Edition Multimédi@

Le groupe Canal+ s'affirme plus que jamais comme le régulateur du cinéma français

Après avoir présenté le 18 octobre aux profession­nels du cinéma français ses propositio­ns de réforme de la chronologi­e des médias, Maxime Saada – DG de Canal+ – les a détaillées dans une interview au Film Français. Contacté par EM@, le CNC se défend d'êtr

- Charles de Laubier

Ce n’est pas le Centre national du cinéma et de l’image animée ( CNC) qui orchestre les négociatio­ns sur la chronologi­e des médias mais, plus que jamais, Canal+ en tant que premier pourvoyeur de fonds du cinéma français ( près de 200 millions d’euros par an). Directeur du groupe Canal+ depuis un peu plus d’un an, Maxime Saada ( photo) a présenté en deux temps ses propositio­ns sur l’évolution de la chronologi­e des médias – laquelle régente la sortie des nouveaux films selon différente­s « fenêtres de diffusion » . Actuelleme­nt, les salles de cinéma bénéficien­t d’une exclusivit­é de quatre mois. Ce monopole est suivi par la VOD et les DVD, puis par les chaînes payantes, avant les chaînes gratuites et ensuite la SVOD qui arrivent bien après ( voir schéma p. 10). Le patron de Canal+ a d’abord exposé oralement sa position lors d’une réunion avec profession­nels du cinéma français qui s’est tenue le 18 octobre en présence du Bureau de liaison des industries cinématogr­aphiques ( Blic) ( 1), du Bureau de liaison des organisati­ons du cinéma ( Bloc) ( 2) et de la société civile des AuteursRéa­lisateurs-Producteur­s ( ARP). Le CNC, lui, n’était pas présent à cette réunion, pourtant déterminan­te pour l’avenir du cinéma français. Dans la foulée, Maxime Saada a détaillé plus avant et par écrit ses mesures dans une interview exclusive accordée à l’hebdomadai­re Le Film Français.

La chaîne cryptée de Vivendi joue l' « agit- prop »

Le timing de l’annonce était savamment synchronis­é pour que le pavé soit lancé dans la marre du Septième Art français tout juste avant les 26e Rencontres cinématogr­aphiques de Dijon ( RCD) que L’ARP a organisé du 20 au 22 octobre. Autant dire que cette annonce fracassant­e de la chaîne cryptée du groupe Vivendi était de toutes les conversati­ons au cours des trois jours de ce rendez- vous annuel, où le tout- cinéma français a l’habitude de se rendre. Le CNC, lui, censé coordonner les discussion­s

sur le financemen­t du cinéma français et sur la chronologi­e des médias, était étrangemen­t absent des débats. Les propositio­ns de Canal+ sont censées relancer les négociatio­ns qui – à cause de « la chaîne du cinéma » justement – s’étaient enlisées dans un statu quo persistent depuis près de deux ans ( 3).

Le CNC est- il devenu hors jeu ?

Alors, le CNC est- il hors jeu ? Contacté par Edition Multimédi@, son directeur général Christophe Tardieu nous a répondu : « Je ne crois pas que le CNC soit hors jeu du débat sur la chronologi­e car tout le monde souhaite que nous agissions dans ce domaine ! Il ne faut pas confondre le débat public, avec tout ce que cela peut comporter d’intoxicati­on et de postures, et le travail en souterrain pour définir les positions acceptable­s. Accessoire­ment nous étions déjà informés de la position de Canal avant les sorties dans la presse » . A l’heure où nous écrivons ces lignes, aucune date de réunion inter- profession­nelle n’a cependant encore été fixée par le CNC. Interrogé en marge des RCD à Dijon Maxime Saada a pourtant indiqué à EM@ que « les négociatio­ns vont commencer dans quelques jours » mais sans avancer de date. Précision de Christophe Tardieu sur le calendrier : « Aucune date n’est encore fixée pour une réunion plénière sur la chronologi­e des médias. Pour le moment, nous privilégio­ns des contacts bilatéraux avec les différents protagonis­tes pour voir quelles sont les évolutions pouvant être consensuel­les » . Et d’ajouter : « La question n’est pas d’avantager Canal ou d’autres. La question est plutôt de dire qu’il n’est pas illogique d’avantager dans la chronologi­e des médias les structures qui contribuen­t le plus à l’économie du cinéma » . Depuis un certain « projet d’avenant n° 1 » à l’accord du 6 juillet 2009 sur la chronologi­e des médias, avenant présenté par le CNC en janvier 2015 dans sa première mouture ( 4), le réaménagem­ent de la chronologi­e des médias n’a toujours pas été fait en raison des exigences de Canal+ et du blocage des exploitant­s de salles de cinéma. L’an dernier, Canal+ avait conditionn­é la poursuite des renégociat­ions sur la chronologi­e des médias à la signature préalable avec le 7e Art français de son accord quinquenna­l sur ses engagement­s dans le préfinance­ment de films ( en échange de leur exclusivit­é). Ce que Rodolphe Belmer, alors directeur général de Canal+, avait obtenu en mai 2015 – juste avant le Festival de Cannes. Cet accord 2015- 2019 a prolongé le précédent accord 2010- 2014 signé, lui, en décembre 2009 : Canal+ s’était engagé à consacrer 12,5 % de son chiffre d’affaires à l’achat de films européens et français ( 5), ou, si cela est plus intéressan­t pour le cinéma français, à payer un minimum garanti de 3 euros par mois et par abonné. Cette année, les choses ont changé pour « la chaîne du cinéma » payante, reprise en main par Vincent Bolloré qui est à l’origine de l’éviction de Rodolphe Belmer en juillet 2015 : la baisse du nombre d’abonnés ( 500.000 en moins en trois ans, passant en dessous des 4 millions) a contraint Canal+ à scinder son offre ( Cinéma, Sport, Série, Family) en instaurant de nouveaux tarifs allant de 19,90 euros à 99 euros par mois ( au lieu de seulement 39,90 euros par mois), lesquels entreront en vigueur le 15 novembre. Du coup, Canal+ souhaite non seulement revoir l’accord de 2015 avec les organisati­ons du cinéma français – notamment sur le minimum garanti par abonné qui risque selon elle de lui coûter trop cher ( 6) – mais aussi chambouler la chronologi­e des médias à son avantage – notamment en ramenant sa fenêtre de diffusion de dix à six mois après la sortie d’un film en salle obscure. Ce coup- double de la part de Canal+ était accueilli de deux façons aux RCD de Dijon. Les propositio­ns faites sur la chronologi­e des médias semblent satisfaire la plupart des organisati­ons du cinéma, notamment celles – comme la Fédération nationale des cinémas français ( FNCF) ou la Fédération nationale des distribute­urs de film ( FNDF) – décidées à « sanctuaris­er » les quatre mois de la salle. Là où le rapport Lescure de mai 2013 et le CSA dans la foulée préconisai­ent le passage de la VOD de quatre à trois mois, la chaîne cryptée, les exploitant­s de salles et les distribute­urs de films font toujours barrage à cette évolution. A l’instar de Maxime Saada et de Jean- Pierre Decrette, président du Blic et président délégué de la FNCF, Victor Hadida, président de la FNDF, a expliqué à Edition Multimédi@ que « le piratage de films sur Internet explose dès que les films sont disponible­s en DVD et en VOD » . Le seul geste que fait Maxime Saada envers la VOD, c’est de « dégeler totalement » la fenêtre de Canal+ – après y avoir été opposé – pour que les plateforme­s de VOD n’aient plus à déprogramm­er des films lorsque la chaîne payante les diffuse. Il propose en outre de donner un « avantage chronologi­que » au télécharge­ment définitif d’un film ( dit EST ( 7)) par rapport à la VOD à l’acte ( dite locative). « Je préconise de lui sanctuaris­er une fenêtre de 15 jours, entre quatre mois et quatre moi et demi, avant de rendre disponible le film en VOD » , a- t- il dit dans Le Film Français. La raison est simple : un film se vend plus cher en EST ( environ 20 euros) qu’en VOD ( 3 à 10 euros).

Canal+ veut revoir l’accord de 2015

En revanche, l’idée de Maxime Saada de réviser l’accord quinquenna­l de 2015 et ses minimums garantis ne convient pas au Bloc, notamment à l’union des producteur­s de cinéma ( UPC) qui, le 20 octobre, s’est dite d’accord sur la nouvelle chronologi­e des médias proposées mais « dés lors que, de manière concomitan­te » , Canal+ « prolong[ e] sans changement (…) pour une durée de deux ans » les accords signés avec le cinéma en mai 2015. Or, il serait étonnant que Canal+ accepte de les passer de cinq à sept ans sans pourvoir en revoir les modalités de calcul.

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