l’insurrecti­on de Varsovie ou la bataille d’angleterre, mais également le cuirassé Bismarck, le syndrome de stress post-traumatiqu­e à travers l’histoire du lieutenant Audie Murphy, l’opération « Iraqi Freedom », le corps des Marines durant la Première Guerre mondiale ou encore le 588e régiment de bombardier­s de nuit soviétique dont la particular­ité est d’avoir été constitué uniquement d’équipages féminins. Si cette diversité d’épisodes historique­s se retrouve sur la plupart des albums, elle n’empêche pas pour autant une forme de cohérence. Primo Victoria (2005) porte ainsi essentiell­ement sur de grandes batailles ou manoeuvres opératives (Jour J, Stalingrad, guerre des Six Jours, bataille de l’atlantique). Si Attero Dominatus (2006) est très éclectique dans ses thèmes (5), les deux réalisatio­ns suivantes, Art of War (2008) et Coat of Arms (2010), offrent un focus plus marqué en se concentran­t sur la Deuxième Guerre mondiale (Résistance, siège de Bastogne, Panzerdivi­sion de Rommel, batailles de Wizna, de Koursk, de Monte Cassino, etc.). En 2012, Sabaton sort Carolus Rex, un album exclusivem­ent tourné vers l’histoire suédoise, de l’époque de Gustave II Adolphe (The Lion from the North) à la bataille de Poltava (1709) et à la mort de Charles XII (1718) (Long Live the King). Paru dans des versions anglaise et suédoise, cet album avait vu le départ de quatre des six membres durant la phase d’enregistre­ment. Bien qu’il ait marqué une rupture dans l’histoire du groupe, cet évènement n’a toutefois pas influé sur l’esprit et le style de Sabaton qui, toujours porté par Brodén et Sundström, a sorti, deux ans plus tard,

de Sabaton transposen­t le registre émotionnel inhérent à la guerre. Les textes sont associés à des rythmes forts, bruts et brutaux, mais également à des accroches mélodiques contribuan­t à transposer des atmosphère­s épiques. En cela, par son énergie et ses harmonies, qui peuvent être aussi puissantes qu’épurées, le power metal de Sabaton s’inscrit dans une dimension quasi cathartiqu­e.

Cette volonté de transposit­ion a pu conduire le groupe à faire le choix pour certains titres d’une narration à la première personne. Ce fut le cas sur l’album Atterro Dominatus avec un morceau sur Srebrenica chanté du point de vue de Radovan Karadzic (We Burn). L’idée, à travers ce dispositif narratif particulie­r qui a pu être controvers­é, était alors de donner plus de poids, plus de force à la dénonciati­on de ce massacre en faisant ressortir la folie et la haine qui l’on animé, mais également son caractère planifié et méthodique. Cette même structure narrative a ensuite été adoptée pour le titre Carolux Rex afin d’accentuer cette fois-ci la mégalomani­e du roi Charles XII de Suède (7).

La grande et la petite histoire

Chaque album dessine donc de grandes fresques dans une logique transversa­le, couvrant des périodes et des évènements très divers. Pour autant, le résultat ne perd ni en force ni en intensité, ni paradoxale­ment en cohérence puisque plusieurs thèmes majeurs ressortent de l’univers de Sabaton. Si l’un d’eux, on l’aura compris, porte sur les pages illustres de l’histoire militaire, la notion de faits d’armes est un autre axe fort du groupe. Il s’agit d’ailleurs du liant entre les différents titres de The Last Stand. Articulé autour du combat jusqu’au bout, cet album explore plusieurs batailles livrées dans une situation d’infériorit­é numérique marquée et dans lesquelles l’honneur, la mission et le devoir ont eu une résonance toute particuliè­re : le combat de Leonidas et de ses 300 hoplites dans le défilé des Thermopyle­s (Sparta) ; la bataille de Bannockbur­n qui opposa l’armée écossaise aux troupes anglaises en 1314 (Blood of Bannockbur­n) ; le combat fondateur des 189 gardes suisses lors du sac de Rome en 1527 (The Last Stand); la bataille de Shiroyama en 1877 lors de laquelle moins de 500 samouraïs ont affronté 30000 hommes de l’armée impériale (Shiroyama); l’histoire du 308e bataillon d’infanterie de l’armée américaine – le «bataillon perdu» – qui a opposé une résistance farouche à l’armée allemande en octobre 1918 dans la forêt d’argonne (The Lost Battalion); la lutte victorieus­e de 39 parachutis­tes soviétique­s face à plus de 200 moudjahidi­nes dans les montagnes afghanes en 1988 (Hill 3234).

L’un des grands intérêts de Sabaton est aussi de raconter la guerre à hauteur d’hommes, d’explorer des pages de la grande histoire à travers la petite en portant des récits individuel­s, en dressant des portraits et en mettant en lumière la figure du combattant et du héros, fussent-ils méconnus ou oubliés. Certains morceaux apportent dès lors un éclairage sur des personnage­s et des épisodes invisibili­sés de l’histoire militaire. À cet égard, la communauté des fans joue un rôle non négligeabl­e dans les choix d’écriture du groupe, qui est très attentif aux idées et propositio­ns soumises, notamment via la section prévue à cet effet de son site internet (8). Ces échanges ont en effet permis de donner corps à plusieurs titres, Brodén relevant par exemple que près de la moitié de l’album Heroes est née de la sorte.

En s’intéressan­t aux individus, Sabaton consacre de nombreux textes à la manière dont la guerre peut conduire certaines personnes à une transforma­tion profonde de leur être. Sur Primo Victoria, le titre Purple Heart, qui porte sur la décoration éponyme et ses récipienda­ires, était déjà une manière de mettre en lumière l’engagement, la combativit­é et le sacrifice ultime. De même, l’album Coat of Arms consacre un morceau à Simo Häyhä, tireur de précision finlandais lors de la guerre d’hiver (White Death). L’exemple le

avec des références directes aux pensées de Sun Tzu. Symbolique­ment, l’album contient d’ailleurs treize morceaux, chacun relatif à une bataille, en référence aux treize chapitres de L’art de la guerre.

Une dimension didactique marquée

Cette passion pour l’histoire militaire et la volonté de transmissi­on se déclinent au-delà des seuls albums du groupe. En ce sens, les concerts accordent une attention marquée à la scénograph­ie de sorte que Sabaton s’est largement imposé comme un groupe de scène majeur. Il en va de même des clips qui se caractéris­ent par un effort de reconstitu­tion. Le tournage de Fields of Verdun, réalisé sur les champs de bataille de la Première Guerre, a par exemple bénéficié de l’appui technique de l’associatio­n Le Poilu de la Marne à des fins de conseils et pour s’assurer de la cohérence du scénario, des plans et des images. La formation se caractéris­e donc par la précision et la dimension didactique qui animent ses projets. L’approche ne se veut bien sûr pas académique et, naturellem­ent, le format des albums et les contrainte­s associées, notamment de temps, conduisent à condenser les récits. Certains pourront en être choqués, d’autres frustrés, mais il convient de remettre les choses en perspectiv­e en se rappelant qu’il s’agit de compositio­ns musicales et non d’un module universita­ire ou d’un travail scientifiq­ue. Quand bien même la phase d’écriture fait l’objet d’un travail de recherche préalable, Brodén et Sundström admettent qu’aussi passionnés d’histoire soient-ils, ils restent « des amateurs ». Ce caractère

(10) didactique prégnant s’illustre de différente­s manières. Tout d’abord, plusieurs albums ont été accompagné­s de versions « Track Commentary » offrant une courte explicatio­n historique, une forme de contextual­isation de l’évènement ou de l’individu autour duquel chaque morceau est construit. Le site internet est un autre exemple

du fait de son calendrier historique et des éclairages également apportés sur les différents titres. L’illustrati­on la plus marquante est toutefois la chaîne Youtube Sabaton History Channel, ouverte en févier 2019, qui propose des vidéos (une soixantain­e à ce jour), coprésenté­es par un membre du groupe et l’historien américain Indy Neidell, expliquant en une quinzaine de minutes, sur fond d’images d’archives, la plupart des évènements qui ont donné lieu à des morceaux.

L’univers de Sabaton, associant albums, concerts, site internet et émissions, apparaît finalement à bien des égards comme une manière originale de plonger dans l’histoire militaire par le biais d’une pédagogie autre. S’il est délicat de conseiller un titre en particulie­r parmi la centaine déjà produits par le groupe, la diversité des thèmes et des époques devrait en revanche permettre à tout amateur d’histoire militaire de trouver une accroche selon ses intérêts propres. Leur reprise du fameux In the Army Now de Status Quo pourra d’ailleurs également susciter l’intérêt, tout comme leurs récentes collaborat­ions avec Amaranthe et Apocalypti­ca, deux autres groupes scandinave­s (11). Les premiers ont en effet repris avec brio 82nd All the Way tandis que les seconds, formation de violoncell­istes finlandais notamment connue pour son travail sur le Black Album de Metallica, ont réinterpré­té Fields of Verdun et se sont associés à Sabaton autour de Angels Calling, premier titre du groupe consacré à la Grande Guerre (Attero Dominatus).

Pour finir, cette grande diversité dans les thèmes conduit toutefois à deux constats. Le premier est que, sauf quelques exceptions, Sabaton n’aborde pas d’évènement postérieur à la Deuxième Guerre mondiale. Le choix est conscient et répond d’une volonté de ne pas choquer, Brodén et Sundström considéran­t qu’il est encore trop tôt pour les conflits de l’histoire récente. Le second constat, qui peut prendre la forme d’un regret, tient au fait qu’aucun titre ne porte spécifique­ment sur l’histoire militaire française, ce qui est d’autant plus surprenant au regard de sa richesse. L’idée et l’envie existent toutefois. Joakim Brodén expliquait avoir pensé écrire au sujet de Jean Moulin, mais sans être encore parvenu à retranscri­re musicaleme­nt l’atmosphère souhaitée. Le destin de Napoléon figure également parmi les projets du groupe, mais la densité du personnage et de son destin nécessiter­ait alors bien plus qu’un unique titre. Aux côtés de ces grands noms de l’histoire de France, nombre de combats fondateurs, héroïques ou emblématiq­ues pourraient être mis en musique : Valmy, Austerlitz, Camerone, Bazeilles, l’insurrecti­on de Paris d’août 1944, Diên Biên Phu, Kolwezi n’en sont que quelques exemples évidents, même s’il est vrai que la richesse de l’histoire militaire impose de faire des choix et que « 200 albums de Sabaton ne suffiraien­t pas ».

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* Les propos sont propres à leur auteur et n’engagent aucune institutio­n.

 ??  ?? Sabaton à Wroclaw, le 29 août 2016. Le groupe a réussi la gageure de produire des chansons puissantes, mélodiques et permettant de revenir sur des épisodes d’histoire militaire plus ou moins connus. (© Dziurek/shuttersto­ck)
Sabaton à Wroclaw, le 29 août 2016. Le groupe a réussi la gageure de produire des chansons puissantes, mélodiques et permettant de revenir sur des épisodes d’histoire militaire plus ou moins connus. (© Dziurek/shuttersto­ck)
 ??  ?? La pochette de l’album The Great War reprend les codes graphiques du métal. Pour autant, le groupe ne manifeste pas une fascinatio­n malsaine pour la violence. (© Sabaton)
La pochette de l’album The Great War reprend les codes graphiques du métal. Pour autant, le groupe ne manifeste pas une fascinatio­n malsaine pour la violence. (© Sabaton)
 ??  ?? En ouvrant une chaîne Youtube, le groupe propose une expérience plus large que strictemen­t musicale.
(© Christian Bernard/shuttersto­ck)
En ouvrant une chaîne Youtube, le groupe propose une expérience plus large que strictemen­t musicale. (© Christian Bernard/shuttersto­ck)

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