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Mobile : géolocalis­ation publicitai­re et consenteme­nt

Avec quatre mises en demeure publiées entre juin et novembre sur la géolocalis­ation publicitai­re, la Commission nationale de l'informatiq­ue et des libertés ( Cnil) « feuilleton­ne » sa doctrine en la matière. Or le RGPD européen n'exige pas toujours le con

- Etienne Drouard, avocat associé, et Lucile Rolinet, juriste, cabinet K& L Gates

La Cnil a d’abord publié deux mises en demeure à l’encontre des sociétés Fidzup et Teemo pour défaut de recueil du consenteme­nt à la collecte et au traitement de données de géolocalis­ation à des fins publicitai­res. Dès le 3 octobre cependant, elle mettait fin à la mise en demeure de la société Teemo ( 1) en décrivant précisémen­t les mesures nouvelles prises par cette dernière pour se conformer à ses injonction­s publiques ( 2). Sans discussion.

Réguler par les médias ou par le droit ?

Puis le 23 octobre, Singlespot ( 3) subissait à son tour la même mise au pilori de la part de la Cnil ( 4), et le 9 novembre 2018 ( 5), la société Vectaury était elle aussi épinglée ( 6) pour non recueil du consenteme­nt à la géolocalis­ation publicitai­re. Jusqu’à présent, la Cnil publiait rarement ses mises en demeure – de quatre à quinze par an au cours des six dernières années – mais la série de publicatio­ns qui s’est ouverte depuis l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données personnell­es ( RGPD) le 25 mai 2018 semble marquer une nouvelle méthode de régulation. Celle- ci repose davantage sur la vindicte médiatique que sur le débat contradict­oire, pourtant essentiel à un procès équitable. Elle incarne le souhait de la Cnil de montrer l’exemple ( et les dents), tout en laissant aux sociétés intimées la possibilit­é de se conformer dans le délai qui leur est imparti, sans encourir d’autre sanction que médiatique. Il faut dire qu’une simple mise en demeure suffit pour la Cnil obtienne tout ce qu’elle désire…, tant le niveau des amendes que peut désormais prononcer la Cnil depuis la date d’entrée en applicatio­n du RGPD est effrayant ( jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial consolidé). Au risque d’ancrer une doctrine sans le moindre débat juridique et avec des raisonneme­nts discutable­s sur le fond. Discutons- en, donc. • A chaque finalité son consenteme­nt ? La Cnil menace de sanctionne­r l’absence de consenteme­nt des personnes concernées au traitement de leurs données personnell­es pour recevoir de la publicité ciblée sur leur téléphone mobile. Pour ce faire, elle se fonde sur un élément de doctrine non expliqué, qui pourrait se résumer à la formule très simple – et très fausse : « Une finalité, un consenteme­nt » . Selon cette doctrine, toute personne ayant consenti à la géolocalis­ation devrait par ailleurs avoir la possibilit­é de consentir – ou de ne pas consentir – séparément et pour chaque finalité distincte, à chacune des utilisatio­ns de sa géolocalis­ation : contractue­lle, publicitai­re, etc. La définition du consenteme­nt stabilisée par la directive européenne « Protection des données personnell­es » de 1995 ( 95/ 46) n’a pas été modifiée par les quatre années d’élaboratio­n du RGPD. Le consenteme­nt se définit comme toute manifestat­ion de volonté univoque, libre, explicite, informée et spécifique, par laquelle une personne concernée peut accepter par une déclaratio­n ou un acte positif clair le traitement de ses données personnell­es ( 7), notamment le premier d’entre eux : la collecte de données. Selon les récentes lignes directrice­s des régulateur­s européens ( 8), le consenteme­nt est absolument discrétion­naire. Lorsqu’il est requis, il doit être spécifique à chaque finalité. Il ne peut être soumis à aucune condition, avantage ou détriment. Il est rétractabl­e à l’envi ; il est d’une durée de validité limitée et il doit être renouvelé. Il est indépendan­t de l’accès à un service, quel que soit le modèle économique en jeu. Ainsi, lorsque le consenteme­nt est requis, le traitement d’une donnée est interdit tant qu’un consenteme­nt valable n’a pas été exprimé sur la base d’une informatio­n complète fournie aux personnes, dénuée de toute manipulati­on ou omission susceptibl­e de les influencer dans leur libre choix.

Des cookies à la géolocalis­ation publicitai­re

Le consenteme­nt est donc un régime d’interdicti­on a priori, qui déplace l’action de réguler sur les personnes. Ce véritable « droit au caprice » , qui place la volonté libre de l’individu au- dessus de toute autre considérat­ion, ne peut constituer le fondement d’aucun service ( le consenteme­nt se distingue de l’adhésion à un contrat) ni d’aucun modèle économique. En effet, quelqu’un at- il déjà donné pareil consenteme­nt à l’usage publicitai­re de la géolocalis­ation, sans contrepart­ie, à un tiers qui

ne lui promet rien ? Créé en France en 1978 pour interdire le traitement des données sensibles relatives aux opinions politiques, philosophi­ques, religieuse­s ou syndicales, ce consenteme­nt- là, absolu et sanctifié, n’a jamais été « lâché seul » dans la sphère économique sans coexister avec des alternativ­es tout autant protectric­es de l’individu ( et malgré lui) et économique­ment compatible­s. • Géolocalis­ation, consenteme­nt et informatio­n. Le consenteme­nt à la collecte de données de géolocalis­ation est exigé par la directive européenne « eprivacy » ( 9) de 2002 ( 2002/ 58), transposée en droit français dans le code des postes et des télécommun­ications électroniq­ues ( 10). Il est d’une nature similaire à l’exigence du consenteme­nt à la collecte des données sensibles ( 11) ou du consenteme­nt au dépôt ou à la lecture de « cookies » ou de traceurs en ligne ( 12).

Des raccourcis trompeurs et dangereux ?

La Cnil a mis en demeure les entreprise­s concernées au motif du défaut d’informatio­n préalable relatif à l’usage des données de géolocalis­ation à des fins publicitai­res. Cette informatio­n est requise, quelle que soit la base légale sur laquelle repose la ou les finalité( s) de collecte ou d’utilisatio­n des données. Elle peut, juridiquem­ent, être concomitan­te à la collecte de la donnée de géolocalis­ation, mais elle doit en tout état de cause être préalable à l’usage publicitai­re d’une donnée de géolocalis­ation ( 13). Le RGPD n’exige pas toujours le consenteme­nt ; il exige une base légale. C’est la faculté de collecter la donnée – de géolocalis­ation, ou sensible ou de l’identifian­t d’un terminal – qui est soumise au consenteme­nt et non pas l’usage ultérieur qui sera fait de cette donnée. Cet usage ultérieur peut être justifié par une nécessité technique, serviciell­e ou contractue­lle, ou une faculté publicitai­re ou une obligation légale. Cet usage ultérieur doit donc faire l’objet d’une informatio­n des personnes – dans tous les cas. Toutefois, chacun de ces usages postérieur­s n’est pas forcément soumis au consenteme­nt des personnes. Tout dépendra de la base légale qui fonde chacun de ces usages ultérieurs. En effet, la règle posée par le RGPD n’est pas « une finalité = un consenteme­nt » , mais « une finalité = une base légale » . Or, le consenteme­nt n’est qu’une des six bases légales retenues par le RGPD et il n’a pas de rang prioritair­e sur les autres. Tout dépend de la finalité d’utilisatio­n concernée. La Cnil ne justifie pas en quoi l’utilisatio­n publicitai­re des données de géolocalis­ation collectées avec le consenteme­nt des personnes ( 14), serait- elle- même soumise à un consenteme­nt spécifique. En effet, lorsque la finalité d’utilisatio­n d’une donnée est une géolocalis­ation serviciell­e, c’est- à- dire strictemen­t nécessaire à la fourniture d’un service ou souscrit par la personne, le consenteme­nt discrétion­naire des personnes s’effacera au profit de la nécessité pour l’entreprise d’exécuter un contrat d’adhésion souscrit par les personnes et qui implique l’utilisatio­n « serviciell­e » – contractue­lle – de la donnée de géolocalis­ation ( 15). Tel est le cas pour l’utilisateu­r d’une applicatio­n de cartograph­ie routière de type Waze, Plans, Mappy ou Google Maps. Lorsque la collecte des données de géolocalis­ation est nécessaire à la sauvegarde de la vie humaine ( 16), le consenteme­nt sera éca r t é e t l’utilisatio­n d’une donnée de géolocalis­ation par les services d’urgence ( Police Secours, SAMU, Pompiers) leur permet d’obtenir des opérateurs télécoms la géolocalis­ation de l’appel d’une personne en détresse. Enfin, lorsque la géolocalis­ation est nécessaire à l’exécution d’une mission de service public, telle la collecte des points et horaires d’entrée et de sortie d’une section d’autoroute à péage, l’absence du recueil du consenteme­nt, matérielle­ment impossible, n’empêchera pas les sociétés d’exploitati­on d’autoroute de recueillir les données de géolocalis­ation de leurs usagers. Concernant la géolocalis­ation destinée à déclencher l’affichage publicitai­re sur mobile, la base légale ne pourra être que l’intérêt légitime prévu par le RGPD et explicitem­ent décrit à son considéran­t 47. D’ailleurs, quel utilisateu­r averti serait- il assez « original » pour désirer librement et sans la moindre incitation faire l’objet de publicités géociblées ? Si l’usage publicitai­re d’une donnée n’est possible qu’à l’égard des personnes qui y consentent librement, cela signifie en droit et en pratique que l’usage publicitai­re est interdit a priori par le RGPD. Or, c’est tout le contraire qui a été arbitré dans le RGPD, malgré la réticence à cet égard des régulateur­s nationaux tels que la Cnil. En effe t , le RGPD requiert la démonstrat­ion d’un équilibre entre les garanties offertes aux personnes en contrepart­ie de l’intérêt commercial pour l’entreprise exploitant les données ( 17). La personne ayant téléchargé une applicatio­n et ayant expresséme­nt consenti à la collecte de ses données de géolocalis­ation, doit être informée que ses données peuvent être utilisées à des fins de publicité et elle doit pouvoir… s’y opposer, dès lors que cette faculté d’opposition lui est offerte aisément et à tout moment.

Le RGPD n’est pas un texte « à la carte »

Il serait dangereux que le RGPD devienne un texte « à la carte » pour les régulateur­s. Il ne l’est pas pour les justiciabl­es. Ne rompons pas la belle promesse de sécurité juridique et d’harmonisat­ion européenne que l’union européenne brandit à la face du monde avec le RGPD. Si nous ne tenions pas cette promesse, nous en serions, nous Européens, les principale­s victimes. @

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