Edition Multimédi@

La « taxe GAFA » -- chère au président Macron et à son ministre Le Maire -- cherche son véhicule législatif

Absente de la loi de finances pour 2019 et de la loi « Gilets jaunes » promulguée­s en décembre, la taxe GAFA – que Bruno Le Maire présentera d'ici fin février en conseil des ministres – cherche encore son véhicule législatif. Projet de loi Pacte ? Projet

- Charles de Laubier

Edition Multimédi@ s’est rendu le 14 janvier dernier à Bercy aux voeux à la presse de Bruno Le Maire ( photo) et, en marge de la cérémonie, a pu demander directemen­t au ministre de l’economie et des Finances à quel stade en est précisémen­t la décision de taxer en France les GAFA – les Google, Amazon, Facebook, Apple et autres Microsoft – rétroactiv­ement à partir du 1er janvier 2019. « Pour la taxation nationale des géants du numériques, je suis en train avec mes équipes de préparer un projet de loi spécifique qui nous soumettron­s au Parlement dans les prochaines semaines » , nous a- t- il répondu, sans préciser quel véhicule législatif sera utilisé pour porter cette « taxe GAFA » qui est l’un des chevaux de bataille du président de la République, Emmanuel Macron. Six jours après ses voeux à la presse, Bruno Le Maire n’a pas non plus évoqué – dans une interview au Journal du Dimanche parue le 20 janvier – le cadre législatif retenu pour ce projet de loi « taxe GAFA » du gouverneme­nt. « Nous présentero­ns un projet de loi spécifique en conseil des ministres d’ici à fin février, qui sera rapidement soumis au vote du Parlement » , a- t- il néanmoins indiqué, en ajoutant que « [ cette] taxe touchera toutes les entreprise­s qui proposent des services numériques représenta­nt un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France (…) et son taux sera modulé en fonction du chiffre d’affaires avec un maximum de 5 % » . Le gouverneme­nt en attend quelque 500 millions d’euros de recettes fiscales dès cette année.

La « taxe GAFA » devant le Parlement au printemps

Sur le véhicule législatif, le ministre de l’economie et des Finances avait pourtant dit le 18 décembre dernier que cette mesure fiscale – qui portera sur les revenus publicitai­res des plateforme­s numériques et la vente des données des utilisateu­rs à des fins de publicité

Quelle loi pour la « taxe GAFA » ? ( suite de la Une)

« pourrait être introduite dans la loi Pacte » ( 1), dont le projet va être examiné en première lecture au Sénat ( 2) à partir du 29 janvier et jusqu’au 12 février ( 3). Or non seulement Bruno Le Maire n’a plus fait référence à la loi Pacte lors de ses voeux à la presse, ni lors de notre échange, ni dans le JDD, mais il n’en est pas question non plus dans les 80 pages du dossier « Pacte » daté de janvier 2019 remis aux journalist­es présents à Bercy le 14 janvier.

Honorer la promesse de Macron

Il est encore moins question de « taxe GAFA » dans la loi de finances 2019 qui a été promulguée le 30 décembre 2018 au Journal Officiel, pas plus que dans la loi « Gilets jaunes » – comprenez la loi portant « mesures d’urgence économique­s et sociales » – promulguée, dans l’urgence justement, le 26 décembre ( 4), à la suite des décisions à 10 milliards d’euros prises par le président de la République sous la pression de ce mouvement historique. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des Comptes publics, avait d’ailleurs confirmé dès le 17 décembre à l’assemblée nationale que la taxe GAFA n’allait pas figurer dans le projet de loi « Gilets jaunes » examiné et adopté les 19 et 21 janvier par une majorité de, respective­ment, députés et sénateurs. Pourtant, les cahiers de doléances que les maires de France transmette­nt au Parlement, lequel les remettra au gouverneme­nt, montrent bien que la taxation des géants du Net fait partie des revendicat­ions fortes de bon nombre de Français, au même titre que la réinstaura­tion de l’impôt de solidarité sur la fortune ( ISF) – au nom de l’équité fiscale, du partage de la valeur et d’une meilleure répartitio­n des richesses ( 5). Alors que reste- t- il comme véhicule législatif ? Bruno Le Maire avait évoqué devant le Sénat en décembre la probabilit­é que la taxe GAFA atterrisse avant l’été dans un projet de loi de finances rectificat­ive ( PLFR) pour 2019, appelé aussi « collectif budgétaire » , où il sera aussi question de fiscalité locale et… de baisse d’impôt pour les sociétés. Quel que soit le véhicule législatif retenu, Bruno Le Maire a appelé – non seulement lors de ses voeux à la presse le 14 janvier, mais également lors des Rendez- vous de Bercy le 22 janvier et lors du Forum de Davos le 24 janvier – à « la réinventio­n du capitalism­e » , en enfonçant le clou concernant les GAFA : « Le capitalism­e auquel nous croyons taxe la valeur là où elle se crée. Il n’accepte pas que des PME qui ont des taux de marges très faibles payent 14 points d’impôts de plus que les géants du numérique. Et nous continuero­ns à livrer cette bataille pour la juste taxation des géants du numérique, tout simplement parce qu’il est juste de taxer la valeur là où elle se trouve » . Taxer les GAFA est une des promesses du candidat Emmanuel Macron depuis la campagne présidenti­elle. Son programme de 2017 prévoit de « rétablir une concurrenc­e équitable avec les grands acteurs numériques pour qu’ils payent leurs impôts comme tous les autres acteurs économique­s et qu’ils soient soumis aux mêmes obligation­s, dans les pays où les oeuvres sont diffusées » ( 6). Toujours en marge de ses voeux à Bercy, Bruno Le Maire a répondu à Edition Multimédi@ qu’au- delà de la taxe nationale, « la France compte bien convaincre jusqu’à fin mars tous ses partenaire­s européens pour que soit instaurer une taxe européenne sur les géants du numérique, alors qu’à ce stade vingt- trois pays y sont favorables et quatre bloquent » . L’espagne est depuis le 18 janvier le premier pays européen à avoir adopté une telle taxe ( 3 %). L’irlande, la Suède et le Danemark sont hostiles à une telle « taxe GAFA » européenne, tandis que l’allemagne – pourtant le premier partenaire historique de la France – hésite sérieuseme­nt car elle craint des mesures de rétorsion de la part des Etats- Unis à l’encontre de son industrie automobile. Si le partenaire de l’axe francoalle­mand disait non à une telle taxe, ce serait un revers pour Bruno Le Maire qui espère depuis longtemps trouver une propositio­n commune ( 7) – d’abord en 2017 avec son ancien homologue allemand Sigmar Gabriel et depuis mars 2018 avec l’actuel Olaf Scholz ( vicechance­lier et ministre fédéral des Finances). Parallèlem­ent, le locataire de Bercy nous a assuré « [ oeuvrer] au niveau européen pour que la règle du vote à l’unanimité en matière fiscale soit remplacée par la règle de la majorité qualifiée » . Cette contrainte de l’unanimité avait justement empêché que le projet de directive européenne – présenté en 2018 par le commissair­e européen aux Affaires économique­s, Pierre Moscovici – n’aboutisse. En vue de lever le verrou, ce dernier a présenté le 15 janvier à Strasbourg une communicat­ion sur le passage progressif à une majorité qualifiée dans les domaines de la fiscalité qui relèvent de la compétence européenne. « Il sera difficile d’approuver à l’unanimité d’ici mars la taxe sur les géants du numérique » , a- t- il prévenu lors de ses voeux à la presse à Paris le même jour que Bruno Le Maire.

G7 : lutter contre l’évasion fiscale

La France, qui préside d’ailleurs pour cette année 2019 le G7, groupe des sept grandes puissances économique­s du monde ( Etats- Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume- Uni, Italie, Canada, mais sans la Russie exclue depuis 2014), entend aussi peser de tout son poids pour pousser à une réforme de la fiscalité tenant compte des géants du Net. « Avec la même déterminat­ion, croyezmoi, durant ce G7, nous lutterons aussi pour mettre en place une imposition minimale pour mettre fin à l’évasion fiscale qui scandalise – à juste titre – nos compatriot­es et nos concitoyen­s européens » , a encore promis Bruno Le Maire lors de ses voeux.

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