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La présidence Trump : un «moment Spoutnik» pour la cyberdéfen­se aux États-unis?

- S. T.

En 1957, le lancement du premier satellite artificiel par l’union soviétique suscita chez les élites américaine­s la crainte d’être surpassées dans la compétitio­n bipolaire. Le président et le Congrès entreprire­nt une réorganisa­tion en profondeur du programme spatial, de la politique éducative et du Départemen­t de la Défense. La charge symbolique de cet évènement imprègne l’interpréta­tion contempora­ine des évolutions de la conflictua­lité dans le cyberespac­e depuis l’élection de Donald Trump à la présidence. une part, le rôle consensuel sur la place des États-unis Les élections de 2016 ont mis en joué par des acteurs dans le cyberespac­e, les menaces lumière la vulnérabil­ité des infrastruc­tures liés au gouverneme­nt auxquelles ils seraient confrontés électroniq­ues de vote, l’instrument­alisation russe dans les et la manière d’y répondre. Enfin, combinée des données élections de 2016 a révélé les vulnérabil­ités la réorganisa­tion entreprise depuis personnell­es et des réseaux sociaux, de la société américaine dans 2017 en matière de cyberdéfen­se par mais aussi la perméabili­té de la société ses dimensions numériques. D’autre les branches exécutive et législativ­e américaine, de plus en plus polarisée, part, l’administra­tion Trump a servi témoigne d’un effort inédit dans ce aux opérations d’influence basées sur de catalyseur à l’élaboratio­n d’un récit domaine complexe. la désinforma­tion. Les promesses de

D’

la technologi­e ont révélé leur aspect négatif, renversant les paradigmes précédemme­nt admis sur l’invulnérab­ilité des États-unis, les avantages du pluralisme politique et les progrès découlant du Web interactif. L’incertitud­e quant aux objectifs de l’ingérence a également contribué à semer le doute sur la légitimité du scrutin. Par conséquent, la sécurisati­on des élections (mi-mandat en novembre 2018 et présidenti­elle en novembre 2020) a émergé comme priorité majeure des différents acteurs de la cyberdéfen­se ainsi que des législateu­rs. Il en a résulté un effort de coordinati­on sans précédent entre les agences et ministères concernés par la cyberdéfen­se, particuliè­rement entre le Départemen­t de la Défense et le Départemen­t de la Sécurité intérieure.

En dépit du scepticism­e affiché du président au sujet de l’ingérence russe, son administra­tion, ses conseiller­s à la sécurité nationale successifs ainsi que le Congrès ont fait évoluer l’interpréta­tion de la conflictua­lité numérique. D’une part, la rhétorique martiale et la conception d’un « retour à la compétitio­n entre les grandes puissances» ont accentué la lecture des interactio­ns dans le cyberespac­e en termes de confrontat­ion et de supériorit­é opérationn­elle autant que stratégiqu­e, notamment face à la Chine, à la Russie, à la Corée du Nord et à l’iran. D’autre part, une réinterpré­tation des évolutions de la posture américaine depuis le début de la décennie 2010 a insisté sur la nécessité de dépasser la « patience stratégiqu­e » et l’aversion à l’escalade de l’administra­tion Obama. Un récit semble voir le jour qui insiste sur la perte de l’initiative stratégiqu­e par les États-unis au profit de leurs adversaire­s, réclamant une posture ferme, résolue et proactive pour reprendre la main dans les domaines militaire, économique et diplomatiq­ue. Qu’il s’agisse d’attribuer publiqueme­nt les cyberattaq­ues, de prendre des mesures de rétorsion contre leurs auteurs ou leurs instigateu­rs, de mener des cyberopéra­tions de façon préventive ou de promouvoir des normes de comporteme­nt responsabl­e, un consensus semble bien s’être dégagé sur l’impératif d’un affronteme­nt pied à pied afin d’imposer des coûts, d’interdire des gains et de remodeler le cyberespac­e à l’avantage des États-unis.

Le président comme le Congrès ont donc lancé une réorganisa­tion majeure de la cyberdéfen­se aux États-unis. Par décret présidenti­el en mai 2017, la Maison-blanche a enclenché une révision des postures de cyberdéfen­se des agences de tous les départemen­ts fédéraux. En 2018, le Départemen­t de la Sécurité intérieure, le Départemen­t d’état et celui de la Défense ont ainsi publié des documents stratégiqu­es soulignant une réorientat­ion vers l’action préemptive, voire préventive, tandis que la Maison-blanche a fait paraître une stratégie nationale de cybersécur­ité insistant sur le facteur de puissance et de sécurité que représente le contrôle du cyberespac­e par les États-unis. La National Security Agency (NSA) a mis en place une division « cybersécur­ité » chargée de partager l’informatio­n sur les menaces avec le secteur privé, initiative reprise par le Cyber Command ainsi que par le Départemen­t de la Sécurité intérieure. Ce dernier a mis en oeuvre une réforme majeure avec la création d’une agence chargée de coordonner la défense des infrastruc­tures critiques de manière proactive en novembre 2018. De son côté, le Congrès a encouragé cette réorganisa­tion et cette montée en puissance tout en précisant le périmètre du pouvoir exécutif en matière de cyberopéra­tions défensives et offensives. Il a également contribué au débat stratégiqu­e par la création d’une commission chargée de préparer une stratégie pour défendre les États-unis dans le cyberespac­e. Son rapport rendu public le 11 mars 2020 souligne la centralité d’un gouverneme­nt restructur­é dans la perspectiv­e d’une dissuasion à multiples niveaux.

Les réorientat­ions observées aux États-unis sous la présidence Trump manifesten­t un «effet Spoutnik» déclenché par les élections de 2016. Celui-ci se caractéris­e par une lecture radicale des enjeux que représente le cyberespac­e pour la sécurité et l’hégémonie américaine. Rejouant l’angoisse et le sentiment d’urgence de 1957, ce moment éclaire aussi les biais d’une représenta­tion stratégiqu­e valorisant la supériorit­é opérationn­elle et la tendance à l’offensive comme facteurs de stabilité et de sécurité.

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Donald Trump s’exprimant sur la stratégie à l’égard de l’asie orientale, le 21 août 2017. (© DOD)
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Le centre d’opérations combinées des exercices « Red Flag ». Depuis le milieu des années 2010, les composante­s cyber sont pleinement prises en compte dans la conduite des entraîneme­nts. (© DOD)

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