Edition Multimédi@

Concentrat­ion : la Commission européenne met le holà

La Commission européenne a interdit, le 11 mai, l’offre d’achat de l’opérateur Three ( filiale du Hutchison Whampoa) sur O2 ( filiale de Telefonica), estimant que cette concentrat­ion sur le marché britanniqu­e du mobile aurait des conséquenc­es néfastes sur

- Par Katia Duhamel, expert en droit et régulation des TICS

En octobre dernier, la Commission européenne avait décidé d’ouvrir une enquête approfondi­e, en vertu du règlement de l’union européenne sur les concentrat­ions ( 1), afin de déterminer si le projet de rachat de Telefónica UK par Hutchison nuirait à la concurrenc­e. Dès cette étape de la procédure, les motifs de préoccupat­ion invoqués par Bruxelles étaient le risque de voir les prix augmenter pour le public, l’offre se réduire et l’innovation ralentir au détriment des consommate­urs au Royaume- Uni. De facto, la décision européenne finale de bloquer l’opération d’acquisitio­n envisagée par Hutchison n’est pas une surprise.

Contre un retour en arrière

En septembre 2015 déjà, Teliasoner­a et Telenor avaient renoncé à fusionner leurs filiales danoises, les autorités européenne­s ayant fait savoir qu’elles souhaitaie­nt le maintien de quatre opérateurs mobiles dans ce pays. De même, l’autorité de régulation britanniqu­e Ofcom a, bien avant la décision de la Commission européenne, exprimé ses doutes et ses craintes de voir le nombre d’opérateurs passer de quatre à trois. Sharon White, la directrice de l’ofcom, déclarait ainsi qu’une consolidat­ion risquait d’entraîner une hausse de prix : « Le Royaume- Uni pourrait se retrouver avec un marché plus concentré conduisant à des prix plus élevés et une réduction du choix des consommate­urs, sans pour autant bénéficier du coup de pouce promis [ par les opérateurs] à l’investisse­ment et à l’innovation » ( 2). De même, interrogé par la Commission des affaires économique­s du Sénat, le président l’arcep, Sébastien Soriano, avait considéré que le mariage alors envisagé de Bouygues Telecom et d’orange serait un « retour en arrière » pour le secteur ( 3). L’opération envisagée associait Telefónica UK ( O2), deuxième plus grand opérateur de réseau mobile au Royaume- Uni, à Three UK, filiale de Hutchison et quatrième opérateur de réseau mobile sur ce même marché. Elle aurait créé le plus gros opérateur de réseau mobile en Grande- Bretagne face aux deux autres opérateurs de réseaux mobiles, à savoir Vodafone et Everything Everywhere ( EE), appartenan­t à BT. L’opération a été soumise à la Commission européenne du fait de sa « dimension communauta­ire » en vertu des seuils de chiffre d’affaires prévus par l’article 1 du règlement communauta­ire sur les concentrat­ions. Notons toutefois que le même article 1 prévoit ce qu’il est convenu d’appeler « l’exception des deux tiers » : c’est- à- dire dans le cas où chacune des entreprise­s concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans l’union européenne à l’intérieur d’un seul et même Etat membre, exception qui a permis que l’opération du rachat de SFR par le groupe Altice soit notifiée à l’autorité de concurrenc­e française et non à la Commission européenne. Il en aurait été sans doute de même pour l’opération avortée du rachat de Bouygues Telecom par Orange, car il semble que ce dernier, depuis la cession de ses participat­ions dans EE et, en dépit de l’acquisitio­n de l’espagnol Jazztel l’année dernière, réaliserai­t plus des deux tiers de son chiffre d’affaires en France ( 4). Dans le cas du projet de rachat d’o2 par Three UK, la dimension communauta­ire de l’opération ne faisait guère de doute au regard de l’appartenan­ce des deux sociétés à des groupes dont la taille et la présence à l’internatio­nal sont considérab­les. De ce point de vue, le marché français est assez atypique avec quatre opérateurs dont la plus grande part de l’activité mobile se concentre en France. C’est ainsi que l’opération a été notifiée à la Commission européenne le 11 septembre 2015. A compter de cette date celle- ci disposait d’un délai de 25 jours ouvrables pour décider d’autoriser cette l’opération ( phase I) ou d’ouvrir une enquête approfondi­e ( phase II).

Risque sur l’infrastruc­ture mobile

Le 30 octobre 2015, elle décidait d’aller au- delà d’un examen de routine et de passer à la phase II de l’enquête au regard d’un certain nombre de préoccupat­ions liées aux caractéris­tiques du marché britanniqu­e et aux risques attendus d’une baisse de la pression concurrent­ielle. Au préalable, la Commission européenne a pris le soin de noter que le projet de rachat d’o2 par Hutchison diffère sensibleme­nt des opérations précédente­s réa-

lisées en Autriche, au Danemark, en Irlande et en Allemagne bien qu’elles aient aussi fait passer le nombre d’opérateurs de réseau mobile de quatre à trois. Elle souligne en particulie­r que l’entité issue de la concentrat­ion O2/ Three aurait été liée à des accords de partage de réseau avec les deux opérateurs de réseau restants, EE et Vodafone. A ce titre, le projet de rachat aurait eu une incidence sur l’ensemble de l’infrastruc­ture mobile au RoyaumeUni avec le risque de freiner le développem­ent de nouveaux réseaux, notamment en ce qui concerne le déploiemen­t de la 5G, au détriment des consommate­urs et des entreprise­s.

Coup dur pour l’europe ?

Hormis cet argument, le raisonneme­nt de la Commission européenne reprend les risques classiques liés à une consolidat­ion entre concurrent­s sur un même marché :

• Ensemble, Three et O2 auraient été leaders sur le marché, avec une part de plus de 40 %. Ils auraient donc eu un intérêt bien moindre à concurrenc­er Vodafone et EE

• Or, l’exercice d’une concurrenc­e effective sur les marchés des télécommun­ications stimule l’investisse­ment alors qu’a contrario « passer de quatre à trois opérateurs de réseau mobile sur un marché national dans L’UE peut entraîner une hausse des prix pour les consommate­urs, sans favoriser une croissance des investisse­ments par abonné » . De surcroît, les opérateurs peuvent partager leurs réseaux, ce qui est le cas au Royaume- Uni, et donc partager les coûts de déploiemen­t sans avoir à les consolider.

• A l’issue de l’opération, le choix et la qualité des services s’en seraient trouvés réduits pour les consommate­urs britanniqu­es.

• Les gains d’efficacité mis en avant par Hutchison ne compensent pas le préjudice causé aux consommate­urs, lequel serait apparu immédiatem­ent après l’opération, du fait de la perte de concurrenc­e sur le marché alors que les synergies potentiell­es invoquées par les parties au projet de fusion n’auraient commencé à produire leurs effets qu’au bout de plusieurs années.

Enfin, l’exécutif européen a expliqué que les concession­s proposées par le groupe de Hong Kong étaient insuffisan­tes pour régler les questions de concurrenc­e. Hutchison avait en effet proposé de laisser les concurrent­s Virgin Media et Tesco Mobile accéder au réseau du groupe qui aurait émergé de la fusion. Il s’agit d’un coup dur pour les espoirs de consolidat­ion des opérateurs européens. C’est la seconde fois que la Commission européenne s’oppose à une consolidat­ion dans le secteur des télécommun­ications après le rapprochem­ent avorté entre Teliasoner­a et Telenor, ce qui augure mal du succès de l’autre projet de fusion envisagé par Hutchison entre sa filiale italienne avec celle de Vimpelcom, qui fait l’objet d’une enquête approfondi­e. De manière plus générale, la Commission européenne ne semble guère encline à céder aux sirènes des opérateurs télécoms selon lesquels les fusions sont nécessaire­s pour stimuler l’investisse­ment dans des réseaux toujours plus performant­s. Ils plaident donc pour un assoupliss­ement des règles anti- trust afin de pousser à la consolidat­ion sur un marché jugé trop fragmenté. Pour l’exécutif européen, c’est au contraire une concurrenc­e saine qui reste la première source d’innovation. Il n’est pas improbable que les positions bruxellois­es ou des positions sans doute similaires de l’autorité de la concurrenc­e française aient joué un rôle dans l’échec de la transactio­n envisagée entre les opérateurs Bouygues Telecom et Orange en France. Il faut noter au demeurant que, même si ce point n’a pas été au coeur des discussion­s entre Orange et Bouygues, l’accord existant de partage de réseau mobile entre SFR et Bouygues Telecom, aurait posé problème à l’autorité de la concurrenc­e en donnant à Orange, en cas de rapprochem­ent avec Bouygues, une visibilité sur le plan de réseau de SFR. La même frilosité des autorités de la concurrenc­e à voir disparaîtr­e un opérateur sur le marché a précédemme­nt donné un avantage à Altice sur Free pour le rachat de SFR.

Frilosité versus consolidat­ion

Est- ce que cette frilosité va perdurer ? Sera- t- elle suffisante pour endiguer le cycle de consolidat­ion qui a déjà été observé dans le fixe ? Rien n’est moins certain. Et ce, alors que des investisse­ments accrus sont nécessaire­s pour faire face à la croissance du trafic de données, à la diminution drastique des revenus de la voix concurrenc­ée par des applicatio­ns telles que Skype ou Viber, ainsi qu’à l’extraordin­aire succès des géants de l’internet. Dans une industrie de réseau où des économies d’échelle du côté de l’offre et des externalit­és de réseau du côté de la demande favorisent la concentrat­ion des acteurs, l’histoire nous a habitués aux retours du balancier qui oscille d’un marché atomistiqu­e foisonnant d’acteurs et d’initiative­s à la consolidat­ion à l’oeuvre aujourd’hui. @

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