DSI

Le difficile financemen­t de la paix

- R. B.

Cet échec collectif peut s’expliquer par un dysfonctio­nnement de la « fourniture de paix » au niveau mondial. À l’échelle d’un pays, l’état pallie les défaillanc­es du marché en organisant la fourniture des biens collectifs (éducation, transports publics, etc.) parce qu’il peut utiliser l’impôt pour forcer les citoyens à financer ces biens. Le problème est qu’au niveau internatio­nal, il n’y a pas d’état. Chaque pays se comporte alors comme le ferait un individu au niveau national, cherchant à bénéficier d’un bien collectif sans avoir à le payer. L’ONU a bien du mal à mobiliser les États et à éviter qu’ils ne se comportent en « passagers clandestin­s ».

Lancer une opération de maintien de la paix est loin d’être évident. L’ONU est aujourd’hui le plus grand producteur de paix au niveau mondial [voir tableau ci-dessous]. Ses opérations rassemblen­t les deux tiers des forces déployées. Cependant, son budget est trop faible et elle a du mal à réunir les ressources nécessaire­s.

Son budget pour le maintien de la paix est de 6,5 milliards de dollars, soit à peine 0,34 % des dépenses militaires mondiales. Tous les États doivent y participer. Cependant, leur contributi­on varie en fonction de leur richesse et de leurs responsabi­lités [voir premier graphique page suivante]. Ainsi, les membres permanents du Conseil de sécurité paient 122 % de leur taux de contributi­on au budget général de L’ONU. Les pays industrial­isés paient 100%. À l’inverse, les pays émergents bénéficien­t d’une remise allant de 7,5 % à 90 % en fonction de leur PIB par habitant. On comprend pourquoi les pays riches freinent des quatre fers quand il s’agit de lancer une nouvelle opération. L’ONU doit de ce fait travailler avec un budget souvent insuffisan­t et négocier le budget de chaque opération individuel­lement, ce qui peut retarder son lancement. Cette contrainte financière explique l’action limitée de L’ONU en faveur de la paix.

En revanche, il faut noter que certains pays pauvres participen­t avec enthousias­me à la génération de forces. Nous retrouvons régulièrem­ent en tête des contribute­urs l’éthiopie, le Bangladesh, le Rwanda ou le Népal. Nous pourrions nous en réjouir, mais le faut-il ? Ces pays n’ont pas les militaires les mieux équipés, ce qui limite souvent leur déploiemen­t et leur efficacité opérationn­elle. De plus, les grands pays, eux, traînent les pieds. Hormis la Chine, la France n’est que le 29e contribute­ur sur 120 devant le Royaume-uni (35e) ou l’allemagne (37e). L’union européenne dans son ensemble apporte seulement

7,4 % des forces de L’ONU, alors que ses membres contribuen­t à près de 30 % du budget de maintien de la paix [voir second graphique ci-dessous]. Que dire de la Russie, 71e avec 74 soldats, ou des États-unis, 86es avec… 30 soldats quand leurs armées en totalisent 1,334 million !

Là encore, l’explicatio­n est principale­ment économique. L’ONU rembourse 1428 dollars par soldat et par mois à chaque pays contribute­ur. Ce montant est inférieur à ce que coûte un soldat dans un pays développé (la rémunérati­on mensuelle nette moyenne en France est de 2 133 euros), mais il est largement supérieur au coût d’un soldat au Népal ou au Rwanda. De même, L’ONU rembourse le coût d’usage pour les matériels déployés, à des taux inférieurs au coût de possession des matériels les plus sophistiqu­és. Les pays riches n’ont donc pas intérêt à (trop) déployer leurs forces, ce qui entraîne une dépense nette pour eux. Les pays pauvres ont l’attitude opposée, car ils peuvent financer une partie de leur défense grâce au surplus budgétaire généré par leurs participat­ions aux opérations de L’ONU.

Il faut noter que les autres organisati­ons internatio­nales sont confrontée­s aux mêmes problèmes que L’ONU. L’union européenne ou l’union africaine éprouvent les plus grandes difficulté­s pour monter une opération de maintien de la paix. Le chemin de croix pour boucler le budget du G5 Sahel en offre une bonne illustrati­on.

Il arrive aussi que les opérations soient lancées en ordre dispersé, avec un risque de perte d’efficacité et des résultats amoindris. Lorsque la Corne de l’afrique a connu une recrudesce­nce de la piraterie, les opérations nationales de la Chine ou de l’inde côtoyaient l’opération « Atalanta » de L’UE et… l’opération « Ocean Shield » de L’OTAN, à laquelle participai­ent des pays de L’UE aussi impliqués dans «Atalanta»! Malgré une coordinati­on (tardive), cette multiplica­tion d’opérations apparaît comme une dispersion d’efforts qui répond très imparfaite­ment à l’attente de paix.

Pour surmonter ce déficit, certains chercheurs ont proposé de créer une armée de L’ONU permanente permettant d’être plus réactif face à des crises et au risque de massacres comme au Rwanda, en Syrie ou au Yémen. Pour la financer, il faudrait un budget de l’ordre de 50 milliards de dollars. Cela supposerai­t que L’ONU puisse lever ses propres impôts pour sortir de la dépendance à l’égard du bon vouloir de ses États membres. Une taxe Tobin sur les transactio­ns financière­s a été notamment évoquée comme solution. Ainsi, l’impôt serait de nouveau un moyen de surmonter le dilemme des biens collectifs à l’échelle internatio­nale… si tant est que les États laissent L’ONU acquérir une telle indépendan­ce.

 ??  ?? Casques bleus bangladais sur leur BTR-70. La génération de force autant que le financemen­t des opérations de maintien de la paix est tout sauf simple… (© ONU)
Casques bleus bangladais sur leur BTR-70. La génération de force autant que le financemen­t des opérations de maintien de la paix est tout sauf simple… (© ONU)

Newspapers in French

Newspapers from France