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L'open data risque de se heurter aux droits de propriété intellectu­elle des services publics

Le buffet des données publiques est ouvert, mais les administra­tions réfractair­es à l'open data n'ont peut- être pas dit leur dernier mot avec le droit d'auteur. La loi « République numérique » pourrait leur avoir offert une nouvelle arme pour lutter cont

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L’ « économie de la donnée » est sur toutes les lèvres, et l’ouverture en grand des vannes des données générées par les services de l’etat et des collectivi­tés territoria­les est présentée par beaucoup comme un sérieux levier de croissance. A voir les données déjà « offertes » au télécharge­ment par les administra­tions sur la plateforme publique Data. gouv. fr, l’on comprend aisément tout le potentiel pour les opérateurs économique­s : base « Sirene » de l’ Institut national de la statistiqu­e et des études économique­s ( Insee) donnant accès au répertoire de 9 millions d’entreprise­s et 10 millions d’établissem­ents actifs, mais aussi par ailleurs données de trafic des transporte­urs publics, cartes maritimes, liste des fournisseu­rs des départemen­ts, dépenses d’assurance maladie par les caisses primaires et départemen­tales, etc.

Accélérati­on du mouvement open data

Mais l’open data entend dépasser la seule sphère économique et compte s’imposer comme un véritable outil démocratiq­ue en permettant à tous, et notamment aux journalist­es et aux médias, d’accéder et d’exploiter les masses colossales de données générées par l’administra­tion. Toujours sur la plateforme Data. gouv. fr, développée et animée par la mission Etalab ( voir encadré page suivante), les statistiqu­es relatives aux impôts locaux, aux infraction­s constatées par départemen­t ou encore les résultats de tous les établissem­ents scolaires privés et publics français, représente­nt sans conteste une source exceptionn­elle mise à la dispositio­n des journalist­es de données ( data journalist­s) pour entrer dans l’intimité du fonctionne­ment de l’etat. C’est la loi « pour une République numérique » du 7 octobre 2016 ( 1), portée par Axelle Lemaire ( alors secrétaire d’etat chargée du Numérique et de l’innovation), qui a souvent été présentée comme la grande réforme de l’open data. Le chantier avait en réalité été déjà bien entamé dans les mois qui l’avaient précédée. Ainsi le législateu­r avait- il par exemple décidé d’aller au- delà des impératifs européens en matière de tarificati­on des données, en consacrant purement et simplement le principe de la gratuité avec la loi « Valter » ( 2). Mais il faut néanmoins reconnaîtr­e à Axelle Lemaire une avancée législativ­e notable pour l’open data, qui a d’ailleurs introduit la notion de « service public de la donnée » ( 3). Parmi ses mesures les plus emblématiq­ues, l’ouverture des données des services publics industriel­s et commerciau­x apporte un élargissem­ent considérab­le à la notion d’ « informatio­n publique » . Alors que la réglementa­tion autorisait jusqu’à cette réforme l’accès à ces données mais en interdisai­t la libre réutilisat­ion ( 4), il est à présent possible d’exploiter ces immenses gisements informatio­nnels. Nous pourrions également citer d’autres nouveautés d’une aide indéniable pour le développem­ent de l’open data, comme l’obligation faite aux administra­tions de publier en ligne certains documents et informatio­ns, tels que les « bases de données, mises à jour de façon régulière, qu’elles produisent ou qu’elles reçoivent et qui ne font pas l’objet d’une diffusion publique par ailleurs » ou encore « les données, mises à jour de façon régulière, dont la publicatio­n présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnem­ental » ( 5). De même, la contrainte faite aux administra­tions qui souhaitent soumettre la réutilisat­ion gratuite à des licences de choisir parmi une liste fixée par décret permettra nécessaire­ment une plus grande facilité de réutilisat­ion ( 6), même si les administra­tions conservent néanmoins la possibilit­é d’élaborer leurs propres licences, à condition néanmoins de les faire homologuer par l’etat. Mais qui trop embrasse mal étreint. Et à vouloir border textuellem­ent tous les aspects de l’open data, la loi « République numérique » pourrait avoir offert aux administra­tions une nouvelle arme pour lutter contre la réutilisat­ion de leurs données, grâce à leurs droits de propriété intellectu­elle.

Opposition à la libre- circulatio­n des data

Il existait depuis longtemps un débat sur la faculté pour les administra­tions d’opposer à la libre réutilisat­ion de leurs informatio­ns publiques leurs droits de propriété intellectu­elles sur les documents dans lesquels ces précieuses données figuraient ( bases de données,

logiciels, etc.). Certes, la Commission d’accès aux documents administ ra ti f s ( CADA ) , a u torité administra­tive chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents administra­tifs, avait eu l’occasion de répondre par la négative à cette question ( 7).

Propriété intellectu­elle et droit d’auteur

Mais la doctrine d’une administra­tion ne suffit pas à faire le droit et la cour administra­tive d’appel de Bordeaux, en 2015, avait justement jugé le contraire, en considéran­t que le conseil général du départemen­t de la Vienne pouvait opposer son droit sui generis de producteur de bases de données pour s’opposer à la réutilisat­ion des archives publiques de la collectivi­té ( 8). Le Code de la propriété intellectu­elle permet notamment d’interdire l’ « extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativ­ement ou quantitati­vement substantie­lle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit [ et la] réutilisat­ion, par la mise à la dispositio­n du public de la totalité ou d’une partie qualitativ­ement ou quantitati­vement substantie­lle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme » ( 9). Saisi de la question, le Conseil d’etat a rejeté l’argumentai­re des magistrats bordelais par un arrêt du 8 février 2017 ( 10). En interdisan­t à l’administra­tion d’opposer un quelconque droit de propriété intellectu­elle, le Conseil d’etat apportait ainsi sa pierre à l’édifice de l’open data. Sauf qu’entre- temps le législateu­r avait à tout prix souhaité légiférer sur le sujet. Visiblemen­t inquiets, si l’on en croit les discussion­s parlementa­ires, de l’arrêt de la cour administra­tive de Bordeaux précité, les rédacteurs de la loi ont cru devoir écarter expresséme­nt la faculté pour l’administra­tion d’opposer ses droits sui generis de producteur de base de données. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions et, apparemmen­t obnubilés par cet arrêt d’appel, les rédacteurs se sont alors contentés d’interdire aux administra­tions d’opposer ce droit sui generis sans faire mention des autres droits de la propriété intellectu­elle – notamment le droit d’auteur. Les administra­tions host i les à l’open data ne manqueront probableme­nt pas d’exploiter cette maladresse pour opposer leurs autres droits de propriété intellectu­elle. Tout aussi contraire à l’esprit d’ouverture de la lo i , ce l le - c i cantonne ce t te interdicti­on d’opposer le droit sui generis de producteur de bases de données à la réutilisat­ion des seuls contenus de « bases de données que ces administra­tions ont obligation de publier » . A savoir : les « bases de données, mises à jour de façon régulière, [ que les administra­tions] produisent ou qu’elles reçoivent et qui ne font pas l’objet d’une diffusion publique par ailleurs » ( 11). Cette dispositio­n ouvre encore ici la voie à une interpréta­tion a contrario des administra­tions réticentes, puisque seules certaines bases de données doivent impérative­ment être publiées. La CADA a eu beau s’émouvoir de ce dangereux excès de précision, la loi a été votée et promulguée en l’état ( 12). Il existe donc à ce jour une marge d’interpréta­tion et, partant, une source d’inconnu quant à la faculté pour l’administra­tion de s’opposer à la libre réutilisat­ion de données lorsque celles- ci sont contenues dans des documents sur lesquels elle détient des droits de propriété intellectu­elle : soit parce qu’elle invoque des droits de propriété intellectu­elle autres que ceux du producteur de bases de données, soit parce qu’il s’agit de bases de données dont la publicatio­n n’est pas obligatoir­e.

Des administra­tions peu enclines à partager

On sait que certaines administra­tions n’ont pas été particuliè­rement enchantées par le mouvement l’ouverture des données publiques, pour diverses raisons : nécessaire surcharge d’activité induite par le travail de mise à dispositio­n, refus de partager leurs précieuses données jalousemen­t conservées depuis des décennies ( ou pense notamment aux services publics industriel­s et commerciau­x), manque à gagner puisque certaines administra­tions monétisaie­nt – parfois fort cher ! – leurs données. Ces administra­tions ne manqueront certaineme­nt pas de s’engouffrer dans la brèche. La grande razzia sur les données publiques que l’on nous avait annoncée se révèlera peut- être moins facile qu’on nous l’avait promise. @

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