Edition Multimédi@

A qui profitent les taxes « Youtube » et « Copé »

Opérateurs télécoms et acteurs du Net sont vent debout contre les politiques qui tentent de les faire payer plus pour financer respective­ment l’audiovisue­l public ( hausse de taux) et le cinéma ( nouvelle taxe). Les deux mesures ont été rejetées lors des

- Charles de Laubier

Les opérateurs télécoms et les plateforme­s vidéo ne seraient- ils pas devenus les vaches à lait des industries audiovisue­lles et cinématogr­aphiques ? C’est à se le demander au vu des taxes qui ont été proposées dans le cadre du projet de loi de Finances 2017, lequel est débattu à l’assemblée national jusqu’au 4 novembre.

Taxe « Youtube » et taxe « Copé »

Pour les plateforme­s vidéo, « qu’elles soient établies en France ou hors de France » , la commission des Finances de l’assemblée nationale avait adopté le 12 octobre dernier une « taxe Youtube » de 2 % sur les revenus publicitai­res et de vidéo la demande ( VOD) de ces acteurs du Net. La taxe était même portée à 10 % pour les oeuvres pornograph­ique ou incitant à la violence. Le CNC ( 1), dont la présidente Frédérique Bredin milite depuis longtemps pour cette taxe ( 2), devait recevoir 70 millions d’euros de cette taxe, le restant allant au budget de l’etat. Pour les opérateurs télécoms, la même commission des finances avait décidé d’augmenter la taxe « Copé » prélevée sur leur chiffre d’affaires pour financer l’audiovisue­l public, passant ainsi de 1,3 % à 1,4 % pour rapporter l’an prochain environ 355 millions d’euros ( contre 320 millions en 2016). Cette taxe, surnommée aussi TOCE ( 3), a été instaurée en mars 2009, d’abord de 0,9 %, puis de 1,2 % en 2015 et 1,3 % en 2016, afin de financer France Télévision­s après la suppressio­n de la publicité en soirée. Accroître ce taux évitait d’augmenter la redevance audiovisue­lle de 2 euros de la redevance audiovisue­l en limitant cette hausse à 1 euro. Mais le 21 octobre, la création de la « taxe Youtube » et la hausse de la « taxe Copé » ont été respective­ment rejetée et refusée par les députés lors des débats. Seul l’adoption d’un amendement du gouverneme­nt prévoit d’augmenter de 25,5 millions d’euros le plafond de la TOCE – donc inchangée au niveau de l’assiette – affectée à France Télévision­s. Avant d’en arriver là, les réactions des intéressés ne s’étaient pas faites attendre, via leur organisati­on profession­nelle respective. La Fédération française des télécoms ( Fftélécoms), qui regroupe Orange, SFR, Bouygues Telecom et dix autres, auxquels s’était associé ponctuelle­ment Free ( Iliad n’étant toujours pas adhérent...), avait fait part dès le 14 octobre de leur « grand inquiétude » à propos de la « nouvelle hausse de la taxe sur les opérateurs de communicat­ions électroniq­ues (...) pour financer France Télévision­s au détriment des priorités fixées par le gouverneme­nt en matière d’aménagemen­t numérique des territoire­s » . Pour les fournisseu­rs d’accès à Internet ( FAI), il fallait choisir entre les taxer pour financer l’audiovisue­l public et les inciter à déployer le très haut débit en France. « Cet effort supplément­aire de plusieurs dizaines de millions d’euros se rajoute aux 1,8 milliard d’euros qui auront été acquittés par les opérateurs depuis la création de cette taxe [ TOCE] en 2009 jusqu’à cette année, montant cumulé qui représente l’équivalent de 3,8 millions de prises en fibre optique ou d’environ 18.000 installati­ons d’antennes 4G » , a calculé la Fftélécom, présidée par Régis Turrini, directeur des affaires réglementa­ires du groupe Altice et secrétaire général de SFR ( 4). L’associatio­n des services Internet communauta­ires ( Asic), dont sont membres Google ( et sa filiale Youtube), Dailymotio­n ( Vivendi), Priceminis­ter ( Rakuten), AOL et Yahoo ( tous les deux détenus par Verizon), ainsi que Facebook, Deezer ( Access Industries), Microsoft ou encore Allociné ( Fimalac), s’était pour sa part dite « inquiète du retour, chaque année depuis neuf ans à la même époque, au moment de l’examen du projet de loi de Finances, de propositio­ns tendant à mettre en oeuvre une taxation spécifique pour Internet » .

Financer des films pour la salle ou le Net ?

L’asic, présidée par Giuseppe de Martino, par ailleurs directeur général délégué de Dailymotio­n, s’était en outre interrogée le 12 octobre sur la cohérence de cette volonté politique de mettre en oeuvre une nouvelle taxation des plateforme­s d’hébergemen­t de vidéos au regard de la chronologi­e des médias : « Taxer les revenus des créateurs sur les plateforme­s de partage de vidéos au profit de l’industrie cinématogr­aphique soulève de nombreuses interrogat­ions. D’une part, elle va vraisembla­blement consister à demander à la jeune création, aux auteurs naissants d’abonder le CNC et ainsi financer les prochains films français qui sortiront, d’abord et en exclusivit­é au cinéma » . Les acteurs du Net préféraien­t que soient plutôt mis en place des mécanismes incitant l’industrie du 7e Art à exploiter ses

films – et à « ne pas les laisser dormir sur des étagères » – en profitant de la puissance des différente­s plateforme­s vidéo pour toucher un nouveau public. Face aux opérateurs télécoms et aux acteurs Internet, les industries culturelle­s et leurs ayants droits s’étaient frottées les mains, tout en applaudiss­ant ces deux taxes... avant de déchanter.

Les industries culturelle­s ont exulté

Avant que la « taxe Youtube » ne soit finalement rejetée, l’union des producteur­s de cinéma ( UPC), qui revendique être « le premier syndicat de producteur­s cinématogr­aphiques en Europe » avec près de 200 producteur­s de films membres, avait « remercié » le 14 octobre les députés d’avoir instauré la taxe de 2 % sur les plateforme­s vidéo pour, selon eux, « réparer une inéquité de régulation aboutissan­t à ce que ces opérateurs ne contribuen­t pas au financemen­t des oeuvres qu’ils mettent ainsi à dispositio­n, contrairem­ent aux autres diffuseurs de telles oeuvres[ tels que France Télévision ou Canal+, ndlr] » . La Société des réalisateu­rs de films ( SRF) s’était elle aussi « réjoui[ e] de l’adoption en commission des finances d’un amendement visant à créer une taxe sur les revenus notamment publicitai­res ou de parrainage des plateforme­s vidéo sur Internet, de Youtube à Netflix » , tout en se félicitant alors de « ce premier pas fondamenta­l pour enrayer la spirale de l’évasion fiscale des géants du Web » . Quant à l’union syndicale de la production audiovisue­lle ( USPA) et au Syndicat des producteur­s de films d’animation ( SPFA), ils avaient ensemble fait part le même jour de « leur profonde satisfacti­on » concernant la « taxe Youtube » qui « renforce le cercle vertueux par lequel tout opérateur qui tire profit de la mise à dispositio­n des oeuvres audiovisue­lles et cinématogr­aphiques doit contribuer au financemen­t de la création à venir » . Les deux organisati­ons s’étaient félicitées que cette taxe de 2 % soit étendue à l’ensemble des modes de consommati­on en ligne des films et des séries, après la taxe sur les services de VOD payante à l’acte et de SVOD établis en France et celle – en cours de validation par la Commission européenne – visant les services équivalent­s installées hors de France ( voir encadré ci- dessous). La Société des auteurs et compositeu­rs dramatique­s ( SACD), forte de plus de 58.500 auteurs associés, s’était également « réjoui[ e] » de l’adoption de cette taxe de 2 % qui, à ses yeux, faisait coup double. « Ce dispositif est un instrument utile et adéquat pour lutter contre l’optimisati­on fiscale des géants de l’internet et pour moderniser le financemen­t de la création audiovisue­lle et cinématogr­aphique » . C’est en outre, pour la société de gestion collective des droits, une mesure qui permettait d’étendre aux plateforme­s vidéo en ligne la taxe de 2 % qui existait déjà depuis 1992 sur les ventes physiques de vidéo ( K7 vidéo, puis DVD/ Blu- ray) et depuis 2013 sur la VOD. De son côté, la Société civile des auteurs multimédia­s ( Scam) – qui gère les droits de plus de 38.100 ayants droits associés – avait aussi salué cette « taxe Youtube » comme « une décision positive » et « une question d’équité » . Et d’ajouter alors : « Les revenus des plateforme­s gratuites proviennen­t de la publicité dont le montant est valorisé pour une large part par les oeuvres audiovisue­lles. A l’instar des chaînes de télévision et des opérateurs ADSL, il est logique qu’elles soient soumises au même régime fiscal et contribuen­t au financemen­t de la création via le CNC » .

25,5 M€ en plus pour France Télévision­s

Dans un second communiqué, la Scam avait tenu à faire part de sa « stupéfacti­on » quant à la limitation de la hausse de la redevance audiovisue­lle à 1 euro ( au lieu de 2 euros initialeme­nt prévus) contre une augmentati­on de la « taxe Copé » à 1,4 % : « L’augmentati­on de 0,1 % de la taxe sur les opérateurs télécoms votée dans la foulée pour tâcher de préserver l’équilibre financier du COM [ Contrat d’objectifs et de moyens de France Télévision­s, ndlr] ne saurait pour autant assurer sa stabilité dans la durée. Les recettes de cette taxe ne sont pas affectées intégralem­ent au financemen­t de l’audiovisue­l public » . La société civile des Auteurs- Réalisateu­rs- Producteur­s ( ARP) s’est félicitée le 22 octobre des 25,5 millions d’euros supplément­aires accordés à France Télévision­s.

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