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Quand le juge ordonne aux FAI le blocage de sites web

Contrairem­ent au jugement de l'affaire « Allostream­ing » de 2013, où les fournisseu­rs d'accès à Internet ( FAI) avaient dû prendre leur charge les coûts de blocage ( ce qui fut confirmé en cassation en 2017 ( 1)), le jugement « Democratie-participat­ive. b

- Par Olivia Roche, avocate, et Prudence Cadio, avocate associée, cabinet LPA- CGR avocats

Dans un jugement du 27 novembre 2018 ( 2), le Tribunal de grande instance de Paris a ordonné à neuf fournisseu­rs d’accès à Internet ( FAI) de bloquer, de manière définitive et illimitée dans le temps, l’accès à ausite In ternet au nom trompeur « Democratie-participat­ive. biz » . Celui- ci diffusait depuis 2016 des publicatio­ns à caractère haineux.

Neuf FAI appelés à bloquer l’accès au site Internet

Cette décision est particuliè­rement notable en ce qu’elle illustre pleinement les obligation­s qui peuvent être mises à la charge des FAI, lorsque les autres acteurs de la chaîne de responsabi­lités prévue par la loi « pour la confiance dans l’économie numérique » de 2004 – loi dite « LCEN » ( 3) – sont inaccessib­les. Le site web « Democratie-participat­ive. biz » diffusait très largement des « mots d’une extrême violence et qui exhortent en même temps au passage à l’acte violent contre des personnes en raison de la religion, de l’origine ou de l’orientatio­n sexuelle des intéressés » . Le procureur de la République de Paris a ainsi – après notamment une question d’une députée en juillet 2018 auprès du gouverneme­nt ( 4)– assigné en référé les neuf principaux FAI français ( SFR, SFR Fibre, Orange, Free, Bouygues Télécom, Outremer Telecom, la Société réunionnai­se du radiotélép­hone/ SRR, Orange Caraïbe et Colt Technologi­e Service) pour qu’il leur soit enjoint de prendre toutes les mesures nécessaire­s pour bloquer définitive­ment l’accès au site « Democratie­participat­ive. biz » depuis le territoire français. Le procureur de la République de Paris demandait également que ces mesures soient ordonnées sous astreinte de dix mille euros par jour de retard et dans un délai de quinze jours maximum à compter de la décision à intervenir. Comme le rappelle avec précision la décision du Tribunal de grande instance de Paris, le procureur de la République de Paris s’est tourné vers les FAI faute d’avoir pu identifier ni les auteurs des publicatio­ns, ni l’éditeur ou l’hébergeur du site Internet litigieux. En effet, la LCEN instaure un régime dit de « responsabi­lité en cascade » qui autorise les autorités judiciaire­s à ordonner aux FAI des mesures de blocage, mais à condition que l’éditeur ou, à défaut, l’hébergeur du site en question ne soient pas identifiab­les ( 5). En l’espèce, malgré plusieurs plaintes déposées par des personnes physiques identifiée­s dans les publicatio­ns à caractère haineux, le profil anonyme de leurs auteurs n’a pas pu être levé. De même, les mentions légales du site « Democratie­participat­ive. biz » , telles que requises par la LCEN, ne permettaie­nt pas d’identifier son directeur de publicatio­n ou son hébergeur : les différente­s investigat­ions menées ont conduit à des sociétés américaine­s qui n’ont pas répondu aux réquisitio­ns judiciaire­s qui leur ont été adressées. Au regard des nombreux procès- verbaux versés par le procureur de la République de Paris justifiant de l’ensemble des démarches entreprise­s, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé l’action à l’encontre des neuf FAI recevable compte tenu de « l’impossibil­ité d’agir efficaceme­nt et rapidement contre l’hébergeur, de même que contre l’éditeur ou l’auteur du contenu litigieux » ( 6). L’action à l’encontre des FAI s’est ainsi révélée particuliè­rement efficace pour atteindre un site Internet dont les auteurs, éditeurs et hébergeurs étaient inaccessib­les ou non- identifiab­les. La mesure de blocage prononcée par le Tribunal de grande instance de Paris doit être notée, en particulie­r en raison de son caractère définitif et parce qu’elle vise les principaux FAI français. Rappelons que les fournisseu­rs d’accès à Internet sont considérés comme de simples « transporte­urs » , au titre des dispositio­ns de la LCEN qui avait fidèlement transposé la directive européenne « Commerce électroniq­ue » de 2000 ( 7). Ce qui justifie que les FAI n’aient pas d’obligation généralisé­e de surveillan­ce des contenus qui transitent par leurs services.

Trouble illicite de l’ordre public

La LCEN prévoit que « l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, [ à l’hébergeur] ou, à défaut, [ au fournisseu­r d’accès à Internet], toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communicat­ion au public en ligne » ( 8). Sur la base de ces dispositio­ns, le blocage de l’accès à un

site Internet est ainsi l’une des mesures qui peut être requise auprès de son hébergeur et à défaut des fournisseu­rs d’accès à Internet, notamment lorsque l’ordre public est menacé. Dans le présent cas, le Tribunal de grande instance de Paris a pris soin de lister les diverses publicatio­ns constituti­ves d’infraction­s établissan­t clairement l’existence d’un trouble manifestem­ent illicite de l’ordre public : injures à caractère racial, provocatio­n à la haine et à la violence envers un groupe de personnes à raison de son origine ou de sa religion, provocatio­n à la haine et à la violence envers un groupe de personnes à raison du sexe ou de l’orientatio­n sexuelle, injure publique à raison de l’orientatio­n sexuelle ou encore apologie de crimes contre l’humanité.

Bloquer l’accès, faute d’arrêter le site

La gravité de ces faits a ainsi pleinement justifié la nécessité d’intervenir à l’égard des FAI. Plusieurs des associatio­ns ( Licra, Crif, SOS Racisme, MRAP, UEJF, AIPJ, LDH, SOS Homophobie, …) sont intervenue­s volontaire­ment à l’action du procureur de la République de Paris au vu de la nature des contenus haineux diffusés sur le site « Democratie participat­ive. biz » . Elles avaient étendu les demandes initialeme­nt formulées dans l’assignatio­n délivrée aux FAI. Certaines parties avaient notamment requis, en applicatio­n de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse telle que récemment modifiée en 2017 ( 9), que les FAI procèdent non pas au « blocage » du site litigieux mais à son « arrêt » . En effet, l’article 50- 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit désormais que « lorsque les faits visés (…) résultent de messages ou informatio­ns mis à dispositio­n du public par un service de communicat­ion au public en ligne et qu’ils constituen­t un trouble manifestem­ent illicite, l’arrêt de ce service peut être prononcé par le juge des référés, à la demande du ministère public et de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir » ( 10). Néanmoins, le Tribunal de grande instance de Paris a relevé, à juste titre, que seul l’hébergeur du site Internet aurait été à même d’arrêter ce service et que les FAI n’étaient pas en mesure de supprimer définitive­ment le site Internet, mais simplement d’en assurer le blocage depuis le territoire français. Le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi considéré que la mesure de blocage était « totalement adaptée et proportion­née » et a fait « injonction aux sociétés fournisseu­rs d’accès de procéder au blocage d’accès du site litigieux » étant précisé que celles- ci « sont libres de choisir la mesure technique la plus adaptée et la plus efficace » ( 11). L’analyse des modalités de la mesure de blocage telle que prononcée par le Tribunal de grande instance de Paris permet d’en apprécier le caractère « proportion­né et adapté » et mérite d’être soulevée. En effet, la mesure imposée aux FAI est illimitée dans le temps, ce qui est particuliè­rement notable. Les sociétés mises en cause avaient demandé que celle- ci soit limitée à une durée de douze mois. Néanmoins, la juridictio­n a suivi les demandes formulées par le procureur de la République de Paris, en considéran­t que cela « relève du principe de proportion­nalité au vu de la gravité des propos relevés » . Cet aspect volontaire­ment contraigna­nt de la décision est renforcé par le fait que le blocage doit viser non seulement le site « Democratie­participat­ive. biz » , mais également « tout site comportant le nom democratie­participat­ive. biz » . Néanmoins, à la demande de la société Free, le Tribunal de grande instance de Paris a mis le coût des mesures de blocage à la charge du procureur de la République de Paris. En effet, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que la LCEN ne consacre pas de mécanisme d’indemnisat­ion et que, au nom du principe d’égalité devant les charges publiques, il n’est pas autorisé de faire supporter aux FAI le coût de la mesure de blocage, puisqu’ils ne sont pas responsabl­es du contenu du site litigieux. Ce point semble justifié, dans la mesure où, contrairem­ent à des arrêts rendus en matière de propriété intellectu­elle ( 12) qui visaient la défense d’intérêts privés – tels que la protection des droits des auteurs dans l’affaire « Allostream­ing » ( 13) de 2013 –, la décision du Tribunal de grande instance de Paris repose sur la protection de l’intérêt général. Par conséquent, les FAI pourront demander le remboursem­ent des coûts afférents aux mesures de blocage sur présentati­on des factures correspond­antes au procureur de la République de Paris. Enfin, l’autorité judiciaire n’a pas prononcé la mesure d’astreinte requise par le procureur de la République de Paris en considéran­t notamment que les FAI ne tirent « aucun profit de l’exploitati­on du site litigieux » , ce qui renforce la volonté apparente du tribunal d’inscrire cette décision dans une perspectiv­e de « coopératio­n » avec ces acteurs et non de pure sanction.

Depuis l’affaire « Allostream­ing » de 2013

La décision du Tribunal de grande instance de Paris illustre ainsi pleinement les mécanismes d’action disponible­s à l’égard des FAI, qui se révèlent être des palliatifs efficaces aux difficulté­s récurrente­s d’identifica­tion des auteurs et autres intermédia­ires techniques. Cela pourrait être, depuis l’affaire « Allostream­ing » jugé en 2013, une nouvelle source d’inspiratio­n pour, notamment, les acteurs de l’industrie culturelle luttant contre les contenus contrefais­ants. @

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