PILUM L’europe enfin sur la voie du ?
Les canons électromagnétiques (EMRG – Electromagnetic Rail Gun) promettent beaucoup en termes de puissance de feu et de portée de tir. S’ils font l’objet d’essais en Chine et aux États-unis(1), l’europe paraissait en retrait d’un domaine essentiel pour l’avenir de l’artillerie. C’est dans ce cadre que les dernières annonces revêtent une importance particulière.
En l’occurrence, l’agence européenne de défense (AED) a, dès 2019, lancé un appel à propositions pour un programme sous financement de la Commission européenne – les fameuses actions préparatoires pour la recherche de défense – focalisé sur les railguns et baptisé PILUM (Projectiles for Increased Longrange effects Using electro-magnetic railgun). C’est le consortium emmené par le discret ISL (Institut Saint-louis) qui l’a emporté, le 11 juin, sachant que l’institut a développé deux systèmes
par le passé et dispose d’une expertise reconnue dans ce domaine. Le centre de recherche en R&T franco-allemand va coordonner le projet, qui regroupe également Naval Group et Nexter (pour l’intégration des systèmes, mais aussi, pour le deuxième, les munitions) ; l’institut belge Von Karman, spécialisé en dynamique des fluides; Diehl Defence (munitions); Explomet, une firme polonaise spécialisée dans la soudure par explosion; ICAR, une entreprise italienne fabriquant des condensateurs électriques de haute capacité ; et enfin Erdyn Consultants, spécialisée dans la gestion de projets européens. Pour l’heure, il est question d’un budget d’environ 1,5 million d’euros.
Destination 2028
D’une durée de deux ans, le projet a pour ambition de prouver qu’un EMRG est militairement pertinent en démontrant qu’il peut effectuer des tirs à très longue distance – soit 200 km, pour ce qui est de l’objectif fixé par L’AED – en travaillant sur le plan théorique, par calculs et simulations. L’objectif de L’AED n’est pas de se limiter aux seuls travaux de R&T jusqu’en 2022 : une fois le principe validé et l’utilité affirmée, il s’agit également de pouvoir construire un démonstrateur en bonne et due forme, opérationnel et de taille militairement pertinente pour 2028, en vue d’essais réels. D’ici là, la tâche à accomplir est considérable. Les technologies
de pointe nécessaires pour parvenir à un essai fructueux sont nombreuses et doivent être modélisées pour pouvoir ensuite être développées.
De facto, il faut pouvoir stocker l’énergie et disposer de l’accélérateur, mais aussi permettre des tirs à répétition, avec des projectiles adaptés aux vitesses hypersoniques – ce qui nécessite toute une gestion thermique au niveau du lanceur. À leur tour, les projectiles doivent conserver un haut degré de précision à l’impact, ce qui implique que l’électronique embarquée supporte l’accélération de départ, mais aussi les températures dues au frottement de l’air, tandis que l’obus doit pouvoir corriger sa trajectoire sous forte contrainte aérodynamique. De plus, il faut également s’assurer que le système sera suffisamment compact pour être militairement utilisable, au sol ou sur un navire, avec toutes les contraintes que cela suppose en termes de consommation électrique, mais aussi d’interférences électromagnétiques avec les capteurs et systèmes de bord.
Un game changer pour 2040 ?
Pour quelles applications ? En Chine, aux États-unis, au Japon ou en Corée du Sud, la logique retenue est avant tout navale : les grands destroyers disposent à bord de l’espace et de la capacité de génération électrique nécessaires. A priori, l’appui-feu de troupes amphibies et la frappe dans la profondeur adverse sont des options envisagées, avec à la clé des questions quant à la puissance des effecteurs. Pour l’heure en effet, l’énergie explosive découle de la frappe cinétique, de sorte que la question de l’adaptabilité des effets, comparativement aux obus classiques ou encore aux munitions d’aviation et autres missiles de croisière tirés depuis les navires, se pose. Les logiques d’emploi ne s’arrêtent pas là : les EMRG laissent ouverte la porte à un retour de l’artillerie navale au sens classique.
À vitesse hypersonique et en bénéficiant d’une correction de trajectoire, il est possible d’envisager le combat antinavire à des distances équivalentes ou supérieures à celles atteintes par les missiles antinavires actuellement embarqués… mais avec une salve bien plus importante en fonction du nombre de coups embarqués (actuellement, de huit à seize missiles antinavires sur les grands bâtiments de surface). Le placement de missiles à lancement vertical – comme sur les destroyers Type-052d et les croiseurs Type-055 chinois – pourrait porter la salve à plus de 50 ou 60 coups. Une dotation en EMRG pourrait comprendre plusieurs centaines de coups, nonobstant la question de la frappe de saturation et du rythme des départs de tir.
D’un point de vue stratégique cette fois, une autre option pourrait concerner l’utilisation D’EMRG en défense antibalistique. Pour l’instant, elle repose sur des engins particulièrement coûteux alors que des performances endoatmosphériques respectables – en termes d’altitude d’interception et de réactivité – pourraient être atteintes, à une fraction seulement du prix d’un missile SM-3 ou d’un Aster Block-1nt. Pour peu que les capteurs et les calculateurs soient adaptés, la vitesse hypersonique des projectiles permettrait également des tirs en salve accroissant la probabilité d’interception dans l’étroite fenêtre temporelle de la rentrée d’un missile adverse. Tactiquement et peutêtre même stratégiquement donc, le potentiel des EMRG est considérable et pourrait changer la manière de combattre à distance. En tout état de cause, plusieurs puissances s’y intéressent déjà et ont fait des progrès remarquables dans ce domaine où se laisser distancer pourrait constituer une erreur stratégique…