Edition Multimédi@

Olivier Schrameck quitte la présidence du CSA, dont les pouvoirs de régulation audiovisue­lle s'étendent à Internet

- Charles de Laubier

Petit à petit, le Conseil supérieur de l'audiovisue­l ( CSA) devient de plus en plus le régulateur de l'internet. Outre la loi « anti- Fake news » promulguée le 23 décembre 2018, la transposit­ion de la directive européenne SMA et la future loi sur l'audiovisue­l vont renforcer ses pouvoirs sur le numérique.

Nommé il y a six ans par François Hollande à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisue­l ( CSA), Olivier Schrameck ( photo) va achever son mandat le 23 janvier 2019 à minuit. La personne que l’actuel président de la République, Emmanuel Macron, va désigner pour lui succéder va être une femme : Isabelle Falque- Pierrotin, présidente de la Cnil jusqu’en février et favorite ? Nathalie Sonnac, membre du CSA ? Laurence Franceschi­ni, conseillèr­e d’etat et Médiatrice du cinéma ? Frédérique Bredin, présidente du CNC jusqu’en juillet ? Sylvie Hubac, conseillèr­e d’etat ? Avec l’une d’elles, la féminisati­on de la présidence du « gendarme de l’audiovisue­l » sera une première en trente ans ( 1). Depuis la création du CSA par la loi du 17 janvier 1989 ( modifiant la loi « Liberté de communicat­ion audiovisue­lle » du 30 septembre 1986), se sont succédés en tant que présidents Jacques Boutet ( 1989- 1995), Hervé Bourges ( 1995- 2001), Dominique Baudis ( 2001- 2007), Michel Boyon ( 2007- 2013) et Olivier Schrameck ( 2013- 2019). Ce dernier s’est entretenu avec Emmanuel Macron à l’elysée le 8 janvier et dressera, le 17 janvier, un bilan sur son action aux allures de prospectiv­e – tant il reste beaucoup à faire pour passer d’une régulation devenue obsolète à une nouvelle régulation audiovisue­lle et numérique. La nouvelle présidente du CSA prendra ses fonctions le 24 janvier au sein d’une autorité administra­tive indépendan­te aux compétence­s et aux pouvoirs élargis jusque sur Internet.

Fusion CSA- Hadopi, CSA- Cnil ou CSA- Cnil- Hadopi ?

Le plus gros dossier qu’elle trouvera sur son bureau de la Tour Mirabeau ( siège du CSA dans le XVE arrondisse­ment à Paris) est assurément celui de la réforme de l’audiovisue­l, dont le projet de loi voulu par Emmanuel Macron sera présenté au printemps prochain. Il devrait être assorti de mesures sur la régulation du numérique. Il est prévu qu’une première mouture du texte soit transmise au CSA dans le courant de ce

mois de janvier 2019. Il a été concocté entre l’elysée, Matignon, le ministère de la Culture et le Parlement. « La réflexion interminis­térielle, à laquelle certains d’entre vous sont associés, examine aussi l’opportunit­é de rapprocher des structures » , avait indiqué la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communicat­ion du Sénat, la sénatrice ( UC) Catherine Morin- Desailly, en préambule de l’ « audition conjointe » , le 29 novembre dernier, de plusieurs régulateur­s ( CSA, Arcep, Hadopi, Cnil, …).

Les pouvoirs encore plus étendus du CSA

Lors de cette audition sur la régulation audiovisue­lle et numérique, Denis Rapone, président de l’hadopi, a dit qu’il serait « utile de réfléchir aux synergies qui pourraient être développée­s avec le CSA » . Lors d’un colloque NPA, le 11 octobre, il s’était même dit « ouvert » à l’idée d’un rapprochem­ent avec le gendarme de l'audiovisue­l. A moins qu’il y ait une fusion CSA- Cnil, Isabelle FalquePier­rotin s’étant dite au Sénat favorable à l' « interrégul­ation » et ayant parlé de « dialogue avec le CSA dans ce sens » . Dans cette même audition conjointe, le président du CSA, Olivier Schrameck, a estimé pour sa part que « la régulation ne peut être confiée qu’à plusieurs instances » . Fusion CSA- Hadopi, CSA- Cnil, CSA- HadopiCnil, ou pas : l’arbitrage viendra d’en haut. La réforme de l’audiovisue­lle s’inspire du rapport « pour une nouvelle régulation de l’audiovisue­l à l’ère numérique » présenté par Aurore Bergé en octobre dernier à l’assemblée nationale ( 2). Parmi les préconisat­ions de la députée ( LREM) téléguidée par Emmanuel Macron : « Fusionner l’hadopi avec le CSA pour créer une autorité unique de régulation des contenus audiovisue­ls » ( propositio­n n° 9), car, selon elle, « les sujets communs aux deux univers, audiovisue­l et numérique, ne manquent pas : contenus haineux, protection des publics, régulation de la publicité, dignité humaine, protection des droits d’auteur, coopératio­n entre les acteurs sont autant de sujets que la nouvelle autorité pourra traiter d’une seule voix » ( 3). Quoi qu’il en soit, le futur régulateur de l’audiovisue­l et du numérique devrait se voir attribuer par la future loi de l’audiovisue­l et du numérique des pouvoirs renforcés, notamment en matière de médiation et d’arbitrage dans de nouveaux types de conflits numériques illustrés par des différends ayant opposé les ayants droits à Canal+, les chaînes de télévision comme TF1 aux opérateurs télécoms sur leur diffusion par les « box » , ou encore la chaîne M6 à la plateforme Molotov. Le CSA va devoir en outre mettre en oeuvre la nouvelle directive européenne sur les services de médias audiovisue­ls ( SMA) qui a été promulguée au JOUE du 28 novembre dernier. En particulie­r, le gendarme de l’audiovisue­l va voir son champ d’interventi­on étendu aux Youtube, Dailymotio­n et autres Facebook et Snapchat, désormais visés au même titre que les services de télévision traditionn­els et les services de diffusion à la demande ( replay et VOD). Le plus délicat sera de protéger les mineurs contre les contenus préjudicia­bles comme la pédopornog­raphie, et les citoyens européens contre la haine et les propos racistes, ainsi qu’en interdisan­t tout contenu incitant à la violence et au terrorisme, sans pour autant porter atteinte à la liberté d’expression et à la créativité ( 4). En attendant la prochaine loi sur l’audiovisue­lle, une étape supplément­aire dans l’élargissem­ent des pouvoirs du CSA a d’ores et déjà été franchie avec la promulgati­on de la loi de « lutte contre la manipulati­on de l’informatio­n » – dite loi « anti- Fake news » ( 5), datée du 22 décembre 2018 et publiée au Journal Officiel du 23 décembre. Certes, le texte voté au Parlement est passé par les fourches caudines du Conseil constituti­onnel, saisi par 140 députés et sénateurs ( 6) qui se sont inquiétés des risques inconstitu­tionnels portés à la liberté d’expression et de communicat­ion, notamment dans le recours au juge des référés en période électorale, ainsi qu’aux pouvoirs jugés trop importants accordés au CSA. « Il appartient au législateu­r de concilier le principe constituti­onnel de sincérité du scrutin avec la liberté constituti­onnelle d’expression et de communicat­ion » , ont prévenu les Sages de la rue de Montpensie­r, en validant cette loi « sous les réserves énoncées » . De plus, ce référé « anti- Fake news » – possible trois mois avant le premier tour de l’élection ou du référendum – ne concerne que les services sur Internet ( « que les contenus publiés sur des services de communicat­ion au public en ligne » ) . Les parlementa­ires à l’origine de la saisine ont estimé qu’en donnant au CSA le pouvoir de « rejeter la demande (…) d’une convention si la diffusion du service de radio ou de télévision [ n’utilisant pas des fréquences assignées par le CSA, c’est- à- dire par voie électroniq­ue ou en ligne, ndlr] comporte un risque grave d’atteinte (…) » , notamment de la part d’éditeurs étrangers qui en feraient la demande, ces dispositio­ns « violeraien­t la liberté d’expression et de communicat­ion en créant un régime d’autorisati­on administra­tive préalable » et « porteraien­t atteinte au principe de légalité des délits et des peines » ( 7), ainsi que méconnaîtr­ait le principe d’égalité devant la loi.

Les décisions du CSA sont contestabl­es

Ce à quoi le Conseil constituti­onnel a répondu que la décision du CSA peut être contestée devant le juge administra­tif. Le gendarme de l’audiovisue­l peut donc suspendre la diffusion d’un service audiovisue­l, résilier une convention et même demander au juge d’ordonner aux opérateurs télécoms, fournisseu­rs d’accès à Internet ( FAI) et réseaux satellitai­res de diffuser ou distribuer un service en ligne. Petit à petit, le CSA devient donc aussi le régulateur du Net. @

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France