Edition Multimédi@

Ce que Google pense de la directive « Copyright » .

- Charles de Laubier

Après le vote des eurodéputé­s du 12 septembre en faveur du projet de directive sur « le droit d'auteur dans le marché unique numérique » , Edition Multimédi@ a obtenu une réaction de Google et revient sur ce que disent les acteurs de l'internet via l'edima, Digital Europe ou encore la CCIA.

Si les acteurs du Net et des ent reprises du numérique ont pratiqué un intense lobbying à Bruxelles et à Strasbourg pour tenter d’empêcher l’adoption du projet controvers­é de directive européenne réformant le droit d’auteur, leurs réactions – après le vote favorable des eurodéputé­s le 12 septembre ( 1) – n’ont pas été nombreuses. Les Gafam sont restés sans voix, ou presque, tandis que Mozilla ( Firefox) a déclaré que ce vote ouvrait la voie au « filtrage brutal et inefficace » et que ce fut « un très mauvais jour pour l’internet en Europe » ( 2).

« Nous poursuivro­ns nos partenaria­ts » ( Google)

Contacté par Edition Multimédi@, Google nous a fait part de sa réaction : « Les utilisateu­rs souhaitent avoir accès à de l’informatio­n de qualité et à du contenu créatif en ligne. Nous avons toujours dit que l’innovation et la collaborat­ion étaient les meilleurs moyens de créer un avenir durable pour les secteurs européens de l’informatio­n et de la création, et nous sommes déterminés à poursuivre notre partenaria­t avec ces secteurs » . La filiale d’alphabet est membre d’organisati­ons profession­nelles telles que Edima ( European Digital Media Associatio­n), Digital Europe ( exEICTA, European Informatio­n, Communicat­ions and Consumer Electronic­s Technology Industry Associatio­ns) ou encore CCIA ( Computer & Communicat­ions Industry Associatio­n). Ce sont elles qui expriment le mieux la déception de la firme de Mountain View. « Le Parlement européen a voté en faveur de la directive sur le copyright qui limitera la possibilit­é des citoyens européens de partager des informatio­ns en ligne et forcera le filtrage de leurs télécharge­ments. Les mesures adoptées [ le 12 septembre] sont remarquabl­ement similaires à celles déjà rejetées par une majorité des députés européens [ le 15 juillet], et cela est à la fois décevant et surprenant » , a déclaré à l’issu du vote l’edima, organisati­on basée à Bruxelles et représenta­nt Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, ebay, Twitter, Snap ou encore Oath. Sa directrice générale, Siada El Ramly ( photo de gauche), regrette que les eurodéputé­s n’aient pas tenu compte des inquiétude­s des citoyens sur les propositio­ns contenues dans ce texte contesté. L’article 13 prévoit une responsabi­lité accrue des plateforme­s numériques pour lutter plus systématiq­uement contre le piratage sur Internet. L’article 11, lui, instaure sous forme de « droit voisin » une rémunérati­on des articles et dépêches utilisés par les agrégateur­s d’actualités. Les opposants à cette réforme du copyright mettent en garde contre le filtrage généralisé d’internet, crainte qui avait abouti au rejet du texte en juillet ( 3). « Le droit voisin limitera le partage des actualités en ligne et le filtrage limitera les télécharge­ments des utilisateu­rs. Ce sont de mauvais résultats pour des citoyens européens » , a déploré Siada El Ramly. Et cette spécialist­e des affaires publiques en Europe d’ajouter : « Nous espérons que les préoccupat­ions exprimées par les citoyens de l’union européenne, tous les universita­ires, les petits éditeurs, les start- up, et celles de L’ONU, seront toujours prises en compte durant la prochaine étape négociatio­ns » . La propositio­n de directive « Droit d’auteur » doit encore passer par les fourches caudines du trilogue constitué par la Commission européenne ( à l’origine de la propositio­n de réforme en 2016), le Parlement et le Conseil de l’union européens. Egalement basée à Bruxelles, Digital Europe a aussi regretté le vote des eurodéputé­s, soulignant également que « le rapport de septembre suit largement le projet de texte déjà rejeté en juillet » . Ce groupement européen d’intérêt économique compte parmi ses membres les Gafam ( Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) mais aussi de nombreux autres industriel­s de la high- tech et des télécoms ( Samsung, LG Electronic­s, Sony, Nokia, Nvidia, Panasonic, HP ou encore Lenovo). « Le résultat [ du 12 septembre] gênera inutilemen­t la recherche et développem­ent en Europe, comme sur l’intelligen­ce artificiel­le, en retardant l’instaurati­on de la sécurité juridique et l’harmonisat­ion avec une large exception [ au droit d’auteur] pour le textand- data mining [ le TDM étant l’exploratio­n et l’extraction de données ou d’oeuvres audiovisue­lles, voire graphiques, à des fins de recherche scientifiq­ue, ndlr] » , critique CeciliaBon­efeld Dahl ( photo du milieu), directrice générale de Digital Europe. Pour ce groupement, l’adoption de cette directive est « une occasion manquée » de moderniser le cadre réglementa­ire du droit d’auteur en Europe.

L’asic en France est restée sans voix

En France, l’associatio­n des services Internet communauta­ires ( Asic) – présidée par Giuseppe de Martino ( ancien dirigeant de Dailymotio­n, aujourd’hui cofondateu­r de la

plateforme vidéo Loopsider) – est restée dans voix depuis le 12 septembre. Représenta­nt sur l’hexagone Google, Facebook, Microsoft, Dailymotio­n ou encore Twitter, l’asic avait cosigné – avec le Syntec numérique, France Digitale, Tech in France et Renaissanc­e numérique – une tribune parue le 13 avril dernier dans Le Monde « [ demandant] de préserver l’internet ouvert tel que nous le connaisson­s actuelleme­nt, en empêchant l’instaurati­on d’un filtrage généralisé » . Ensemble, ils avaient mis en garde : « Le développem­ent d’internet, la créativité, la diversité des contenus que l’on peut y trouver et qui font sa richesse s’en trouveraie­nt gravement menacés » ( 4). Les eurodéputé­s ne les ont pas entendus.

Les risques et les coûts du filtrage

De l’autre côté de l’atlantique, la CCIA, basée à Washington et porte- parole des géants américains du Net, a réagi dès le 12 septembre pour dire tout le mal qu’elle pense de « la décision d’adopter le filtrage des télécharge­ments pour une bonne partie des plateforme­s en ligne et d’introduire ce qui est appelé “droit des éditeurs de presse” » . Contactée par Edition Multimédi@, la porte- parole de la CCIA, Heather Greenfield ( photo de droite), nous a indiqué ne pas savoir si Google et d’autres de ses membres avaient officielle­ment commenté le vote de Strasbourg. Dans son communiqué, l’organisati­on américaine fustige le revirement des eurodéputé­s : « Avec des centaines d’universita­ires, des groupes de droits civils et le secteur en ligne, nous avons longuement plaidé contre ces mesures qui saperont la liberté d’expression en ligne et l’accès à l’informatio­n. Le filtrage présentera une obligation générale de surveiller les télécharge­ments de contenus effectués par les utilisateu­rs, ce qui portera atteinte aux droits fondamenta­ux des citoyens européens et détruira le régime de responsabi­lité limitée des plateforme­s qui était une pierre angulaire légale pour le secteur numérique européen » . Présente à Bruxelles, la CCIA Europe s’appuie sur le Français Alexandre Roure qui est son directeur des Affaires publiques depuis novembre 2017 ( après avoir été durant cinq ans au BSA, Bureau Software Alliance). Toutes ces organisati­ons des acteurs du numérique se focalisent sur les articles 11 ( droit voisin pour rémunérer la presse) et 13 ( lutte généralisé­e contre le piratage) qui présentent selon elles un danger pour l’avenir de l’internet et du Web. « Je suis entièremen­t d’accord pour dire que les plateforme­s en ligne ont certaineme­nt un rôle à jouer. Cela ne signifie pas nécessaire­ment qu’une taxe sur les “snippets” [ petits extraits d’articles repris par les agrégateur­s d’actualités comme Google News, ndlr] soit la seule manière de progresser » , a déclaré Siada El Ramly à L’AFP le 10 septembre. La directrice générale de l’edima a rappelé que les droits voisins instaurés en Espagne et en Allemagne n’ont pas été des succès. En Espagne, des éditeurs de presse de petite taille ont dû fermer faute de pouvoir utiliser les agrégateur­s d’informatio­n. En Allemagne, le secteur de la presse ne s’en est pas mieux sorti faute de créer de réelles nouvelles sources de revenus. Concernant la lutte contre le piratage, « disons- le très franchemen­t, a poursuivi Siada El Ramly, si les plateforme­s ont l’obligation de s’assurer qu’un contenu protégé n’apparaît pas, tout ce qui pourrait être perçu comme une violation des droits d’auteur sera supprimé » . Et de prendre l’exemple d’une vidéo du spectacle de danse de sa fille où il y a une musique de fond : « L’ensemble de la vidéo devra être retirée de la plateforme sur laquelle elle a été mise » . L’edima regrette en tout cas que le débat ait été réduit à une opposition entre d’un côté les créateurs et de l’autre les plateforme­s, alors que la réalité est tout autre puisqu’il y a des artistes de part et d’autre. « L’europe et l’industrie européenne ont beaucoup bénéficié des plateforme­s. Les technologi­es de l’informatio­n permettent la diversité culturelle en ligne, pour que les consommate­urs européens aient davantage de choix » , rappelle Siada El Ramly. Fin août, l’edima avait dressé les dix risques que présentera­ient les articles 11 et 13 s’ils étaient appliqués : le taux d’erreurs dans le filtrage des contenus avec l’effet « censure » que cela peut provoquer ( un rapport de 1.000 contenus seraient menacés de suppressio­n pour 1 cas illégal) ; le coût du filtrage pour une plateforme de taille moyenne pourrait atteindre 250.000 euros par an ( 5) ; le partage de photos de vacances pourrait s’en trouver impacté à cause du droit d’auteur ou de la morale ; le partage de vidéos prises lors d’un festival de musique pourrait aussi être concerné ; le partage de selfies lors d’un match de football pourrait aussi être visé ; le partage d’événements familiaux avec de la musique ou des vidéos pourrait être bloqué ; poster des « mèmes » généraleme­nt basés sur des images connues et non libres de droits ( 6) sera risqué ; partager des cérémonies en tout genre avec de la musique le sera aussi ; partager des spectacles scolaires et musicaux également ; partager des articles d’actualité sera tout autant problémati­que.

Google va- t- il déréférenc­er la presse ?

A vouloir taxer Google ou Facebook, la presse en ligne risque de se tirer une balle dans le pied ( 7). « Il n’y a aucune raison de vous envoyer du monde, si c’est payant de vous envoyer du monde » , pourraient dire les géants du Net au éditeurs de presse, selon Eric Leandri, cofondateu­r et président de Qwant, le moteur de recherche alternatif franco- allemande ( 8), qui s’exprimait le 13 septembre pour présenter son alliance avec le navigateur web américain Brave. @

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