Quel garde- fou contre le filtrage généralisé ?
système de filtrage : des informations stockées sur ses serveurs par les utilisateurs de ses services ; qui s’applique indistinctement à l’égard de l’ensemble de ces utilisateurs ; à titre préventif ; à ses frais exclusifs ; et sans limitation dans le temps » . En cela, cette jurisprudence européenne rejoint une autre directive – et non des moindres – à savoir la directive « Propriété intellectuelle » du 29 avril 2004, selon laquelle « les mesures [ pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle] ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables » . Et les juges européens en ont même appelé à la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne signée le 7 décembre 2000 et devenue « force juridique obligatoire » depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en décembre 2009.
Oeuvres : pas de protection « absolue »
La CJUE a aussi mis les points sur les « i » des questions jurisprudentielles : « La protection du droit de propriété intellectuelle est certes consacrée [ par] la charte des droits fondamentaux de l’union européenne ( article 17, paragraphe 2). Cela étant, il ne ressort nullement de cette disposition, ni de la jurisprudence de la Cour, qu’un tel droit serait intangible et que sa protection devrait donc être assurée de manière absolue » ( CQFD). L’on retrouve ce passage éclairant aussi bien dans l’arrêt « Sabam » de novembre 2011 que dans celui de février 2012. Sauf à ce que l’europe se déjuge, il était dès lors inconcevable que la nouvelle directive « Droit d’auteur dans le marché unique numérique » intègre l’amendement de la France. Celui- ci, tout en supprimant toute référence à la directive « E- commerce » qui interdit toute obligation de surveillance générale du Net, a tenté de modifier l’alinéa en le formulant de la façon suivante : « L’obligation prévue à l’article 13 [ de lutte contre le piratage en ligne par les plateformes numériques, ndlr] ne doit pas amener les Etats membres à imposer quelconque obligation de surveillance qui n’ait pas été basée sur un contenu [ musique, film, série, ebook, jeu vidéo, etc., ndlr] identifié par les titulaires de droits » . La France avait justifié son correctif en ce que, selon elle, la référence à l’article 15 de la directive « E- commerce » n’est pas compatible avec l’article 13 paragraphe 3 du projet de directive « Droit d’auteur dans le marché unique numérique » . Celui- ci prévoit déjà que la responsabilité limitée des prestataires du Net ne s’applique pas en matière de protection des droits d’auteur : « Lorsqu’un prestataire de services de partage de contenu en ligne effectue un acte de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public, dans les conditions établies par la présente directive, la limitation de responsabilité établie à l’article 14, paragraphe 1, de la directive [ « E- commerce » ] ne s’applique pas aux situations visées par le présent article. Cela n’empêche pas l’application possible de l’article 14, paragraphe 1, de la directive [ « Ecommerce » ] à ces prestataires de services à des fins qui ne relèvent pas du champ d’application de la présente directive » . Pour autant, pas question de les obliger à mener un filtrage généralisé du Net. Cette volonté d’exclure les plateformes numériques de la responsabilité limitée conférée par la directive « E- commerce » – dès lors qu’il s’agit de lutte contre le piratage – a été l’un des chevaux de bataille de la France, poussée par son ministère de la Culture. Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique ( CSPLA), dont il dépend, milite de longue date – depuis le rapport « Sirinelli » ( 8) de novembre 2015 sur « l’articulation » des directives 2000/ 31 ( « Ecommerce » ) et 2001/ 29 ( « DADVSI » ) – pour une responsabilisation des hébergeurs pour lutter contre le piratage d’oeuvres protégées. Bref, les industries culturelles et leurs ayants droits ont presque eu gain de cause en obligeant – à l’échelon européen – les Youtube, Facebook et autres Dailymotion à filtrer tous les échanges de contenus musicaux, vidéos ou photographiques. Que de rebondissements autour de cet article 13 controversé, après que les eurodéputés aient d’abord rejeté le 5 juillet 2018 le projet de directive « Droit d’auteur dans le marché unique numérique » ( 9), puis après l’avoir ensuite adopté le 12 septembre sous une version légèrement amendé. Etaient alors notamment exclues de son champ d’application « les petites et micro- plateformes ou agrégateurs, afin d’encourager les start- up et l’innovation » ( 10). Cette exemption de l’obligation de filtrer les contenus pour les PME- TPE du numérique était une exigence de l’allemagne mais pas de la France.
Les petites plateformes et start- up épargnées
Finalement, lors d’un compris franco- allemand trouvé le 8 février en réunion du trilogue, cette disposition a été maintenue pour les entreprises cumulant trois critères : avoir moins de trois ans d’existence, générer un chiffre d’affaires de moins de 10 millions d’euros, atteindre un niveau d’audience de moins de cinq millions de visiteurs uniques par mois. Au moins cinq pays européens n’ont pas été convaincu de « l’avancée » que constituait cette réforme contestée. Rendez- vous au printemps pour le vote final. @