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Devenue en cinq ans la plus grande bourse mondiale de cryptomonn­aies, Binance mise sur la France

- Charles de Laubier

Binance, numéro un mondial des plateforme­s d'échange de cryptomonn­aies, s'est fait pirater début octobre. Le Sino-canadien Changpeng Zhao, son PDG cofondateu­r devenu milliardai­re, aurait sans doute rêvé meilleur événement pour les cinq ans de sa licorne. Qu'à cela ne tienne, il accélère et compte sur Paris.

Quand la plus grande plateforme mondiale d’échange de cryptomonn­aies se fait pirater, en plus du krach des bitcoin, ether, ripple et autres dogecoin de cet été, cela n’augure rien de bon dans l’esprit du public pour l’avenir des monnaies numériques. Surtout qu’elles sont censées être sécurisées et certifiées par leur blockchain, ces réseaux décentrali­sés, cryptés et capables d’authentifi­er la détention et les échanges d’actifs numériques. Ainsi, Binance – le numéro un mondial de cette finance décentrali­sée (Defi (1)) – s’est fait « hacker » dans la nuit du 6 au 7 octobre 2022. Le pirate a pu s’emparer de l’équivalent de 100 millions voire 110 millions de dollars sur le demimillia­rd de dollars que celui-ci comptait détourner en BNB (2), la cryptomonn­aie de Binance. Celle-ci fonctionne sur la blockchain Binance Smart Chain (BSC) depuis septembre 2020, après avoir été lancée comme token sur Ethereum il y a cinq ans, au moment du démarrage de la plateforme d’échange de cryptomonn­aies. Plus de peur que de mal pour cette licorne sans frontières – la start-up Binance n’est pas (encore) cotée mais elle est valorisée 300 milliards de dollars (3) – qui a réalisé l’an dernier plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires (4).

Piratage de Binance : deux « exploits » inquiétant­s

La cyberattaq­ue a été rapidement circonscri­te par la « suspension temporaire » de la blockchain BSC et la faille identifiée sur « un pont à chaînes multiples » (5). La majorité des fonds ont été « gelés », mais l’hackeur s’est évaporé dans le cyberespac­e avec au moins 100 millions de dollars dérobés. « Le problème est maintenant maîtrisé. Nous nous excusons pour les désagrémen­ts et nous vous fournirons en conséquenc­e d’autres mises à jour », a twitté le PDG de Binance, Changpeng Zhao (photo), le 7 octobre au petit matin (6). Cette déconvenue pour Binance laissera des traces, au-delà de la forte chute du cours du BNB qui fut au pire moment de - 7,5 % par rapport au niveau le plus haut du 6 octobre (7). Surtout

que ce n’est pas la première fois que Binance se fait pirater : un précédent « exploit » (8) s’est produit en mai 2019, avec un vol de 7.000 bitcoins d’un montant à l’époque de 40 millions de dollars (9). De tels incidents font désordre pour la plus grande bourse de cryptomonn­aies au monde en volume. Forte actuelleme­nt de ses 90 millions d’utilisateu­rs, la fintech des cryptos nourrit des ambitions planétaire­s sans précédent et son patron lance un véritable défi à tout la finance internatio­nale.

Un total de 1 milliard d’investisse­ments en 2022

Se surnommant « CZ », ce Sino-canadien (né et ayant grandi en Chine avant d’avoir la nationalit­é canadienne) a cofondé Binance il y a cinq ans à Singapour avec Yi He (photo ci-contre) – aujourd’hui directrice marketing (CMO) et depuis début août en charge aussi de l’incubateur Binance Labs gérant 7,5 milliards de dollars d’actifs (10). Malgré les embûches, la crypto-exchange continue d’aller de l’avant pour conforter sa place de leader, loin devant son rival Coinbase (11), qui est, lui, coté à la Bourse de New-york, au Nasdaq. La licorne de CZ est devenue le fleuron du « capitalism­e Web3 » et affiche déjà des pics d’activité impression­nants : jusqu’à 100 milliards de dollars échangés en 24 heures, soit jusqu’à 7.700 milliards dollars négociés sur une année ! De quoi donner le tournis, même aux plus aguerris du trading. Depuis 2018, CZ est milliardai­re et aujourd’hui – à 45 ans depuis le 10 septembre – sa fortune atteint (au 14-10-22) 17,4 milliards de dollars (12).

Dans un entretien à l’agence Bloomberg (13), publié le 7 octobre, CZ affirme que Binance pourrait dépenser sur l’ensemble de l’année 2022 plus de 1 milliard de dollars dans des acquisitio­ns et des investisse­ments. Le numéro un mondial de l’exchange de tokens veut faire des emplettes pour accroître ses activités dans la Defi, les NFT, le métavers, les jeux vidéo ou encore le e-commerce. Or, depuis janvier, seulement 325 millions de dollars ont été dépensés dans quelque 67 projets. Si le milliard était atteint, cela représente­rait sept fois les dépenses de l’année 2021. Et encore, cela ne prend pas en compte deux investisse­ments très en vue : le plus important est le projet de participer à la prochaine acquisitio­n de Twitter par Elon Musk, opération dans laquelle Binance prévoit d’injecter 500 milliards de dollars ; le second, déjà envisagé en février dernier mais reporté, consiste à investir 200 millions de dollars dans Forbes Media, l’éditeur américain du plus que centenaire magazine économique. Et ce, via une Spac (14) – sorte de « coquille vide » boursière permettant de lever des fonds en Bourse et baptisée Magnum Opus Acquisitio­n.

La participat­ion minoritair­e dans Twitter pourrait se concrétise­r dès que le patron de Tesla et de Spacex aura jeté son dévolu sur la firme à l’oiseau bleu. Concernant Forbes Media et son projet d’introducti­on en Bourse accompagné par Binance, lequel apportait aussi son expertise dans les cryptomonn­aie, la blockchain et le Web3 dans des contenus éditoriaux du célèbre titre (lu par 150 millions de personnes dans le monde), ce n’est que partie remise comme l’avait confirmé Forbes Media le 1er juin (15). Avec Coinmarket­cap, le site web d’informatio­n de référence sur les cryptomonn­aies et 543e site web le plus visité au monde avec 120 millions de visiteurs par mois (16), Binance a fait en avril 2020 sa première acquisitio­n de taille. A qui le tour ? « Binance Labs gère actuelleme­nt des actifs pour un total de 7,5 milliards de dollars, ce qui en fait la plus grande société de capital de risque en cryptoacti­fs de l’industrie », déclare l’incubateur qui finance plus de 180 projets liés au Web décentrali­sé (blockchain) et à la crytograph­ie. Autant de start-up dont certaines pourraient tomber dans son escarcelle. CZ se focalise notamment sur l’europe et plus particuliè­rement sur la France où il a déclaré lors du Paris Blockchain Week Summit (PBWS) le 13 avril 2022 : « We love France » ! Il y a annoncé vouloir investir 100 millions d’euros en France justement, dans le cadre de son projet « Objectif Lune » (Moon Objective) lancé en novembre 2021, avec la bénédictio­n de Cédric O, alors secrétaire d’etat chargé du Numérique, et le partenaria­t de l’incubateur de startup Station F créé par Xavier Niel (il y a cinq ans comme Binance). Et ce, au moment de la création de Binance France SAS domiciliée à Montrouge et présidée par David Prinçay. A l’instar de Binance US, l’entité distincte aux Etats-unis (BAM Trading Services Inc., enregistré­e dans le Delaware), la société française n’a pas de lien juridique avec Binance Asia Services (BAS) à Singapour. BAS a d’ailleurs dû fermer sa plateforme en février dans ce pays pour pivoter en hub de blockchain.

CZ avait indiqué au printemps qu’il avait choisi la France – à la crypto-régulation plus accueillan­te – comme « rampe de lancement pour l’europe » et en faire de l’hexagone « le coeur de la communauté crypto européenne ». CZ s’est ainsi « engag[é] à construire et soutenir un écosystème fort autour de la blockchain, du Web3 et des métavers » (17). Le mois suivant, le 4 mai dernier, Binance obtenait en France son statut de prestatair­es de services sur actifs numériques (PSAN), véritable sésame délivré par l’autorité des marchés financiers (AMF). De là à faire de Paris la domiciliat­ion de son futur siège social (européen ou mondial) voire la place financière de sa cotation en Bourse envisagée, il n’y aurait qu’un pas.

Paris, tête de pont pour l’europe voire le monde

La fintech du Web3 a franchi une étape supplément­aire durant la Binance Blockchain Week (BBW) qui s’est tenue à Paris mi-septembre dernier, où Changpeng Zhao a rencontré Jean-noël Barrot, le nouveau ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommun­ications (18). « Nous avons aujourd’hui 150 personnes à Paris et nous prévoyons d’en embaucher environ 200 autres d’ici la fin de l’année », a indiqué le Sino-canadien, plus francophil­e que jamais. Selon nos informatio­ns, un directeur général de Binance France pourrait être recruté d’ici la fin de l’année. Durant ce même BBW dans la capitale française, Binance s’est constitué un conseil mondial d’experts (Global Advisory Board), présidé par Max Baucus, ancien sénateur américain et ambassadeu­r en Chine. Le haut fonctionna­ire français Bruno Bézard, ancien directeur du Trésor à Bercy, en est un des membres. Après le crypto-krach du marché des cryptos, surnommé « l’hiver crypto », Binance – adoubé par la France – veut montrer pattes blanches aux régulateur­s financiers du monde entier. @

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