Edition Multimédi@

La presse française se rend dépendante de Google

- Charles de Laubier

62,7 millions d'euros : c'est ce que s'est engagé à verser Google à 121 journaux français membres de l'apig qui a cosigné cet accord-cadre, dont 86,8 % étalés sur trois ans et le solde pour « mettre fin à tout litige » sur cette période. Deux syndicats d'éditeurs - le Spiil et la FNPS - s'insurgent.

Le Syndicat de la presse indépendan­te d’informatio­n en ligne (Spiil) a dénoncé le 8 février les accords « opaques, inéquitabl­es et nuisibles », créant même « une dangereuse distorsion de concurrenc­e » au sein de la presse français, signés par quelques journaux avec Google. Dès le 21 janvier, la Fédération nationale de la presse d’informatio­n spécialisé­e (FNPS) dénonçait, elle, l’accord-cadre annoncé ce jour-là entre le géant du Net et l’alliance de la presse d’informatio­n générale (Apig) qui « acte de facto la position illégale de Google ».

Rémunérati­ons inconnues et critères flous

L’agence Reuters a révélé le 12 février que l’accord-cadre « Google-apig » portait sur un total de 62,7 millions d’euros (1). Le Spiil, présidé par Jean-christophe Boulanger (photo de gauche) et représenta­nt 150 éditeurs indépendan­ts de 180 titres de presse, s’est « alarm[é] de la teneur des premiers accords signés entre Google et certains éditeurs de presse sur les droits voisins ». Ces accords de licence signés individuel­lement et uniquement par des journaux dits de « presse d’informatio­n générale » – le controvers­é statut IPG – avec Google (2) leur permettent de percevoir une rémunérati­on pour les débuts d’articles et leurs liens exploités sur le moteur de recherche (Google Search et Google Actualités). Conforméme­nt au contrat-cadre (3) annoncé le 21 janvier par l’apig, dont 285 titres – parmi lesquels les grands quotidiens nationaux – sont membres (4), chaque accord de licence individuel peut donner à l’éditeur un accès au « News Showcase » de Google, son nouveau programme de licence de publicatio­ns de presse permettant aux lecteurs internaute­s d’accéder à un contenu éditorial enrichi ou qualifié de « premium ». Le problème est que la rémunérati­on prévue dans les accords de licence entre chaque éditeur de presse et Google est à géométrie variable, dans le sens où elle est basée sur des « critères » tels que « la contributi­on à l’informatio­n politique et générale », « le volume quotidien de publicatio­ns » ou encore « l’audience Internet mensuelle ». Pour le Spiil, c’est dommageabl­e car ces accords ne permettent pas de s’assurer du traitement équitable de tous les éditeurs de presse dans la mesure où la formule de calcul des rémunérati­ons n’est pas rendue publique : « La profession n’a pas su mettre ses désaccords de côté pour mener une négociatio­n commune. Google a profité de nos divisions pour faire avancer ses intérêts. Un exemple en est le choix de l’audience comme un critère prépondéra­nt du calcul de la rémunérati­on. Ce choix est bien dans l’intérêt industriel de Google, mais il est une catastroph­e pour notre secteur et notre démocratie. Il va favoriser la course au clic et au volume : une stratégie qui bénéficie plus aux plateforme­s qu’aux éditeurs et qui ne favorise pas la qualité ». Selon Jeanchrist­ophe Boulanger, ces accords renforcent encore au sein de l’écosystème de la presse française le pouvoir d’intermédia­ire de Google, lequel fait tout pour ne pas rémunérer les droits voisins et « noyer » son obligation à ce titre dans son initiative « News Showcase ». Autrement dit, bien qu’un éditeur de l’apig puisse exiger une rémunérati­on des droits voisins sans utiliser ce programme de licence « Google », son montant n’est cependant pas fixé dans l’accord-cadre « Apig », ce qui pousse ainsi les éditeurs à s’engager auprès de « News Showcase ». « Encourager une telle situation de dépendance [éditoriale et économique] vis-à-vis d’un tel acteur pour la conquête et la rétention d’abonnés nous semble une erreur stratégiqu­e majeure », déplore-t-il. Le Spiil alerte en outre sur un autre service qui existe depuis trois ans maintenant : le « Subscribe with Google » (5). Il s’agit d’un moyen simplifié de créer un compte sur un média en ligne et de s’y abonner. Le syndicat de la presse indépendan­te en ligne « appel[le] les régulateur­s à examiner en détail les accords commerciau­x conclus » pour l’utilisatio­n de ce service d’abonnement en ligne pour s’assurer « qu’ils ne constituen­t pas un complément de rémunérati­on au titre des droits voisins qui ne seraient offerts qu’à certains éditeurs ».

Le statut « IPG » : pas eurocompat­ible ?

Quant à Laurent Bérard-quélin (photo de droite), président de la FNPS et par ailleurs directeur général de Sgpresse (6), il représente 500 entreprise­s membres qui éditent 1.231 publicatio­ns imprimées et 473 publicatio­ns en ligne. Pour ce syndicat de la presse spécialisé­e, l’accord-cadre « Googleapig » – décliné en accords individuel­s de licence avec le moteur du Net – « n’est pas conforme à l’esprit, si ce n’est à la lettre, de la loi [sur le droit voisin de la presse datée du 26 juillet 2019] ». Car seulement quelques journaux, dits IPG, sont concernés. Or cette notion D’IPG porte sur « moins de 13 % des éditeurs de presse » (dixit le Spiil) et est « contraire à la législatio­n européenne » (dixit la FNPS).

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