Armement hypersonique L’approche américaine
Si la Chine a récemment présenté son DF-17 et que le Zircon russe a été testé depuis la frégate Gorshkov début mars, ce sont les États-unis qui entretiennent pour l’heure le plus grand nombre de programmes d’armement hypersonique, plusieurs annonces ayant été faites ces derniers mois.
En l’occurrence, les programmessesontmultipliés ces dernières années, suivant des schémas assez peu orthodoxes pour les États-unis. Ainsi, dans le cas du C-HGB (Common-hypersonic Glide Body), le programme est mené conjointement par L’US Navy et L’US Army. Si Dynetics fabrique le planeur hypersonique et que Lockheed joue un rôle d’intégrateur, la conception est revenue aux laboratoires nationaux Sandia, le programme étant conduit par l’army, les tests dépendant quant à eux de la Navy. En l’occurrence, le système a été testé depuis Hawaii le 19 mars, après avoir fait l’objet d’un premier essai en octobre 2017. Concrètement, le tir n’avait pas pour unique but de poursuivre le développement du C-HGB, mais aussi de fournir des données à la Missile Defence
Agency, lui permettant ainsi de mettre aupointsespropressolutionsdedéfense contre les planeurs hypersoniques – un domaine également considéré comme prioritaire pour les États-unis.
Le programme C-HGB porte sur un planeur hypersonique, de sorte que l’army et la Navy développeront les missiles pouvant ensuite l’intégrer. Pour l’armée, il s’agira du Long Range Hypersonic Weapon (LRHW), un engin tiré depuis des lanceurs mobiles qui devrait entrer en service en 2023, à raison de quatre lanceurs par batterie. La logique retenue est celle du prototypage rapide, avec un déploiement en unité permettant d’apporter des améliorations au fur et à mesure des retours d’expérience. La marine américaine vise également 2023, avec deux catégories d’armement. L’une serait
lancée depuis des bâtiments de surface, tandis que l’autre serait tirée depuis les SNLE, le Conventionnal Prompt Strike. Il n’est pas encore certain qu’une version dotée de charges nucléaires ne sera pas déployée.
L’US Air Force a quant à elle rationalisé ses efforts. Initialement, elle cherchait à disposer d’un planeur et d’un missile de croisière, tous deux hypersoniques, débouchant respectivement sur lesprogrammesagm-183aarrw(airlaunched Rapid Response Weapon) et HCSW (Hypersonic Conventionnal Strike Weapon). Ce dernier avait bénéficié d’un contrat de 928 millions de dollars en avril 2018, mais a finalement été annulé en février 2020. Les raisons de cette annulation sont doubles. D’une part, l’air Force a indiqué que plusieurs des entreprises y participant ne seraient
pas en mesure de produire des résultats tangibles dans les délais impartis – soit d’icià2022.d’autrepart,leconceptavait peu à peu glissé vers une logique de planeur plus que de missile de croisière au sens classique du terme. Or le système devait pouvoir être utilisé depuis des appareils de combat, afin de traiter des cibles fugaces, avec un guidage terminal devant assurer un maximum de précision. Dans le même temps, cette annulation va permettre à l’air Force de reprendre sous son aile un autre programme, jusque-là développé par la DARPA, l’hypersonic Air-breathing Weapons Concept (HAWC) et qui correspondrait mieux à ses demandes. L’AGM-183A sera quant à lui équipé d’un planeur dérivé du Tactical Boost Glide (TBG) développé par la DARPA et qui est différent du C-HGB.
Si les programmes semblent foisonneretdémontreruneconcurrenceentre les services, la logique retenue par le Pentagone est totalement différente. Les autorités américaines entendent ne pas reproduire les erreurs observées avec le F-35 et sa logique d’« un système pour tous». Pratiquement, si chacun développe ses systèmes, l’ensemble est coordonné. Début mars a ainsi été présentée une « hypersonic war room » placée sous la responsabilité du directeur de la recherche et de l’ingénierie pour la modernisation, Mark Lewis, et de l’assistant du secrétaire à la Défense pour les acquisitions, Kevin Fahey. Ses missions ne sont pas uniquement d’assurer la complémentarité des travaux, mais aussi de les favoriser, au sens premier du terme. Il s’agit ainsi de chercher à acquérir une expérience de l’hypersonique et des besoins qu’il fera naître, mais également de voir dans quelle mesure l’industrie et la recherche pourront y répondre. De facto, les questions qui semblent se poser à Washington sont celle de l’aptitude à la production en masse, mais aussi celle de la poursuite des recherches et de la définition des domaines où les financements seront prioritairement affectés.
Les efforts hypersoniques américains sont encore loin d’être terminés. Des responsables américains estiment ainsi que le Tactical Boost Glide pourrait équiper d’autres systèmes, encore à développer, y compris pour les Marines. Des questions restent également en suspens, cette fois d’un point de vue doctrinal. L’army veut ainsi disposer, à moyen terme, de «bataillons de feux stratégiques » à l’échelon brigade, avec des interrogations à propos de la ventilation et des élongations du champ de bataille, mais aussi de leur finalité : tactique ou opérative ? Cette question se posera également pour les Marines, dont les feux actuels ont la portée du 155 mm. Or penser en termes hypersoniques revient à penser la rapidité d’engagement – qui est très loin d’aller de soi –, mais aussi la profondeur des zones traitées et la dispersion des dispositifs de frappe… Corollaire, la question de la coordination et de l’intégration des feux opératifs se pose : tous les services américains sont ainsi appelés à disposer de systèmesdefrappeàlongueportée,mais comment donc organiser le ciblage ?
Les armements hypersoniques ne pourraient donc se penser sans une vision multidomaine, avec un degré d’intégration et d’interaction inédit entre les forces (1). Des perspectives fascinantes s’ouvrent – la possibilité pour un pilote d’engager une cible tout juste détectée par un engin hypersonique tiré d’un sous-marin ou du sol par exemple –, mais elles reposent sur une série de facteurs sur lesquels pèsent des inconnues. Celles-ci vont de la sécurité des réseaux et des infrastructures de communication jusqu’aux modalités d’exercice du renseignement et de sa diffusion. Sans cible confirmée et sans transmission en temps (quasi) réel permettant d’exploiter effectivement les gains de temps obtenus avec la frappe hypersonique, il est difficile de frapper efficacement. Derrière ces aspects, il y a des questions doctrinales et procédurales extrêmement complexes à résoudre : l’effecteur ne peut plus fonctionner sans ses enablers. Et à bien des égards, l’armement hypersonique n’est sans doute que la partie la plus simple(!) de la réponse à l’équation du combat futur…