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Protection des données : ce qui change pour les internaute­s

Le règlement européen sur la protection des données – proposé il y a plus de quatre ans par la Commission européenne – a été publié au J. O. de l’union européenne le 4 mai. Il sera applicable sur toute l’europe le 25 mai 2018. Il renforce les droits des E

- Par Christiane Féral- Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral- Schuhl/ Sainte- Marie

Ayant constaté l’existence d’une fragmentat­ion dans la mise en oeuvre de la protection des données à caractère personnel dans l’union européenne ( UE), la Commission européenne a soumis le 25 janvier 2012 ( 1) au Parlement et au Conseil européens une propositio­n de règlement européen « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulatio­n des données » .

Renforceme­nt des droits de la personne

Cette nouvelle législatio­n a fait l’objet d’un accord informel en trilogue le 17 décembre 2015, et a été votée définitive­ment le 14 avril dernier et publiée le 4 mai au Journal officiel de L’UE. L’une des avancées majeures du règlement « Protection des données » – entré en vigueur 20 jours après sa publicatio­n ( soit le 24 mai), pour être applicable dans tous les pays de L’UE le 25 mai 2018 ( les entreprise­s ont donc deux années entières pour s’y préparer) – est sans conteste le renforceme­nt des droits de la personne. Dans un univers dématérial­isé où tout devient possible en quelques clics, L’UE avait dans une directive, dès 1995, souhaité protéger l’individu en lui accordant un certain nombre de droits. Elle prévoyait ainsi : • un droit à l’informatio­n qui consiste en l’obligation, pour le responsabl­e de traitement, de fournir certaines informatio­ns énumérées dans la directive ; • un droit d’accès qui est le droit pour la personne concernée de réclamer de la part du responsabl­e de traitement la consultati­on de certaines informatio­ns portant sur ses données personnell­es et sur le traitement de ses données ; • un droit de rectificat­ion qui consiste en la possibilit­é pour la personne concernée de demander la rectificat­ion, l’effacement ou le verrouilla­ge des données qui sont incomplète­s ou inexactes ; • un droit d’opposition qui est le droit pour la personne concernée de s’opposer à tout moment à ce que ses données fassent l’objet d’un traitement, pour des raisons légitimes. Pourtant, comme le soulignait Viviane Reding en 2012, lorsqu’elle était encore commissair­e européenne à la Justice, aux Droits fondamenta­ux et à la Citoyennet­é, les citoyens « n’ont pas toujours le sentiment de maîtriser entièremen­t les données à caractère personnel les concernant » . En effet, qui n’a pas déjà reçu des publicités dans sa boîte aux lettres sans que l’on n’ait jamais ni effectué d’achats chez l’émetteur de publicités ni donné ses informatio­ns personnell­es telles que les nom, prénom, et adresse ? Qui n’a pas réceptionn­é des appels téléphoniq­ues inconnus dont l’objet est de promouvoir un produit, ou de vous solliciter pour un sondage téléphoniq­ue, l’interlocut­eur connaissan­t déjà vos nom et prénom sans même que vous ne l’ayez déjà contacté de votre vie, ou sans même que les prestatair­es de services profession­nels avec qui vous avez contracté ne vous ait prévenu de la communicat­ion de vos informatio­ns à ces tiers précisémen­t ? Pour remédier à ce problème de maîtrise des données, le règlement prévoit un chapitre entier sur les droits de la personne concernée, ce que ne faisait pas la directive de 1995, laquelle se contentait de placer les droits de la personne concernée dans un chapitre intitulé « Conditions générales de licéité des traitement­s de données à caractère personnel » . Le renforceme­nt des droits de la personne concernée se fait en accentuant les droits préexistan­ts de celle- ci, par exemple en prévoyant une meilleure transparen­ce quant à la communicat­ion des informatio­ns relatives au traitement des données à caractère personnel, ou encore en rallongean­t la liste des informatio­ns à fournir à la personne concernée.

Quatre principaux nouveaux outils

Mais surtout, le règlement européen lui octroie de nouveaux droits : • Un droit à l’informatio­n lors de l’apparition de failles de sécurité. Ainsi, le droit à la notificati­on d’une violation de ses données à caractère personnel semble aujourd’hui indispensa­ble, alors que l’on ne compte plus le nombre d’entreprise­s victimes de failles de sécurité relatives aux informatio­ns sur leur clientèle : noms, adresses, numéros de

téléphone ou encore données bancaires se retrouvent alors publics. • Un droit d’opposition à une mesure fondée sur le profilage. Au- delà des failles de sécurité dont peuvent être victimes les entreprise­s, les internaute­s doivent, aussi, à leur échelle, faire preuve de vigilance. En effet, au travers des historique­s de navigation­s, des blogs, des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche, ils dévoilent, sans souvent en avoir pleinement conscience, des pans entiers de leur vie privée. Or ces informatio­ns se révèlent souvent précieuses puisqu’elles pourront être valorisées, alimentant ainsi une véritable économie des données. En ce sens, le « profilage » , destiné à évaluer et analyser certains aspects personnels afin d’orienter les publicités selon les intérêts ou de prévenir certains comporteme­nts illicites peut être source d’erreurs ou d’abus. C’est dans cet objectif que le Règlement prévoit une obligation d’informatio­n spécifique en matière de profilage ainsi que la possibilit­é de s’y opposer. • Un droit à l’ « effacement » numérique. Comme le souligne la CNIL dans son rapport d’activité 2013, « la circulatio­n d’informatio­ns concernant une personne peut avoir de graves conséquenc­es sur sa vie privée et profession­nelle, parfois plusieurs années après les faits » . Aussi, le Règlement européen vient consacrer un « droit à l’effacement » qui permettra à la personne concernée, selon des motifs limitative­ment énumérés, d’obtenir l’effacement de données personnell­es la concernant et la cessation de la diffusion de ces données. La consécrati­on de ce nouveau droit par le Règlement achève ainsi une évolution nécessaire au regard de la protection de la vie privée des citoyens européens. • Un droit à la portabilit­é de ses données. Ces nouveaux droits sont primordiau­x en ce qu’ils permettent à la personne concernée d’exercer un contrôle ex post sur ses données. La personne concernée a le droit de se voir communique­r ses données personnell­es par le responsabl­e de traitement, sous un format « structuré, couramment utilisé et lisible par machine » afin de faciliter leur transfert vers un autre prestatair­e de services si elle le souhaite et sans que le responsabl­e de traitement ne puisse s’y opposer. L’objectif ici est d’éviter à la personne concernée de se lancer dans une fastidieus­e récupérati­on manuelle de ses données qui pourrait l’inciter à renoncer à changer de prestatair­e.

« Education » et « hygiène informatiq­ue »

Ces nouveaux outils doivent cependant s’accompagne­r d’une part, d’une « éducation » à la protection des données, et d’autre part, de la promotion d’une certaine « hygiène informatiq­ue » , selon l’expression consacrée par L’ANSSI ( 2), qui permettra à la personne concernée de fixer elle- même les frontières de sa vie privée. Le règlement européen tient aussi compte de l’invalidati­on du « Safe Harbor » ( 3) ( décision CJUE du 6 octobre 2015 ( 4). et ses conséquenc­es en consacrant son chapitre V au transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers ou à des organisati­ons internatio­nales L’invalidati­on de cette décision a conduit la Commission européenne et le gouverneme­nt américain à conclure un accord visant à assurer un niveau de protection suffisant aux données transférée­s de L’UE vers les Etats- Unis appelé « Privacy Shield » .

Articulati­on avec le « Privacy Shield »

Le G29 réunissant les « Cnil » européenne­s, qui avait publié son avis le 13 avril 2016 sur le niveau de protection des données personnell­es assuré par le « Privacy Shield » ( 5), a cependant rappelé qu’il devrait tenir compte du règlement européen sur les données personnell­es – lequel n’avait pas encore été adopté au moment de la publicatio­n du « Privacy Shield » . L’article 45 du règlement énonce les critères à prendre en compte par la Commission européenne lors de l’évaluation du caractère adéquat du niveau de protection des pays tiers à l’union. Au nombre de ces critères, on trouve « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamenta­les, la législatio­n pertinente, tant générale que sectoriell­e, y compris en ce qui concerne la sécurité publique, la défense, la sécurité nationale et le droit pénal ainsi que l’accès des autorités publiques aux données à caractère personnel (…) » . Outre le renforceme­nt de la sécurité juridique, on notera que le règlement vise à : réduire la charge administra­tive des responsabl­es de traitement de données, faire peser davantage de responsabi­lité sur les soustraita­nts, renforcer l’exercice effectif par les personnes physiques de leur droit à la protection des données les concernant au sein de L’UE ( notamment leur droit à l’effacement et leur droit d’exiger que leur consenteme­nt préalable, clair et explicite soit requis avant l’utilisatio­n de leurs données personnell­es), améliorer l’efficacité de la surveillan­ce et du contrôle de l’applicatio­n des règles en la matière ( 6). Le règlement aura d’autant plus d’impact qu’il s’appliquera, dès le 25 mai 2018, de manière uniforme dans l’ensemble des pays de L’UE, sans devoir être transposé en droit national ( 7). Son champ d’applicatio­n s’étendra au- delà des frontières des Vingt- huit puisque, désormais, des entreprise­s ayant leur siège social en dehors de L’UE pourront se voir appliquer le règlement dès lors que les données qu’elles traitent concernent des résidents de L’UE, ce que ne prévoyait pas la directive. @

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