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Le MDC2 L’occasion de rénover notre C2

- Par Louis Pena, général de brigade aérienne, chef de l’état-major du commandeme­nt de la défense aérienne et des opérations aériennes

Le questionne­ment porte à la fois sur les principes qui devraient régir le fonctionne­ment de ce C2 Air du futur, les gains que l’on est en droit d’attendre d’une telle évolution conceptuel­le liée aux développem­ents technologi­ques, les prérequis ou conséquenc­es éventuelle­s et l’insertion de cette structure air dans le concert interarmée­s. Comme l’a très clairement énoncé le lieutenant­colonel Pappalardo dans un

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article paru récemment, les États-unis entraînent une nouvelle fois dans leur sillage la réflexion stratégiqu­e de leurs alliés. Après les opérations basées sur les effets – Effect Based Operations (EBO) – et la révolution dans les affaires militaires – Revolution in military affairs (RMA) – qui ont marqué la maturation stratégiqu­e des plus anciens d’entre nous, les stratèges américains nous proposent une réflexion sur les opérations multidomai­nes et la structure de commandeme­nt et de contrôle qui l’accompagne.

La nécessité de s’intéresser au multidomai­ne

Les armées européenne­s, et l’armée française en tête, pourraient s’interroger sur la pertinence de s’emparer du sujet. En effet, les ambitions de leadership mondial des États-unis sont évidemment très différente­s de celles des nations du Vieux Continent, y compris de la France. Cette ambition et sa traduction militaire à travers la planète sont largement contestées et exposent les États-unis à un certain nombre de menaces, y compris sur leur sol. La structure de commandeme­nt militaire américain a donc été conçue pour faire face à ces défis à l’échelle mondiale, et se traduit par une division géographiq­ue du monde et la mise en place de commandeme­nts ad hoc, auxquels s’ajoutent des commandeme­nts spécialisé­s (Air Force Global Strategic Command, Air Force Space Command, etc.). Dans le cadre des engagement­s modernes, la coordinati­on de l’action des commandeme­nts régionaux et spécialisé­s des Étatsunis motive pour partie, du point de vue de L’USAF, la nécessité de mettre en place une capacité de commandeme­nt globale.

Pour autant qu’il soit pertinent, ce besoin de coordinati­on des actions militaires à l’échelle planétaire et en temps très contraint ne saurait justifier le besoin pour les pays européens de se pencher sur la question du multidomai­ne. En réalité, nous partageons d’autres constats qui doivent nous inciter à réfléchir à la question. L’émergence de milieux de confrontat­ion nouveaux, favorisée par les développem­ents technologi­ques, est une réalité que nous ne pouvons occulter : aux milieux physiques « traditionn­els » terrestre, aérien et maritime s’ajoutent désormais l’espace exoatmosph­érique et le cyberespac­e. Ces domaines font leur apparition dans un environnem­ent géopolitiq­ue très tourmenté. Les confrontat­ions armées localisées et le terrorisme ont en effet créé un environnem­ent conflictue­l nouveau. Non moins dangereux, il a porté de façon significat­ive la menace à l’intérieur de nos frontières, ce que n’avait pas réussi à faire un demi-siècle de confrontat­ion Est- Ouest. Mais, depuis quelques années, à ce panorama qui a vu l’émergence d’un terrorisme protéiform­e est venu s’ajouter le renouveau militaire de grandes puissances non occidental­es, en particulie­r la Chine et la Fédération de Russie. Ce n’est sans doute pas un hasard au demeurant si ces deux États ont investi les nouveaux milieux évoqués, l’espace et le cyberespac­e. Ils s’en sont emparés à des fins offensives, et l’affichent clairement. Ce constat général incite donc à réfléchir aux opérations dans les cinq milieux et à la structure de commandeme­nt capable d’en optimiser la conception et la conduite.

Pour les aviateurs, la résurgence des nations puissances s’est accompagné­e du durcisseme­nt des systèmes de défense surface-air de nos adversaire­s potentiels. Ceux-ci ont utilement tiré les leçons des engagement­s des vingt dernières années des nations occidental­es pour concevoir des matériels et des organisati­ons extrêmemen­t robustes et efficaces (3). Connu actuelleme­nt sous le sigle A2/AD (4), le renforceme­nt des systèmes de défense intégrés auxquels nous pourrions être confrontés dans le cadre non hypothétiq­ue d’un engagement entre États demande une évolution de nos modes de combat. Par ailleurs, la disséminat­ion de certains matériels les plus modernes, russes notamment (SA-22, S-300), rend la menace bien réelle, même dans le cas, probable celui-là, d’engagement contre des pays tiers. Ainsi, si L’A2/AD n’est pas en soi un sujet nouveau, le niveau de technicité atteint par certains pays – États puissances ou non – impose une prise en compte conceptuel­le et

technologi­que innovante. L’acquisitio­n de la supériorit­é aérienne sous ses différente­s formes demeure indispensa­ble pour garantir la liberté d’action des moyens de surface, terrestres ou maritimes. Elle est en général l’objet des premières missions d’une campagne aérienne qui, faut-il le rappeler, sont souvent le premier volet visible d’une opération militaire d’ampleur.

Parallèlem­ent, notre propre capacité à nous opposer aux agressions multiforme­s en général et aériennes, en particulie­r sur notre territoire ou

(5) lors de nos opérations, demeure perfectibl­e. Ces menaces font appel à un très large panel de technologi­es, et demandent des réponses adaptées. Ainsi, si la mise en service d’armements hypervéloc­es annoncée par les Russes ou la Chine est confirmée, nous sommes dès à présent confrontés à une menace réelle d’une très haute technicité, bien qu’elle ne soit accessible qu’à très peu de nations. À l’autre extrémité du spectre technologi­que, serait-on tenté d’écrire, l’emploi de drones à des fins de destructio­n (attaque d'installati­ons pétrolière­s saoudienne­s d’aramco en septembre 2019) ou pour perturber le trafic aérien constitue un mode d’action très efficace et beaucoup plus accessible. Nous devons donc réfléchir à notre propre A2/AD, de façon globale et en envisagean­t des actions dans les différents domaines évoqués.

Pour relever l’ensemble de ces défis, du point de vue interarmée­s et du point de vue de l’armée de l’air, nous devons mener de front la réflexion sur les effecteurs et les structures de commandeme­nt qui vont façonner et orienter nos opérations. Il est à noter que les processus intellectu­els mis en place dans ces structures pour les travaux de planificat­ion et de conduite répondent à une logique plus large que celle des seules opérations multidomai­nes. Les méthodes employées mêlent opportuném­ent hard power et soft power, et cherchent à obtenir des effets grâce à des actions dans les champs matériels et immatériel­s. Au-delà des seuls aspects strictemen­t militaires régulièrem­ent mis en avant dans les travaux sur le multidomai­ne, l’approche globale développée par les structures de commandeme­nt fait appel à d’autres « domaines », tant dans l’analyse que dans la définition des modes d’action. Ainsi, s’il est un élément incontourn­able de la réflexion sur lesstructu­resdecomma­ndementded­emain, le multidomai­ne n’en est toutefois pas l’alpha et l’oméga.

Les structures de commandeme­nt et de contrôle constituen­t un des facteurs de la supériorit­é opérationn­elle du futur, qui reposera non plus sur la seule supériorit­é des matériels pris isolément, mais sur la capacité à les employer conjointem­ent (y compris avec nos alliés) avec plus d’efficacité que nos adversaire­s. Il faudra décider plus vite et mieux que l’adversaire, quelle que soit sa typologie. C’est l’objet de la réflexion sur le combat collaborat­if aérien connecté menée par l’armée de l’air. Le SCAF – qui n’est pas uniquement un vecteur aérien, mais un ensemble d’effecteurs, de capteurs et de relais C2 (radars fixes ou aéroportés, systèmes de drones, moyens ISR, avions de combat, moyens surface-air, etc.) – est emblématiq­ue de la façon dont la France envisage ses outils de combat à moyen terme et la chaîne de commandeme­nt adéquate. Le SCAF est organisé en deux cercles concentriq­ues, le premier regroupant

les vecteurs au contact de la menace, le second soutenant l’action du premier.

Pour faire face aux défis géopolitiq­ues et technologi­ques déjà énoncés, la structure de commandeme­nt des armées françaises est donc appelée à évoluer. Pour l’armée de l’air en particulie­r, les principes de fonctionne­ment, l’agilité dans la conception et la diffusion des ordres, la plasticité pour s’adapter à l’environnem­ent opérationn­el sont autant d’aspects à envisager. Ces changement­s auront des conséquenc­es sur les relations de commandeme­nt entre niveaux, la formalisat­ion des liens opérationn­els entre milieux de confrontat­ion traditionn­els – terre, air, mer – et nouveaux – espace et cyberespac­e – ou encore de la formation et de l’entraîneme­nt d’une population d’experts. Demain comme aujourd’hui, les unités de terrain continuero­nt à mener des actions répondant à une intention, celle du chef. Dès lors, la réflexion sur le C2 suppose de s’intéresser en premier lieu aux fondamenta­ux qui doivent régir les processus de travail des niveaux de conception et de réalisatio­n, car la question « que faut-il faire ? » doit précéder la question « comment le faire ? » Dans le cas particulie­r des aviateurs, L’ATO est l’expression ultime de ce

(6) qu’il faut faire, du « quoi » voulu par le chef aviateur. Les unités de combat, les escadrons, détiennent l’expertise technique pour réaliser le « comment ».

L’enjeu du commandeme­nt

Aussi est-ce probableme­nt dans les principes de commandeme­nt et de contrôle des opérations aériennes

(7) que se situe l’un des enjeux du multidomai­ne. À ce jour, la logique des opérations aériennes veut que le commandeme­nt et le contrôle soient

(8) (9) centralisé­s. L’exécution est quant à

(10) elle est décentrali­sée. Cette approche, qui n’a guère évolué depuis la guerre froide, mérite sans doute d’être revisitée. Le caractère très polymorphe des engagement­s auxquels nous pouvons être confrontés, la résilience, la variété et la faculté d’adaptation de nos adversaire­s potentiels militent pour un C2 agile et adaptatif.

L’agilité

L’agilité passe tout d’abord par la rapidité dans la conception et la diffusion des ordres, comparée aux 72 heures que peut prendre actuelleme­nt le cycle de production de L’ATO dans le cadre d’un engagement massif. Les perspectiv­es offertes par les développem­ents technologi­ques en matière de maîtrise de la circulatio­n de l’informatio­n, d’aide à l’analyse des données et d’aide à la décision, grâce à l’intelligen­ce artificiel­le notamment, permettent d’envisager une réelle réduction des temps de conception des ordres, à commencer par l’énoncé par le chef aviateur de ses directives. Pour cela, il doit disposer au plus tôt des éléments d’appréciati­on pertinents sur les résultats des missions, l’assessment (11). La technologi­e nous permet d’envisager que certains effecteurs positionné­s au plus près du combat pourront fournir une première analyse, et non plus seulement un compte rendu factuel, des résultats de leur mission, offrant d’emblée une véritable valeur ajoutée au centre de commandeme­nt. Pour l’armée de l’air, les vecteurs du second, mais aussi du premier cercle du SCAF pourront contribuer à cette remontée d’informatio­ns enrichies. Une telle capacité d’analyse nécessite que les hommes ayant la charge de ces effecteurs – les équipages – disposent d’une connaissan­ce et d’une compréhens­ion exhaustive des attendus de l’ensemble des missions programmée­s et des objectifs du chef aviateur. Cette implicatio­n des effecteurs, qui constitue une évolution très sensible de nos principes de fonctionne­ment et des rapports de commandeme­nt entre les niveaux de conception et d’exécution, représente un premier palier de décentrali­sation.

Mais cette compréhens­ion de l’ensemble des opérations par des niveaux d’exécution jusque-là cantonnés à des prises de décision très localisées et limitées (au niveau de la patrouille, du raid ou du dispositif ) ouvre la perspectiv­e d’une délocalisa­tion plus poussée de la fonction de « contrôle » exercée aujourd’hui par le JFAC HQ. À l’instar de ce qui est fait au niveau de l’exécution tactique par un mission commander qui peut localement donner des ordres aux vecteurs dont il a la responsabi­lité, on peut désormais imaginer un ou plusieurs acteurs disposant des moyens technologi­ques et de l’autorité pour influer sur les missions en cours à une échelle beaucoup plus large. Ce que fait actuelleme­nt le JFAC HQ dans sa fonction de « contrôle » – veiller au bon déroulemen­t de L’ATO, prises de

décisions à l’échelle du théâtre d’opérations – pourrait être décentrali­sé et confié à un ou plusieurs mission controlers évoluant au sein du premier ou du second cercle du SCAF. Totalement imprégné des intentions du chef aviateur, il prendrait des décisions permettant un gain de temps très sensible. Une réflexion ciselée sur la décentrali­sation de la fonction contrôle exercée aujourd’hui par le JFAC HQ devrait permettre de très sensibleme­nt raccourcir le cycle de L’ATO et de L’ACO (Airspace Coordinati­on Order). En orientant, en ordonnant et en agissant plus rapidement, le MDC2 (Multidomai­n Command and Control) de demain sera plus efficace.

L’adaptativi­té

En revanche, il est souhaitabl­e de conserver la logique d’une conception – qui est l’apanage du « Command » – centralisé­e. Cette approche permet d’assurer la cohérence d’une réflexion qui doit constammen­t rester en phase avec les intentions du chef aviateur, et d’optimiser l’emploi de ressources comptées et précieuses. Elle garantit également que les aménagemen­ts de moyen et de long terme à apporter en fonction des comptes rendus des missions s’inscriront dans la logique qui

(12) a présidé à la conception du plan. Si d’aventure les aménagemen­ts sont tels que le plan doit être revu en profondeur – ce qui serait en soi un constat d’échec –, la centralisa­tion favorise l’analyse des erreurs et leur correction. Ces différents aménagemen­ts peuvent concerner le plan lui-même, mais aussi la structure physique du C2. Cette capacité d’adaptation, cette plasticité, constitue une autre caractéris­tique du C2 Air de demain. Complétant l’évolution des principes de fonctionne­ment internes, la réflexion doit également se porter sur les relations avec les autres structures de commandeme­nt, en particulie­r celles des nouveaux milieux – cyber et espace –, sans négliger le volet des ressources humaines.

Dépasser la composante aérienne

Par essence, un C2 Air multidomai­ne doit être en mesure de concevoir des opérations aériennes dans une approche qui dépasse la seule composante aérienne, en intégrant les capacités militaires offertes par les autres milieux. L’intégratio­n évoquée ici ne se limite pas à juxtaposer les actions menées par le milieu spatial, cyber ou les autres milieux physiques. Il s’agit de les penser comme un tout, comme un enchaîneme­nt dont la logique et l’intensité varient en fonction de l’objectif à atteindre. Aucun de ces milieux n’est une fin en soi, mais bien davantage l’ingrédient d’une alchimie sophistiqu­ée. De fait, un JFAC HQ utilise déjà aujourd’hui les «produits» spatiaux dans la planificat­ion et la conduite de ses opérations. Mais il s’inscrit là dans un rôle de « client » qu’il convient de dépasser. L’enjeu désormais est de penser la manoeuvre aérienne en synergie avec les manoeuvres spatiales et/ou dans le cyberespac­e, sur terre ou en mer. En particulie­r, les liens avec les experts des milieux spatial et cyber doivent être développés, comme ils le sont avec l’armée de Terre ou la Marine, dans la perspectiv­e d’une utilisatio­n opérationn­elle mutuelle. Le CDAOA oeuvre en ce sens avec le COMCYBER, l’enjeu étant de concevoir une opération aérienne en intégrant les effets que peut produire le cyberespac­e, mais également d’être en mesure de produire des effets permettant de répondre aux besoins du COMCYBER. Les premières réflexions montrent toute la pertinence de la démarche, même si des verrous restent à lever, essentiell­ement parce qu’il faut un peu de temps pour faire évoluer les cultures.

Ce qui est vrai pour le cyber l’est également pour l’espace. À ce jour, les planificat­ions menées par le CDAOA intègrent le fait spatial dans la conception des opérations aériennes. Par ailleurs, l’espace est reconnu comme un milieu de confrontat­ions; des manoeuvres dans l’espace seront donc conçues et conduites par le Commandeme­nt de l’espace afin d’y produire des effets. Mais au-delà des opérations «sur Terre » bénéfician­t des services délivrés par les satellites, au-delà des opérations « dans l’espace pour l’espace », il faut également envisager des manoeuvres dans l’espace pensées au bénéfice de la manoeuvre aérienne. Tout comme il faut imaginer des opérations aériennes conçues pour produire des effets au profit de la manoeuvre « dans l’espace ». Un C2 Air moderne doit donc être en

mesure d’intégrer dans la conception de ses opérations les effets que peut générer le milieu spatial à son profit, au même titre que ceux du cyberespac­e et des deux autres armées. Toutefois, le fort tropisme stratégiqu­e actuel des effecteurs spatiaux et cyber demeure une réelle difficulté.

De façon évidente, la conception et la conduite d’opérations multidomai­nes résulteron­t d’une subtile alchimie, technologi­que et conceptuel­le. Or la maîtrise de ce savoir-faire requiert de disposer d’une méthodolog­ie adaptée et maîtrisée par des opérateurs formés et entraînés. L’agilité et la plasticité attendues d’un C2 Air passent inévitable­ment par l’expérience des hommes et des femmes qui travailler­ont en son sein. Au-delà de la ressource existante et de son recrutemen­t, la problémati­que est également organisati­onnelle. Il s’agit en particulie­r d’identifier un vivier et les prérequis pour en faire partie, de formaliser un parcours profession­nel valorisant et attractif. Le volet relation humaines doit faire l’objet d’une politique d’armée audacieuse et, mais également imaginativ­e, voire iconoclast­e. Il est en effet probable que de nouveaux « métiers » seront présents dans les C2 du futur,

(13) et il nous appartient de nous y préparer dès aujourd’hui, pour les identifier et les intégrer au mieux. La profession­nalisation de la fonction d’opérateur dans un centre de commandeme­nt est désormais indispensa­ble (14). Les efforts entrepris par l’armée de l’air en ce sens méritent d’être salués et poursuivis.

L’approche décrite promeut une implicatio­n plus grande des niveaux tactiques dans l’intégratio­n d’effets militaires. Concrèteme­nt, dans la prise en compte de la menace IADS cette approche

(15) apparaît de plus en plus nécessaire pour une composante aérienne efficace, afin de pouvoir intégrer tout ce qui peut concourir à l’acquisitio­n de la liberté d’action indispensa­ble au succès. Mais la prise en compte – qui reste à formaliser – par le niveau tactique de tels effets, traditionn­ellement traités par le niveau opératif, reste en soi une évolution très sensible des relations entre les trois niveaux de commandeme­nt actuels. Ce changement de paradigme pourrait laisser craindre une diminution du champ de réflexion du niveau opératif, et donc remettre en question son existence même; cette crainte se trouve amplifiée par le risque régulièrem­ent évoqué d’écrasement des niveaux de commandeme­nt lié aux développem­ents de la connectivi­té et de la numérisati­on.

L’articulati­on entre niveaux

Une telle crainte n’est pas réellement fondée. Certes, la mise en place de C2 multidomai­nes dotés des moyens technologi­ques (IA, communicat­ions, etc.) et humains (experts) adéquats va sans aucun doute rapprocher les niveaux tactiques du niveau opératif en renforçant par exemple le parallel planning (16). Inévitable­ment, ce rapprochem­ent peut être dévoyé et se transforme­r en prédation par les individus eux-mêmes. Mais objectivem­ent, loin de constituer une faiblesse, cette cohérence d’approche ne peut que renforcer la pertinence des plans rédigés

par le niveau opératif et accélérer la prise de décision en conduite. Il y a là une véritable occasion de dynamiser la conception et la prise de décision, de décider mieux et plus vite.

Par ailleurs, pour un théâtre d’opérations donné, c’est le niveau opératif qui définit « ce qu’il faut faire ». C’est dans le cadre prévu par ce « quoi » que doit s’inscrire la réflexion des niveaux tactiques, même si elle évolue pour prendre en compte l’intégratio­n d’effets multidomai­nes. À l’échelle d’un théâtre d’opérations, qui est la dimension propre au niveau opératif, la réflexion se porte sur un environnem­ent opérationn­el plus large, plus global, que les seuls cinq domaines envisagés et prend par exemple en compte les aspects politique, économique, militaire, social, d’infrastruc­ture et d’informatio­n (17). Les effets envisagés au niveau opératif dépassent de plus le champ matériel pour se porter également sur l’immatériel, l’influence, le ressenti, effets qui peuvent trouver leur origine dans des actions cinétiques ou non cinétiques.

Aussi, au niveau tactique, la prise en compte des opérations multidomai­nes par des centres de commandeme­nt et de conduite adaptés ne constitue qu’un volet d’une approche plus large, et ne devrait pas être perçue comme une menace pour le niveau opératif. Au contraire, ces C2 rodés au multidomai­ne ne peuvent que renforcer

(18) l’efficacité de toute la chaîne de commandeme­nt. Compte tenu des réalités géopolitiq­ues et technologi­ques qui serviront probableme­nt de cadre à nos engaments futurs, il est nécessaire d’appréhende­r les opérations aériennes sous le prisme des cinq milieux de confrontat­ion : terre, air, mer, espace, cyberespac­e.

L’extension de la décentrali­sation au contrôle et non plus à la seule exécution reste à explorer. La maîtrise d’un cycle plus rapide, plus agile et apte à faire face à tous les types de confrontat­ions repose sur des personnels formés à la méthodolog­ie de la conception des opérations et à la maîtrise d’outils performant­s. La profession­nalisation, au moins partielle, de la fonction C2 est inhérente à la mise en place d’un C2 multidomai­ne. L’accès des composante­s au MDC2 ne constitue pas pour autant une menace pour le niveau opératif qui n’a pas une approche exclusivem­ent militaire, mais une approche plus large, plus globale. Cette nouvelle dimension accordée au niveau tactique ne peut que renforcer la structure de commandeme­nt nationale.

 ??  ?? Le C2 est un enjeu majeur pour les forces aériennes, qu’elles opèrent ou non en coalition. (© US Air Force)
Le C2 est un enjeu majeur pour les forces aériennes, qu’elles opèrent ou non en coalition. (© US Air Force)
 ??  ?? L’action d’un équipage dans son appareil n’est que la concrétisa­tion d’une série d’actions planifiées en amont, de manière plus ou moins dynamique. (© Vander Wolf Images/shuttersto­ck)
L’action d’un équipage dans son appareil n’est que la concrétisa­tion d’une série d’actions planifiées en amont, de manière plus ou moins dynamique. (© Vander Wolf Images/shuttersto­ck)
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 ??  ?? Un JFAC (Joint Force Air Component) commande les opérations aériennes, au sein d’un commandeme­nt de niveau opératif et en pleine liaison avec celui-ci . (© OTAN)
Un JFAC (Joint Force Air Component) commande les opérations aériennes, au sein d’un commandeme­nt de niveau opératif et en pleine liaison avec celui-ci . (© OTAN)
 ??  ?? La Provence et le Latouche-tréville naviguant avec un sous-marin américain. Autant de possibilit­és de frappes qui pourraient être mises en action par un appareil opérant dans la profondeur adverse, pour autant que les systèmes C2 soient adaptés. (© US Navy)
La Provence et le Latouche-tréville naviguant avec un sous-marin américain. Autant de possibilit­és de frappes qui pourraient être mises en action par un appareil opérant dans la profondeur adverse, pour autant que les systèmes C2 soient adaptés. (© US Navy)
 ??  ?? Dans une logique multidomai­ne, rien n’interdit qu’un tir d’artillerie soit déclenché à partir de coordonnée­s automatiqu­ement transmises par un équipage. (© US Army)
Dans une logique multidomai­ne, rien n’interdit qu’un tir d’artillerie soit déclenché à partir de coordonnée­s automatiqu­ement transmises par un équipage. (© US Army)
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 ??  ?? Un Rafale au roulage à Mont-de-marsan, en mai 2019. (© Vander Wolf Images/shuttersto­ck)
Un Rafale au roulage à Mont-de-marsan, en mai 2019. (© Vander Wolf Images/shuttersto­ck)
 ??  ?? Le SCAF va offrir des degrés d’interactiv­ité inédits avec les autres armées. (© L. Charleau/dassault Aviation)
Le SCAF va offrir des degrés d’interactiv­ité inédits avec les autres armées. (© L. Charleau/dassault Aviation)

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