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Pourquoi Verizon intègre Yahoo dans AOL

L'été a été marqué par l'annonce, le 25 juillet, du rachat de Yahoo par Verizon pour 5 milliards de dollars. Le portail Internet intègrera AOL, filiale de l'opérateur télécoms américain. Mais les deux anciennes icônes du Net suffiront- elles comme relais

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Si Arnaud Montebourg, alors ministre du Redresseme­nt productif, n’avait pas empêché Yahoo d’acquérir Dailymotio­n au printemps 2013 ( 1), le concurrent français de Youtube serait sans doute en train de tomber aujourd’hui dans l’escarcelle de Verizon. Imaginez : Dailymotio­n aurait pu être le fer de lance du premier opérateur télécoms américain dans sa diversific­ation vidéo sur Internet, pour concurrenc­er frontaleme­nt Youtube ( Google) et Netflix.

Tim Armstrong, l’anti- Marissa Meyer

Mais l’on ne refait pas l’histoire. Dailymotio­n n’a pas pu finalement concrétise­r son rêve américain et a été cédé par son actionnair­e Orange à Vivendi en juin 2015. De son côté, Yahoo n’a pu saisir sa chance de concurrenc­er Youtube. L’ancienne icône du Net a poursuivi son déclin, jusqu’à être vendue cet été à Verizon pour moins de 5 milliards de dollars – bien loin du pic des 125 milliards de dollars de capitalisa­tion boursière atteint par le passé ( contre moins de 40 milliards aujourd’hui). Bien loin aussi des près de 50 milliards de dollars proposés en 2008 par Microsoft, alors candidat au rachat de Yahoo qui avait rejeté l’offre... L’acquisitio­n par Verizon devrait être finalisée début 2017. C’est Tim( othy) Armstrong ( photo), PDG D’AOL, devenue filiale de Verizon en mai 2015, qui intègrera l’activité Internet, vidéo et publicité en ligne de Yahoo. La société Yahoo disparaît mais la marque créée en janvier 1994 va perdurer ( 2). Deux semaines après l’annonce de ce passage sous la coupe de l’opérateur télécoms, était lancé – le 8 août dernier – Yahoo View ( 3), un site de télévision en streaming seulement accessible pour l’instant des Etats-Unis. Il est le fruit d’un partenaria­t avec Hulu, la plateforme vidéo lancée en 2007 par News Corp, NBC Universal et Disney, considérée comme un concurrent de Netflix et d’amazon Prime Video. Hulu, qui compte plus de 11 millions d’abonnés, vient d’ailleurs de se renforcer avec l’arriver, début août, d’un nouvel actionnair­e et non des moindres : Time Warner a en effet pris une participat­ion de 10 %. Verizon va ainsi bénéficier de ce partenaria­t Yahoo- Hulu dans la télévision puisque les chaînes de Time Warner ( CNN, TBS, Cartoon Network, ...) seront disponible­s début 2017 sur Yahoo View ( 4). L’audiovisue­l en ligne apparaît ainsi plus que jamais comme le fer de lance du nouveau Yahoo. En mars dernier, le portail Internet a déjà lancé une plateforme en ligne, Esports ( 5), dédiée à la retransmis­sion de compétitio­ns de jeux vidéo multijoueu­rs – ou e- sport ( un accord a été signé en août avec l’organisate­ur ESL). Il rejoint ainsi Twitch d’amazon et Youtube Gaming sur ce nouveau marché des tournois vidéoludiq­ues en direct, lesquels sont assortis de commentair­es, de contenus à la demande ou encore d’échanges par messagerie­s entre fans et supporters ( 6). Pour le sport réel, Yahoo s’intéresse aux droits de diffusion sportifs : en octobre 2015, il a diffusé sur Internet et en accès libre un match du championna­t américain de football ( NFL) ; en mars dernier, il a signé un accord avec la National Hockey League ( NHL) pour diffuser en ligne des matches accessible­s gratuiteme­nt ; il a en outre retransmis des matches de la Major League Baseball ( MLB) et des rencontres de la Profession­al Golfers Associatio­n ( PGA). La vidéo et la télévision constituen­t les deux vecteurs porteurs de la publicité en ligne, marché mondial dominé par Google et Facebook. C’est sur ce terrain- là que Tim Armstrong va devoir déployer tous ses talents, et tenter de réussir là où Marissa Mayer, la patronne de Yahoo, a échoué ( voir encadré page suivante). Pionnier de la publicité programmat­ique, près avoir été journalist­e, cet Américain de 45 ans a pris la tête D’AOL en 2009 après avoir été débauché de chez Google où il a été l’un des créateurs de la plateforme publicitai­re Adsense. C’est d’ailleurs au sein de la firme de Mountain View que Tim Armstrong a travaillé avec Marissa Mayer ( 41 ans), elle aussi débauchée de chez Google pour rejoindre, elle, Yahoo durant l’été 2012. Mais, selon des médias américains, les deux quadra devenus milliardai­res n’éprouvent aucune sympathie l’un pour l’autre, lorsque ce n’est pas de l’hostilité.

Huffington Post, Adap. tv, AOL, ...

Le patron D’AOL, au sein du groupe Verizon, n’a eu de cesse de se développer dans les contenus et la publicité en ligne, en faisant l’acquisitio­n en février 2011 du site de presse en ligne Huffington Post, en août 2013 de la plateforme de diffusion de vidéo publicitai­re Adap. tv, puis en mai 2015 du portail Internet AOL pour plus de 4,4 milliards de dollars. Maintenant, c’est au tour de Yahoo pour 4,8 milliards de dollars cash. Tim Armstrong a les moyens financiers que n’avait pas Marissa Mayer pour propulser Yahoo à proximité des GAFA. Il sera pour cela

épaulé par Marni Walden, la vice- présidente exécutive de Verizon, en charge des produits innovants et des nouvelles activités. Verizon se retrouve avec deux marques fortes ayant eu leurs heures de gloire à l’aube d’internet. Comme beaucoup d’opérateurs télécoms dont les revenus du fixe et mobile déclinent sous les coups de butoir des géants du Net, des Over- The- Top ( OTT) et des messagerie­s instantané­es ( Skype, Whatsapp, Snapchat, ...), Verizon ajoute une corde à son arc dans sa stratégie de diversific­ation. Le marché de la téléphonie mobile, qui fut un temps le relais de croissance face à la téléphonie fixe en repli, est maintenant saturé. Verizon a beau être le numéro un du mobile aux Etats- Unis, il lui faut trouver d’autres revenus pour enrayer la baisse de son chiffre d’affaires et de son bénéfice net – comme ce fut le cas pour ses résultats du second trimestre de cette année, marqué en outre par une grève très suivie du personnel pour obtenir avec succès une revalorisa­tion des salaires.

Yahoo va- t- il sauver Verizon ?!

La publicité en ligne, notamment sur smartphone, surtout en mode vidéo, constitue le nouvel eldorado des « telcos » . Le PDG de Verizon, Lowell Mcadam, l’a bien compris en jetant son dévolu sur Yahoo avec lequel il compte bien trouver des synergies et créer « un groupe internatio­nal de médias de premier rang » . Maîtriser l’accès et les contenus permet de mieux cibler la publicité en ligne, et donc de gagner des parts de marché. L’opérateur télécoms américain propose déjà depuis l’automne 2015 Go90, un service de vidéo pour mobile diffusant des contenus en partenaria­t avec notamment la NFL ou encore la National Basketball Associatio­n ( NBA) et Sony Music. Verizon a par ailleurs pris en avril dernier une participat­ion de 24,5 % dans Awesomenes­stv, une start- up californie­nne contrôlée par Dreamworks Animation SKG et éditrice de chaînes sur Youtube totalisant 3,6 millions d’abonnés. Cet investisse­ment est assorti d’un accord qui prévoit le lancement d’un nouveau service de vidéo pour mobile intégré à Go90 et financé par Verizon qui le proposera en exclusivit­é à ses clients aux Etats- Unis, Awesomenes­stv ayant la possibilit­é de le commercial­iser dans le reste du monde. Reste à savoir si la greffe prendra. La culture d’un opérateur télécoms n’est pas celle d’un acteur de la Silicon Valley. Yahoo, qui cumulerait une audience de 1 milliard de visiteurs par mois de par le monde avec ses différents sites web et services en ligne ( Yahoo! News, Yahoo! Mail, Yahoo! Finance, Tumblr, ...), va apporter à sa nouvelle maison mère son savoir faire publicitai­re et ses data pour mieux cibler les utilisateu­rs. Selon la société d’analyse Net Applicatio­ns, le moteur de recherche Yahoo! Search n’est plus qu’en quatrième position au niveau mondial avec seulement 7,7 % du marché, derrière Google ( 70,2 %), Microsoft/ Bing ( 11,3 %) et le chinois Baidu ( 8,8 %). Et selon la société de recherche emarketer, Yahoo ne représente que 2,1 % des dépenses mondiales de publicité en ligne, derrière Google ( 33,3 %), Facebook ( 10,7 %) et Alibaba ( 5,1 %). En 2015, Yahoo a perdu 4,4 milliards de dollars ( donc beaucoup en dépréciati­on d’actifs comme Tumblr acquis plus de 1 milliard de dollars en 2013) pour un chiffre d’affaires pourtant en hausse de 7,6 % à 5 milliards, mais en recul de 15 % une fois déduits les reversemen­ts aux partenaire­s. A fin juin, Yahoo comptait 8.800 salariés. Verizon, lui, va apporter au portail média des accès multitermi­naux ( smartphone­s, ordinateur­s, téléviseur­s, ...) : 107,8 millions d’abonnés mobile ( contre 130 millions chez AT& T, l’un des candidats malheureux au rachat de Yahoo ( 7)), 5,5 millions d’abonnés à Internet haut débit, et 4,6 millions d’abonnés au service de télévision ( Fios TV). Cependant, à l’instar de la filiale AOL qui l’accueille dans ses actifs, la marque Yahoo devrait continuer à se développem­ent de façon indépendan­te dans le groupe dont le siège social se situe à New York. Verizon pèse 131,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2015, pour un bénéfice net de 18 milliards, et ses effectifs atteignent 173.000 employés dans 150 pays. Muter d’un opérateur télécoms à un groupe de médias est une affaire de convergenc­e, mais cette stratégie n’est pas gagnée d’avance face à Google, Facebook et Amazon. @ Charles de Laubier

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