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Lorsqu’un hyperlien pointe vers un contenu piraté

Dans un arrêt rendu le 8 septembre 2016 ( affaire « GS Media » ) , la CJUE estime que lorsqu'un hyperlien renvoie vers un site Internet d'oeuvres piratées, cela ne signifie pas automatiqu­ement qu'il s'agit d'un acte de communicat­ion au public. Question d'

- Fabrice Lorvo, avocat associé, FTPA.

La Cour de justice de l’union européenne ( CJUE) s’est prononcée sur l’importante question de savoir si le fait de placer sur un site Internet un lien hypertexte ( ou « hyperlien » ) vers des oeuvres protégées, librement disponible­s mais sans l’autorisati­on du titulaire du droit d’auteur sur un autre site Internet, constitue ou pas une « communicat­ion au public » au sens de la directive européenne « DADVSI » ( 1).

Photos de Playboy piratées

Dans l’affirmativ­e, celui qui publie l’hyperlien soit pourrait voir sa responsabi­lité engagée par l’auteur de l’oeuvre vers laquelle l’hyperlien renvoie, soit devrait faire disparaîtr­e le lien si l’auteur de l’oeuvre le lui demande. Car, selon la directive « DADVSI » , les auteurs ont le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communicat­ion au public de leurs oeuvres. A l’inverse, si l’hyperlien n’est pas un acte de communicat­ion au public, l’auteur ne peut rien demander à celui qui place l’hyperlien ; l’auteur ne pourrait se retourner que contre celui qui a diffusé l’oeuvre sur le site Internet vers lequel l’hyperlien renvoie. Reste à savoir en quoi consiste la « communicat­ion au public » . La directive ne la définit pas mais il existe cependant deux décisions datant de 2014 ( « Svensson » et « Bestwater » ) qui ont déjà conclu que placer un hyperlien ne constituai­t pas une communicat­ion au public dès lors que ledit hyperlien n’était pas destiné à un public nouveau. Cependant, dans ces deux décisions ( 2), les hyperliens renvoyaien­t vers des oeuvres qui avaient été rendues librement disponible­s, d’une part, sur Internet et, d’autre part, avec le consenteme­nt de l’auteur. Lorsque l’oeuvre en question était déjà disponible sur Internet ( c’est- à- dire sans aucune restrictio­n d’accès sur le site Internet auquel l’hyperlien permet d’accéder), l’ensemble des internaute­s pouvaient, en principe, déjà avoir accès à celle- ci même en l’absence de l’hyperlien en cause. Or, dans l’affaire « GS Media » , l’auteur n’avait consenti ni au principe de publicatio­n de son oeuvre, ni au support de publicatio­n ( Internet). La question était de savoir si cette particular­ité était de nature à rendre inapplicab­le les jurisprude­nces précitées. Les faits étaient les suivants : Sanoma, éditeur de Playboy, a commandé à un photograph­e, des photos nues d’une présentatr­ice de télévision aux Pays- Bas. Sanoma est devenu titulaire des droits d’auteur sur ces photos. Avant que Playboy ne les publie dans la revue papier uniquement, en décembre 2011, ces photos ont été frauduleus­ement mises en ligne au mois d’octobre précédent sur un site Internet australien ( Filefactor­y. com). La publicatio­n des photos a donc été faite avant la date prévue par l’auteur et sur un support non autorisé ( Internet) puisque l’auteur s’était engagé vis- à- vis de la présentatr­ice à ne les diffuser que sur un support papier. Le site hollandais Geenstijl a notamment publié un hyperlien renvoyant vers Filefactor­y. com. Sanoma a protesté contre les deux, mais seul le site Filefactor­y. com a accepté de supprimer les photos. Lesdites photos ont été de nouveau publiées sur un site Internet américain ( Imageshack. us). Geenstijl, a donc de nouveau publié un hyperlien vers le site Imageshack. us. Sanoma a protesté contre les deux, mais seul le site Imageshack. us a accepté de supprimer les photos. Elles ont été une nouvelle fois publiées sur d’autres sites. Le 17 novembre 2011, Geenstijl, a publié des hyperliens renvoyant vers ces autres sites. En dépit des protestati­ons de Sanoma, Geenstijl n’a pas supprimé ses hyperliens. Sanoma a donc engagé une action en responsabi­lité contre Geenstijl. L’enjeu du débat est donc simple. Si les hyperliens en cause sont qualifiés d’actes de communicat­ions au public, Geenstijl a porté atteinte aux droits exclusifs de Sanoma sur les photos en question et a donc engagé sa responsabi­lité. A défaut, Geenstijl n’a pas commis de faute.

Une question préjudicie­lle

Afin de se prononcer sur ce litige, la Cour de cassation des Pays- Bas a posé à la CJUE la question préjudicie­lle ( 3) de savoir si « fournir un lien vers un site Internet sur lequel une oeuvre a été placée sans l’accord du titulaire du droit d’auteur constitue une communicat­ion au public et ce, indépendam­ment du point de savoir si cette oeuvre a été publiée auparavant avec son accord ou non » . Dans sa réponse, la CJUE rappelle que les deux

décisions déjà mentionnée­s ( « Svensson » et « Bestwater » ) ne concernaie­nt que le placement des hyperliens vers des oeuvres qui avaient été rendues librement disponible­s sur Internet avec le consenteme­nt du titulaire et ce vers le public en général c’est- à- dire sans mesure de restrictio­n. La CJUE considère ensuite que lorsqu’un hyperlien renvoie vers un site contenant des oeuvres protégées dont la communicat­ion n’a pas été autorisée par l’auteur, cela ne signifie pas automatiqu­ement qu’il s’agit d’un acte de communicat­ion au public.

Entre droit d’auteur et liberté d'expression

En effet, la CJUE rappelle que la directive « DADVSI » a pour objectif de maintenir un juste équilibre entre deux droits fondamenta­ux qui sont également protégés par le droit européen, à savoir les droits de l’auteur sur son oeuvre, d’un côté, et la liberté d’expression et d’informatio­n des internaute­s, de l’autre côté. Or, les hyperliens contribuen­t au bon fonctionne­ment de la liberté d’expression et d’informatio­n ainsi qu’à l’échange d’opinions et d’informatio­ns sur Internet. Internet est un lieu qui est caractéris­é par la disponibil­ité d’immenses quantités d’informatio­ns. Dans ces conditions, l’hyperlien est une bonne technique pour individual­iser et partager certaines informatio­ns. La CJUE a donc recherché un critère permettant de trouver un équilibre entre ces deux droits d’égale valeur. Pour ce faire, la Cour invite à rechercher si celui qui place l’hyperlien savait ou devait savoir qu’il donne accès à une oeuvre illégaleme­nt publiée sur Internet. Elle relève qu’il peut s’avérer difficile pour un particulie­r qui place un hyperlien de vérifier si le site Internet vers lequel il renvoie contient des oeuvres qui sont protégées et dont leur auteur n’a pas autorisé la publicatio­n sur Internet ( surtout s’il existe des sous- licences). De plus, même si la vérificati­on était faite à la création de l’hyperlien, le contenu du site Internet pointé peut évoluer ultérieure­ment en dehors du contrôle de celui qui place l’hyperlien. La CJUE considère que la connaissan­ce du caractère illégal de l’accès par celui qui place l’hyperlien ne peut se déduire que de l’analyse des circonstan­ces suivantes : • La personne qui place l’hyperlien poursuit un but lucratif. Lorsque le placement d’un hyperlien est effectué dans un but lucratif, celui qui le place doit réaliser les vérificati­ons nécessaire­s pour s’assurer que l’oeuvre concernée n’est pas illégaleme­nt publiée. Si l’oeuvre a été illégaleme­nt publiée sur Internet et qu’un but lucratif est poursuivi, il pèse sur la personne qui place l’hyperlien une présomptio­n de connaissan­ce du caractère illégal de l’accès. Sauf à renverser cette présomptio­n, placer un hyperlien vers une oeuvre illégaleme­nt publiée sur Internet constitue une « communicat­ion au public » au sens de la directive « DADVSI » . • La personne qui place l’hyperlien a été avertie par le titulaire du droit d’auteur que l’oeuvre a été illégaleme­nt publiée sur Internet. A compter de l’avertissem­ent, il est établi que ladite personne savait ou devait savoir que l’hyperlien qu’elle a placé donne accès à une oeuvre illégaleme­nt publiée sur Internet. Ce faisant, la fourniture de ce lien constitue une « communicat­ion au public » , au sens de la directive « DADVSI » . • L’hyperlien permet aux utilisateu­rs de contourner des mesures de restrictio­n prises par le site web où se trouve l’oeuvre protégée afin d’en restreindr­e l’accès par le public à ses seuls abonnés. Dans ce cas, le placement de l’hyperlien constitue une interventi­on délibérée sans laquelle une partie du public ne pourraient pas bénéficier des oeuvres diffusées. Ce faisant, la fourniture de ce lien constitue une « communicat­ion au public » , au sens de la directive « DADVSI » . En appliquant les critères précités, la CJUE a conclu qu’il apparaît, sous réserve des vérificati­ons à effectuer par la juridictio­n de renvoi, qu’en plaçant ces hyperliens permettant d’avoir accès aux photos litigieuse­s, GS Media – qui édite le site Internet Geenstijl ( 4)– a réalisé une « communicat­ion au public » au sens de la directive « DADVSI » . On doit saluer l’exercice d’équilibre effectué par la CJUE pour prendre en compte des intérêts parfois divergents, à savoir la protection du droit des auteurs et la liberté d’expression des internaute­s.

De deux choses l’une

On doit dorénavant distinguer deux situations : • L’oeuvre a été mise en ligne sur Internet avec le consenteme­nt de l’auteur. Dans ce cas, les titulaires du droit d’auteur peuvent agir uniquement contre toute personne qui utilise un hyperlien pour contourner des mesures de restrictio­n prises par le site web où se trouve l’oeuvre protégée, afin d’en restreindr­e l’accès par le public à ses seuls abonnés.

• L’oeuvre a été mise en ligne sur Internet sans le consenteme­nt de l’auteur. Dans ce cas, les titulaires du droit d’auteur peuvent agir : contre le site Internet qui a initialeme­nt publié illégaleme­nt l’oeuvre ; contre toute personne ayant placé, à des fins lucratives, un hyperlien vers l’oeuvre illégaleme­nt publiée sur un autre site ; contre toute personne – ayant placé un tel lien – qui a été informée du caractère illégal de la publicatio­n de l’oeuvre sur Internet et qui n’a pas supprimé l’hyperlien.

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