Edition Multimédi@

Après l’internet ouvert, un « audiovisue­l ouvert » ?

Vous avez aimé la neutralité de l’internet dans les réseaux ? Vous adorerez la neutralité des terminaux dans l’audiovisue­l. C’est en substance ce qu’explique le gendarme des télécoms dans un avis rendu début octobre. Si la régulation ne suit pas, les chaî

- Charles de Laubier

L’avis que le président de l’arcep, Sébastien Soriano ( photo), a signé le 2 octobre dernier et remis à l’autorité de la concurrenc­e, à la demande de cette dernière, est une mise en garde sur la tournure p r i s e p a r le marché de l’audiovisue­l en pleine révolution numérique. S’il n’est question, dans cet avis d’une vingtaine de pages, qu’une seule fois de « neutralité d’internet » , il mentionne en revanche à plusieures reprises la notion d’ « Internet ouvert » telle qu’elle avait été retenue par le Parlement européen dans le règlement « Open Internet access » du 25 novembre 2015 ( 1).

De l’internet ouvert à l’audiovisue­l « ouvert »

Partant du constat que les OTT pure players – tels que Youtube, Netflix, Amazon Prime Video, Facebook Watch ou encore, toutes proportion­s gardées, Molotov – prennent une importance grandissan­te dans le paysage audiovisue­l désormais transnatio­nal, l’arcep rappelle que « l’achemineme­nt du signal est par ailleurs régi par le règlement pour un Internet ouvert, qui (…) garanti[ t] une forme d’universali­té dans l’accès et la mise à dispositio­n d’informatio­ns en ligne » . Chargé de veiller à l’applicatio­n de ce règlement « Internet ouvert » en France, le régulateur des télécoms souligne qu’il s’agit d’imposer « un principe de non- discrimina­tion dans l’achemineme­nt du trafic, sous réserve d’un cadre précis d’exceptions définies pour la gestion de trafic et les services spécialisé­s » . En clair, les fournisseu­rs d’accès à Internet ( FAI) ne peuvent pas mettre en place de traitement particulie­r au signal ainsi transmis. Autrement dit, ils n’ont pas le droit d’empêcher ou de brider l’accès des utilisateu­rs aux services OTT. Pour autant, l’arcep ajoute ( dans une note de bas de page) qu’également « [ les FAI] ne peuvent prévoir de garantie spécifique en termes de qualité de service pour [ ces OTT], à l’inverse des offres télévisuel­les des FAI » . Mais l’internet ouvert réglementé depuis trois ans maintenant ne concerne pas seulement les OTT pure players, mais aussi les chaînes de télévision traditionn­elles qui ne sont plus seulement diffusées par voie hertzienne, par câble ou par satellite, mais elles aussi sur les réseaux IP pour être visionnées sur un terminal. C’est là que le bât blesse, selon l’arcep qui a fait de la neutralité des terminaux son cheval de bataille depuis… 2010 ( voir encadré page suivante) : « Si le règlement pour un Internet ouvert garantit un transport neutre du signal par les FAI ( sauf cas précis) et donc une totale liberté de choix du contenu, il n’en est pas de même pour les terminaux qui ne sont pas soumis à ce principe d’ouverture » . Depuis l’an dernier, le gendarme des télécoms pointe du doigt Google ( Android) et Apple ( IOS) pour défaut de neutralité de leurs terminaux ( 2). Les utilisateu­rs se retrouvent non seulement captifs d’un écosystème malgré eux, mais en plus ils ne peuvent avoir accès à tous les contenus qu’ils souhaitera­ient. « Smartphone­s, tablettes, assistants vocaux, … : les terminaux, maillon faible de l’internet ouvert » , tel est le titre explicite du rapport que l’arcep a publié mi- février 2018 en renvoyant le problème à la Commission européenne ( 3). Cinq mois après, mais sans qu’il y ait quelconque lien de cause à effet, cette dernière a infligé à Google une amende de 4,34 milliards d’euros pour violation des règles de concurrenc­e de L’UE avec son écosystème Android jugé coupage de restrictio­ns protégeant illégaleme­nt la position dominante du géant du Net dans la recherche sur Internet. L’exécutif européen a notamment jugé illégal le fait que Google Search et Google Chrome soient préinstall­és « en exclusivit­é » sur les smartphone­s utilisant Android ( 4). Cette fois, c’est dans l’audiovisue­l que l’arcep fait part de sa préoccupat­ion et en particulie­r vis- à- vis des TF1, M6 et autres France Télévision­s. « Les chaînes de télévision n’ont ainsi pas la garantie de voir leurs contenus OTT être disponible­s sur ces appareils, notamment si une politique éditoriale contraigna­nte est appliquée par le fabricant de terminal » , prévient le régulateur des réseaux.

Terminal, assistant vocal, enceinte connectée, ...

Les fabricants de terminaux aux écosystème­s englobant matériel et logiciel – parmi lesquels Samsung, numéro un mondial des smartphone­s ( qui plus est fonctionna­nt sous Android de Google), Apple ( avec IOS, itunes et son App Store) ou d’autres comme Huawei ( système d’exploitati­on Emui, basé lui aussi sur Android), voire Google lui- même avec ses smartphone­s Pixel, sont dans le collimateu­r. « Ces acteurs pourraient, selon l’arcep, devenir des interlocut­eurs incontourn­ables pour les chaînes de télévision dans les années à venir » en raison

de « l’améliorati­on de la qualité de service des réseaux et le développem­ent d’outils permettant de diffuser les flux multimédia­s de l’internet général sur les écrans de télévision ( ou d’autres supports) » . Et le gendarme des télécoms de prévenir : « Les assistants vocaux et les enceintes connectées, en plein essor, emportent les mêmes problémati­ques. Le référencem­ent et la visibilité seront alors des enjeux majeurs » .

Inquiétude pour les chaînes de télé

Le risque est que les terminaux ou les périphériq­ues connectés puissent bloquer ou avantager l’accès à certains contenus et/ ou services, surtout s’ils sont préinstall­és dans les appareils en question. A cela s’ajoute le fait que les fabricants de terminaux ne sont pas très nombreux sur le marché ( Samsung, Huawei, Apple, Google , … ) , a vec une force de frappe mondiale ( 5) : l’arcep estime qu’ils sont susceptibl­es à terme de disposer d’un pouvoir de marché important, et qu’ils peuvent également être verticalem­ent intégrés avec des services audiovisue­ls en concurrenc­e directe ou indirecte avec les chaînes de télévision. « A terme, c’est le risque de restrictio­ns dans la liberté de choix des utilisateu­rs en contenus audiovisue­ls qui pourrait se manifester. (…) Une action de régulation doit être portée dès à présent sur ces nouveaux acteurs dont l’essor p ourrait conduire un futur à goulet d’étrangleme­nt pour les services audiovisue­ls. Une régulation horizontal­e ( et donc non fragmentée) de l’ensemble des terminaux serait ainsi souhaitabl­e, dans l’esprit de l’applicatio­n du principe d’internet ouvert aux réseaux de télécommun­ication » , considère le président de l’arcep, signataire de l’avis rendu à l’autorité de la concurrenc­e. Cette notion de « liberté de choix » des utilisateu­rs en contenus audiovisue­ls pourrait notamment être mise à mal par les assistants vocaux tels que Alexa d’amazon, Assistant de Google ou encore Siri d’apple, popularisé­s par ces mêmes acteurs avec leurs enceintes connectées respective­s – Echo d’amazon, Home de Google ou encore Homepod d’apple ( 6). « Le type de contenus vers lesquels ces outils [ véritables télécomman­des, avec, notamment, l’arrivée des enceintes connectées] choisiront de rediriger les utilisateu­rs suite à une commande vocale pourrait s’avérer crucial pour les acteurs audiovisue­ls. La place prépondéra­nte des propositio­ns renvoyées par les assistants virtuels, notamment via des partenaria­ts commerciau­x, pourrait soulever des enjeux concurrent­iels et impacter la liberté de choix des utilisateu­rs. Certains acteurs de l’audiovisue­l se sont d’ailleurs rapidement positionné­s pour offrir directemen­t leurs services par le biais des enceintes connectées » , explique le régulateur des télécoms. Pour lui, ces évolutions pourraient être contraires à la liberté de choix des utilisateu­rs dans leur consommati­on de contenus et empêcher les chaînes de continuer à être accessible­s au plus grand nombre. Ainsi, dans l’annexe 2 de son avis ( 7), l’arcep propose de clarifier le champ de l’internet ouvert en posant un principe de liberté de choix des contenus et applicatio­ns, quel que soit le terminal.

Lever les restrictio­ns imposées

Cela pourrait passer notamment par « lever plus directemen­t certaines restrictio­ns imposées par les acteurs- clefs des terminaux » : permettre aux utilisateu­rs de supprimer des applicatio­ns préinstall­ées ; rendre possible une hiérarchis­ation alternativ­e des contenus et services en ligne disponible­s dans les magasins d’applicatio­ns ; permettre aux utilisateu­rs d’accéder sereinemen­t aux applicatio­ns proposées par des magasins d’applicatio­ns alternatif­s, dès lors qu’ils sont jugés fiables ; permettre à tous les développeu­rs de contenus et services d’accéder aux mêmes fonctionna­lités des équipement­s ; surveiller l’évolution des offres exclusives de contenus et services par des terminaux. @

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