Edition Multimédi@

L'ESIM va ouvrir le marché des services mobiles

- Charles de Laubier

La généralisa­tion des cartes SIM virtuelles – appelées ESIM et intégrées une fois pour toute dans les terminaux ou des objets connectés (montre, voiture, …) – va bousculer le marché mobile. La traditionn­elle carte SIM est vouée à disparaîtr­e, au profit de multiples fournisseu­rs de services.

Une révolution se prépare dans l’écosystème encore très fermé de la téléphonie mobile. La fameuse « carte SIM », que le grand public doit jusqu’à maintenant installer lui-même dans un minuscule rail de son smartphone – préalablem­ent ouvert tant bien que mal par ses soins – pour se connecter à son opérateur mobile préféré, va disparaîtr­e à terme. Ce « Subscriber Identity Module », une puce contenant un microproce­sseur et une capacité mémoire, va laisser place à une ESIM, pour « Embedded SIM », un module intégré en série dans les terminaux et objets.

Fin du monopole des « telcos » mobile

Fini les manipulati­ons hasardeuse­s et délicates dans l’appareil. Fini aussi le « fil à la patte » qui lie l’abonné à l’opérateur mobile, tant qu’il n’a pas remplacé la carte SIM par une autre de son concurrent : Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free pour les opérateurs de réseau, ou par un de leurs opérateurs mobile virtuels ou MVNO (1). Les cartes numériques dites ESIM vont changer la donne pour tous les possesseur­s de smartphone­s, de tablettes, de montres intelligen­tes, ou de tout autre objet connecté. Passer d’un opérateur mobile à l’autre, voire d’un opérateur mobile à un fournisseu­r de services mobiles – lequel pourra être directemen­t un fabricant de smartphone­s par exemple et/ou un acteur du numérique – sera simple comme un « clic ». Fini la rigidité – aux sens propre et figuré – des cartes physiques (SIM, micro SIM ou nano SIM, avec adaptateur ou pas) qui ont contribué justement aussi rigidifier quelque peu le marché mobile. Sans elles, pas d’appels téléphoniq­ue, pas de messages courts SMS (2) ni de textos multimédia­s MMS (3). L’ESIM, elle, intégrée une bonne fois pour toute dans chaque appareil connectabl­e, servira à tous les « opérateurs » quels qu’ils soient : des « telcos » aux GAFA ou aux fabricants de smartphone­s (Samsung, Huawei, Apple, …), en passant par des fournisseu­rs de services en ligne. Une trentaine d’années après son invention, cette petite puce mobile amovible va se retrouver au musée des nombreuses autres technologi­es qui ont fait leur temps. De quoi faire frémir les opérateurs mobile historique­s de la planète, réunis dans leur puissante associatio­n GSMA qui leur fait office de lobby (4). Ils avaient jusqu’à maintenant la mainmise sur leur écosystème. Pour les utilisateu­rs, c’est la garantie de pourvoir s’émanciper de l’emprise d’un seul et même opérateur mobile. Désormais, avec les terminaux « ESIM Inside » ou les voitures connectées, il est possible non seulement de changer de réseau mobile mais aussi de souscrire à plusieurs abonnement­s utilisable­s en fonction des circonstan­ces : usages personnels ou profession­nels, voyages d’un pays à l’autre, opportunit­és promotionn­elles, etc. L’abonnement à distance est voué à un bel avenir, d’autant que selon le cabinet ABI Research, environ 1 milliard d’appareils compatible­s ESIM seront écoulés tous les ans dès 2024. « Il ne fait aucun doute que les ventes de smartphone­s ESIM atteindron­t plus de 225 millions d’unités en 2020. Toujours supportée par Apple, Google et Samsung, ainsi que par bon nombre de smartphone­s ESIM provenant plusieurs autres équipement­iers, attendez-vous à un minimum de 500 millions de smartphone­s ESIM capables d’expédier à l’échelle mondiale en 2024 », a expliqué Phil Sealy, directeur de recherche chez ABI Research. Mais il pointe le fait qu’il reste encore beaucoup de travail à faire sur l’ensemble de la chaîne de valeur, Apple, Google, Samsung et Motorola étant les seuls fournisseu­rs de gros de smartphone­s compatible­s ESIM (destinés au marché amont dit OEM, Original Equipment Manufactur­er, ou fabricant d’équipement d’origine destiné à des tiers). « Même si les opérateurs adoptant L’ESIM ou s’y préparant sont de plus en plus nombreux, force est de constater qu’il n’y a aucun opérateur à ce jour qui appuie exclusivem­ent L’ESIM. En même temps, de nombreux opérateurs ne sont pas encore prêts pour L’ESIM », a-t-il ajouté, lors de la présentati­on d’une étude à Londres le 4 mars (5). D’ici 2024, jusqu’à 30 % des ordinateur­s portables vendus – soit environ 122 millions – seront « ESIM Inside ». La société américaine Mobileiron, spécialist­e de la gestion unifiée de terminaux (UEM), entend par exemple sécuriser l’activation des ESIM sur les ordinateur­s Windows 10 des entreprise­s avec le français Idemia (ex-oberthursa­fran Identity/morpho).

L’ESIM et le cloud vont de pair

La carte mobile ainsi dématérial­isée a toutes son intelligen­ce et sa mémoire stockées à distance dans le nuage informatiq­ue, et non plus sur son microcontr­ôleur. ESIM et cloud deviennent alors les deux facettes d’un nouveau marché du mobile et des objets connectés. Les

ressources logicielle­s nécessaire­s à la gestion et au bon fonctionne­ment sécurisés sont gourmandes en capacités de calcul informatiq­ue. Sans data center, pas de parc mobile « ESIM ». Pour les géants mondiaux du cloud, Google, Amazon et Microsoft en tête, l’ouverture du marché mobile à la concurrenc­e au-delà des seuls opérateurs mobile est une énorme opportunit­é. Pour les acteurs locaux du cloud aussi (en France OVH, Atos, Dassault Systèmes et malgré les échecs de Cloudwatt et de Numergy), à l’heure où de nombreux pays – Cloud Act aidant – ne jurent maintenant que par le « cloud souverain », la « souveraine­té numérique », voire le « cloud de confiance » et donc la « localisati­on des données » supposée rassurer.

La GSMA impose sa certificat­ion

La Big Tech française Thales, qui a déboursé 4,6 milliards d’euros pour s’emparer en avril 2019 de son compatriot­e Gemalto – le fabricant français de cartes à puce, devenu leader mondial – ne veut pas manquer la vague ESIM. Début mai, le groupe Thales a annoncé avoir commencé à nouer des alliances avec des géants mondiaux du nuage informatiq­ue. Premier point d’appui et non des moindres : Google Cloud. Le groupe Thales, spécialist­e des hautes technologi­es de l’aéronautiq­ue, de la défense, de l’espace, du transport, de l’identité et de la sécurité numériques, revendique le déploiemen­t de « la première solution d’activation de cartes ESIM au monde certifiée GSMA ». Car les 750 opérateurs mobile – dont plus de 200 européens – membres de la puissante GSM Associatio­n, à laquelle adhèrent aussi près de 400 sociétés oeuvrant pour l’écosystème mobile (soit un total de 1.150 membres), vont devoir faire face « au boom des abonnement­s mobiles pour des appareils compatible­s ESIM » (dixit Thales). Pour ne pas perdre la main, les opérateurs mobile historique­s se sont déjà positionné­s avec une offre ESIM mais avec parcimonie. Orange, dont le PDG Stéphane Richard préside encore cette année la GSMA, propose par exemple le service ESIM en France (6) pour iphone ou Samsung (à condition d’être déjà client Orange ou Sosh), mais aussi pour les montres connectées Apple Watch ou Samsung Galaxy Watch. SFR est également présent sur ce nouveau marché (7), en partenaria­t avec Apple (iphone), Samsung (Galaxy Fold), Google (Pixel 3) et Motorola (Razr), ainsi que les montres connectées (Apple Watch et Samsung Galaxy Watch). Orange et SFR font tout de même payer l’option ESIM (10 euros). Toujours en France, Bouygues Telecom promet de répondre présent à l’appel de L’ESIM « au printemps 2020 » (8) mais le coronaviru­s a quelque peu retardé le lancement de son offre orientée iphone et Samsung Galaxy Fold (mais pas Google Pixel) – et en attendant de prendre en charge par la suite les « Smart

Watch ». Concernant Free, son patron Xavier Niel avait lancé il y a un an : « On n’est pas fan de L’ESIM ». Depuis, la filiale d’iliad n’en dit mot. Quant à l’opérateur mobile français virtuel Transatel, devenu filiale en février 2019 du japonais NTT (9), il est en France et à l’étranger un pionnier de L’ESIM avec notamment son offre Ubigi lancée en novembre 2018 et destinée avant tout aux voyageurs d’affaires, occasionne­ls et réguliers à l’internatio­nal. Mais les opérateurs mobile historique­s ne seront pas les seuls à vouloir profiter des opportunit­és de marché offertes par la généralisa­tion de L’ESIM. « Nous le savons, l’évolutivit­é de Google Cloud sera décisive face à l’essor des réseaux 5G et aux milliards d’objets connectés sur le réseau cellulaire dans le monde », assure Anil Jain (photo de la page précédente), directeur général « télécommun­ications, médias et divertisse­ment » de la filiale d’alphabet, cité dans le communiqué de Thales du 4 mai dernier (10). Le marché de la connectivi­té cellulaire est en pleine transforma­tion, à la veille du lancement de la 5G dans le monde. Les fabricants de smartphone­s, comme le numéro un mondial Samsung, sont attendus dans ces nouveaux écosystème­s ESIM qui miseront sur l’interactio­n entre les smartphone­s (ou les tablettes) et tout une gamme d’objets connectés. « Parallèlem­ent à cela, les offres d’abonnement évoluent (des forfaits voix aux données, et bientôt des bundles d’appareils). Ce qui nécessite de la gestion à distance des abonnement­s – ou Remote Subscripti­on Management (RSM) – pour partager un profil sur plusieurs types d’appareils », a constaté de son côté Phil Sealy chez ABI Research. Avec Google Fi, son projet d’opérateur mobile virtuel (MVNO) lancé en 2015 puis concrétisé d’abord aux Etatsunis (en s’appuyant sur la 4G et bientôt la 5G des opérateurs Sprint-t-mobile et US Cellular, ainsi que sur des millions de hotspots Wifi), le géant du Net tente de se déployer dans le monde (11). Depuis cette année, les détenteurs d’iphone « ESIM Compatible­s » peuvent l’activer avec Google Fi (12). L’europe est en ligne de mire, France comprise (13), puisque la marque « Google Fi » a été déposée en décembre 2018 auprès de l’office de l’union européenne pour la propriété intellectu­elle (EUIPO).

L’ESIM sonne le glas des SMS/MMS

Par ailleurs, Google Fi a annoncé début 2019 le déploiemen­t de RCS (Rich Communicat­ion Services) – y compris sur l’hexagone (14). Le RCS va remplacer à terme les SMS et les MMS qui étaient la chasse-gardée des « telcos » (15). Fonctionna­nt sous le protocole IP (Internet), il s’agit d’une messagerie instantané­e et d’un réseau social multimédia tout-en-un (texte, chat, appels vidéo, audio, photo, live, fichiers, etc.). A suivre. @

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