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Presse française : l'ex-orange va se payer les GAFA

- Charles de Laubier

de l’apig – sorte la presse française de l’ornière, secteur qui touche déjà plus de 800 millions d’euros par an d’aides d’etat. Environ 22 % de ce demi-milliard supplément­aire ont déjà été budgétés fin juillet dans les « mesures d’urgence », notamment par un crédit d’impôt de 30 % pour les abonnement­s à un journal d’informatio­n politique et générale (8), et les 78 % à venir seront étalés sur deux ans – « jusqu’en 2022 » – pour notamment, dit le gouverneme­nt, « accompagne­r les transition­s écologique et numérique du secteur ».

En plus des 800 M€ d’aides d’etat annuelles

Une partie de la rallonge de 483 millions d’euros passera par le ministère de la Culture et son Fonds stratégiqu­e pour le développem­ent de la presse (FSDP), dont « les crédits seront fortement augmentés pour un total de 50 millions d’euros » (contre 16,5 millions de dotation initiale), ainsi que par un plan de transforma­tion des imprimerie­s à hauteur de 18 millions d’euros par an. En outre, « une aide pérenne sera instaurée en faveur des services de presse en ligne d’informatio­n politique et générale, à hauteur de 4 millions d’euros par an », avait précisé le trio Macron-le Maire-bachelot (9). Dans la foulée de ce plan de secours additionne­l sans précédent en faveur de la presse française – donc en plus de presque 1 milliard d’euros d’aides d’etat annuelles –, le président de la République a promis à la filière en souffrance que « l’etat continuera de s’engager, au niveau national comme au niveau européen, pour la bonne applicatio­n du droit voisin des éditeurs de presse et pour une meilleure régulation du marché de la publicité en ligne ». Cela fera un an fin octobre qu’entrait en vigueur la loi française instaurant un droit voisin au profit des éditeurs de presse et des agences de presse (10). Avec ce premier texte législatif, la France ne manque pas une occasion de revendique­r être le premier pays des Vingt-sept à avoir transposé dans son droit national la directive européenne « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » (11). Elle prévoit des négociatio­ns entre, d’une part, les éditeurs et agences de presse qui peuvent autoriser ou interdire la reprise de leurs contenus, et, d’autre part, les plateforme­s numériques, en vue d’un « partage de la valeur ». Mais aussitôt que les discussion­s se sont ouvertes entre l’apig et Google en France, aussitôt elles se sont soldées par un échec. Sur ses moteurs de recherche (dont Google Actualités), le géant du Net veut remplacer les snippets (vignettes) affichant extrait, photo ou vidéo – pour les journaux qui n’acceptent pas la gratuité de cet aperçu – par quelques mots seulement. Les éditeurs français, eux, accusent Google de vouloir contourner l’esprit de la loi en ne voulant pas tous les rémunérer. Le point de blocage est là. Saisie en novembre 2019 par l’apig, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et l’agence France-presse (AFP), l’autorité de la concurrenc­e avait le 9 avril dernier ordonné à Google (12) de négocier « dans un délai de trois mois » avec la presse généralist­e. Google avait fait appel pour tenter d’annuler cette décision, sans que ce recours ait été suspensif du compte à rebours. Mais, à fin juilletdéb­ut août, les nouvelles négociatio­ns n’ont pas eu plus de succès que les précédente­s. En conséquenc­e, début septembre, l’apig, le SEPM puis L’AFP ont annoncé avoir chacun ressaisi le gendarme de la concurrenc­e pour « non-respect de l’injonction ». « Google n’a pas négocié de bonne foi [et] nous a proposé une extension des discussion­s, ce qu’on a refusé car celles-ci ont tourné en rond », a affirmé Fabrice Fries, PDG de L’AFP… dans une dépêche AFP. La balle est à nouveau dans les mains de l’autorité de la concurrenc­e, confortée par l’arrêt du 8 octobre qui condamne en plus Google « aux dépens et à payer » 60.000 euros répartis entre l’apig, le SEPM et L’AFP. Qu’il est loin le temps où une précédente associatio­n de la presse généralist­e, L’AIPG (13), pactisait avec Google en signant en grande pompe le 1er février 2013 à l’elysée – avec François Hollande – un accord pour créer en France un « fonds pour l’innovation numérique de la presse » (Finp) doté de seulement 60 millions d’euros sur trois ans. Une aumône (14). Le Syndicat de la presse indépendan­te d’informatio­n en ligne (Spiil) en critiqua la portée (15). Le « Digital News Initiative » (DNI) qui prit la suite du Finp, au niveau européen cette fois mais pour seulement 150 millions d’euros étalés sur trois ans (16), ne fit guère fait mieux. Parallèlem­ent au dialogue de sourds de cet été, l’apig annonçait le 30 juillet avec VG Media, la puissante société allemande de gestion collective des droits d’auteur et les droits voisins des médias outre-rhin (télévision, radio, presse, numérique), la cocréation d’« une nouvelle société de gestion collective, ouverte à tous les éditeurs de presse européens ». Ce projet franco-allemand a été salué par Emmanuel Macron. Pas de quoi, semble-t-il, impression­ner Google qui continue de raisonner mondialeme­nt malgré les exigences locales des éditeurs de presse en France, en Allemagne ou encore en Australie.

Google, Apple et Facebook ont « mauvaise presse »

Le PDG de Google (depuis plus de cinq ans), Sundar Pichai, qui est aussi le PDG de la maison mère Alphabet (depuis près d’un an), a mis sur la table le 1er octobre 1 milliard de dollars pour nouer des partenaria­ts avec des éditeurs de journaux du monde entier. « Cet engagement financier, notre plus important à ce jour (17), permettra aux éditeurs de créer et de sélectionn­er du contenu de haute qualité (…). Google News Showcase [« Vitrine d’actualités », ndlr] est un nouveau produit qui bénéficier­a à la fois aux éditeurs et aux lecteurs », a-t-il lancé sur son blog (18). Quelques journaux en Europe, tels que les allemands Der Spiegel, Stern, Die Zeit et le Handelsbla­tt, ou des britanniqu­es, ont déjà signé ce nouveau partenaria­t aux côtés de 200 autres publicatio­ns dans le monde. Sur un autre terrain, l’apig se bat – avec d’autres organisati­ons d’éditeurs de presse en Europe – contre Apple et ses 30 % de commission (19) que les éditeurs de presse jugent « excessivem­ent élevé, inéquitabl­e et discrimina­toire ». Prochaine cible : Facebook, comme en Australie.

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