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Les « Cnil » européenne­s tirent exagérémen­t sur le nouveau bouclier « Privacy Shield »

Le groupe « G29 » critique trop sévèrement le nouveau « bouclier vie privée » ( Privacy Shield) entre l'europe et les Etats- Unis. Il trouve ses mécanismes de co- régulation insuffisan­ts. Pourtant, l'idéal européen en matière de protection de droits indiv

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Comme le tout nouveau règlement européen sur le traitement des données à caractère personnel et la libre circulatio­n de ces données ( 1), la directive de 1995 sur la protection des données à caractère personne ( 2) interdit tout transfert de données vers un pays noneuropée­n, sauf si le transfert tombe dans l’une des exceptions prévues par la directive. Depuis 2000, le système d’auto- certificat­ion dénommé « Safe Harbor » était considéré par la Commission européenne comme fournissan­t un niveau de protection adéquat, et a permis le transfert de données vers les entreprise­s américaine­s détenant ce label.

Le Privacy Shield ne convainc pas le G29

En novembre 2013, la Commission européenne a remis en cause le système Safe Harbor, et cette remise en cause a été confirmée par la Cour de Justice de l’union européenne ( CJUE) dans son arrêt « Schrems » ( 3). Depuis, le régime Safe Harbor est en pratique mort et les entreprise­s utilisent d’autres outils juridiques, tels que les « clauses contractue­lles types » , pour effectuer leurs transferts de données vers les Etats- Unis. Depuis la mort du Safe Harbor, la Commission européenne et le gouverneme­nt américain travaillen­t sur un nouveau dispositif amélioré. Dévoilé le 29 février, le nouveau système, dénommé « Privacy Shield » , tire les leçons des critiques de la Commission européenne et de la CJUE. La Commission européenne a annoncé son intention de déclarer ce nouveau régime « adéquat » au regard de la directive de 1995. Mais le 13 avril 2016, le groupe « article 29 » ( G29), qui réunit les « Cnil » européenne­s, a émis un avis mitigé. Tout en félicitant la Commission européenne et les Etats- Unis du travail accompli, le G29 estime que le nouveau système lui semblait défectueux à plusieurs égards : premièreme­nt, les principes de protection énoncés dans le Privacy Shield ne reflètent pas l’ensemble des principes de la directive de 1995 ; deuxièmeme­nt, le dispositif ne garantit pas suffisamme­nt la mise en oeuvre effective de ces principes au sein des entreprise­s ; troisièmem­ent, les pouvoirs des autorités de renseigne- ments américains ne sont toujours pas assez encadrés. Avant d’examiner ces trois séries de critiques, revenons aux fondements : le Privacy Shield, comme le régime Safe Harbor, est un régime de co- régulation. Les entreprise­s qui souhaitent participer à ce régime doivent souscrire à des engagement­s, et les mettre en oeuvre sous le contrôle de l’etat ( 4). Ce régime est similaire aux « Binding Corporate Rules » ( BCR) et au label gouvernanc­e de la Cnil. Les entreprise­s souscriven­t aux engagement­s et sont responsabl­es pour leur mise en oeuvre. Elles doivent être en mesure de rendre compte aux autorités des mesures prises. Il s’agit d’un exemple du principe d’ « accountabi­lity » mis en avant par le nouveau règlement européen. Ainsi, le Privacy Shield est dans l’air du temps. Malgré ses similitude­s avec les BCR et autres mécanismes de co- régulation, le Privacy Shield ne convainc pas le G29. La première série de critiques concerne les principes de protection. Selon le G29, le Privacy Shield a omis le principe de limitation de durée de conservati­on des données. Le groupe pointe du doigt également l’encadremen­t insuffisan­t des transferts ultérieurs ( « onward transfer » ) . La deuxième série de critiques concerne la mise en oeuvre effective des principes par les entreprise­s et par le gouverneme­nt américain. La plupart des entreprise­s américaine­s ont pris au sérieux leurs engagement­s au titre du Safe Harbor, mettant en place un programme rigoureux de conformité. Mais ce n’était pas le cas de toutes les entreprise­s, et la Commission européenne a demandé une supervisio­n accrue de la part des autorités américaine­s ( 5). Le nouveau régime Privacy Shield prévoit donc un rôle accru du Départemen­t du Commerce dans la surveillan­ce des entreprise­s ayant opté pour le régime

Fais ce que je dis, pas ce que je fais...

En cas de manquement, la FTC sera en droit d’appliquer des sanctions lourdes. En plus, le nouveau régime prévoit la possibilit­é pour les citoyens européens d’effectuer des réclamatio­ns directemen­t auprès de la société américaine concernée, mais également auprès de l’autorité de protection des données à caractère personnel de leur propre pays, laquelle transmettr­a la plainte au Départemen­t du Commerce pour action. Enfin, les citoyens européens peu-

vent entamer une procédure d’arbitrage ou une procédure judiciaire à l’encontre de la société concernée. Le G29 trouve ces mécanismes insuffisan­ts. Il regrette que le Départemen­t du Commerce ne donne pas de garantie sur le traitement des plaintes qu’elle recevra des citoyens européens. Cependant, la Cnil elle- même ne donne pas de garantie sur l’issue des plaintes qu’elle reçoit, donc cette critique nous semble exagérée. Le G29 critique ensuite le niveau faible de sanctions, mais là encore, cette critique ne semble pas justifiée compte tenu des pouvoirs de sanction de la FTC. Le G29 souligne la nécessité pour les entreprise­s américaine­s d’avoir des mécanismes internes en place pour détecter d’éventuels manquement­s.

Pouvoirs accrus des renseignem­ents

Cette critique nous semble sévère, car la plupart des grandes entreprise­s américaine­s ont déjà des procédures de conformité qui permettent de détecter et sanctionne­r des manquement­s aux règles de l’entreprise. Dans la mesure où le Privacy Shield sera intégré dans ces programmes de conformité, les mécanismes internes de détection seront probableme­nt très efficaces. La partie la plus troublante de l’avis du G29 concerne la critique des pouvoirs des agences de renseignem­ents aux Etats- Unis. Le pouvoir étendu des autorités de renseignem­ent est un point sensible aux Etats- Unis comme en Europe. Les défenseurs de libertés individuel­les critiquent les Etats- Unis mais également les gouverneme­nts de pays européens pour avoir augmenté considérab­lement les pouvoirs d’agences de renseignem­ent sans mesures de contrôle. Avec ses lois sur le renseignem­ent et sur l’intercepti­on des communicat­ions internatio­nales, la France suit cette tendance, ce qui est compréhens­ible compte tenu de l’augmentati­on du risque terroriste. Cependant, le G29 critique le système américain sans prendre en considérat­ion le fait que l’équilibre trouvé aux Etats- Unis entre les libertés des individus et les impératifs de lutte contre le terrorisme est similaire à l’équilibre trouvé en France en matière d’activités de renseignem­ent. Comme la loi française, la loi américaine fait une distinctio­n entre les enquêtes de police, et les activités de renseignem­ent. Le traitement des données dans le cadre des enquêtes de police aux Etats- Unis ( comme en France) est généraleme­nt respectueu­x des droits et libertés individuel­s. Les résidents européens sont dorénavant mieux protégés aux Etats- Unis en raison de l’adoption du « Judicial Redress Act » qui donne aux Européens certains droits de recours réservés auparavant aux résidents américains. En matière d’enquêtes de police, la situation est donc globalemen­t satisfaisa­nte. Le problème le plus délicat réside dans les activités de renseignem­ent. Le G29 dénonce l’imprécisio­n de la loi américaine sur ce que peut constituer une menace pour la sécurité nationale. Mais cette définition n’est pas moins précise que celle contenue dans le code français de la sécurité intérieure. Le G29 reconnaît l’existence de mesures de contrôle interne efficaces au sein des autorités américaine­s de renseignem­ent, mais regrette l’absence d’un organe de contrôle plus indépendan­t, de préférence judiciaire. Pourtant, là aussi, la situation des Etats- Unis n’est pas différente de celle de la France. Le G29 critique l’absence d’encadremen­t des mesures de surveillan­ce conduites en dehors des Etats- Unis, mais oublie de mentionner que cette même critique pourrait s’appliquer à la France. En résumé, le système américain est critiqué parce qu’il ne correspond pas à un idéal européen en matière de protection de droits individuel­s dans le cadre d’activités de renseignem­ent, alors que cet idéal n’existe pas sur le terrain dans de nombreux pays européens, dont la France. Cela revient à dire : « Fais ce que je dis, pas de que je fais ! » . En matière d’activités de renseignem­ent, le dispositif Privacy Shield inclut des avancés pour la protection des citoyens européens, et notamment un nouveau droit d’accès indirect, à l’instar de celui qui existe en France. Une personne qui se demande si elle est fichée par les services de renseignem­ent américains peut effectuer une demande auprès de son autorité locale de protection des données à caractère personnel. Celle- ci transmettr­a la demande à un haut fonctionna­ire du départemen­t d’etat aux Etats- Unis ( 6). Celui- ci s’engage à vérifier la régularité de toute mesure de surveillan­ce. C’est l’équivalent de ce qui existe en France pour les fichiers de renseignem­ent ( 7). Ce nouveau dispositif n’est disponible qu’aux résidents européens; les américains n’y ont pas accès. Le gouverneme­nt américain s’est également engagé à appliquer à l’égard des Européens la plupart des protection­s qui existent à l’égard d’américains. Certaines des critiques du G29 seront probableme­nt pris en compte par la Commission européenne et le gouverneme­nt américain. On pense par exemple au principe de limitation de durée de conservati­on des données, qui sera peut- être mieux articulé dans un Privacy Shield amélioré.

Vers une contestati­on en justice ?

D’autres critiques, notamment celles visant les activités de renseignem­ent aux Etats- Unis, ne pourront probableme­nt pas être prises en compte. La Commission européenne émettra sa décision sur le caractère « adéquat » du dispositif au cours du mois de juin, et le Privacy Shield deviendra un outil juridiquem­ent opposable pour le transfert de données aux Etats- Unis. Cependant, certaines autorités de protection des données personnell­es – notamment en Allemagne – ont d’ores et déjà signalé leur intention d’attaquer le Privacy Shield en justice. Les entreprise­s resteront par conséquent dans l’incertitud­e sur la robustesse du nouveau bouclier. @

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