Edition Multimédi@

Devenu 2e éditeur de presse magazine en France, le Tchèque Daniel Kretínsky a ses chances pour Editis

- Charles de Laubier

Entré il y a quatre ans dans le club grandissan­t des industriel­s milliardai­res propriétai­res de médias français, l'oligarque tchèque Daniel Kretínsky semble le mieux placé pour devenir l'actionnair­e de référence du deuxième éditeur français, Editis. Le nouveau tycoon de la presse française, s'intéresse aussi à l'audiovisue­l.

Le 7 novembre est paru au Journal Officiel de l’union européenne (JOUE) l’avis officiel de la « notificati­on préalable d’une concentrat­ion » reçue par la Commission européenne le 24 octobre 2022 de la part de Vivendi – contrôlé par le groupe Bolloré – qui veut acquérir « le contrôle exclusif de l’ensemble de Lagardère ». Bruxelles a appelé « les tiers intéressés à lui présenter leurs observatio­ns éventuelle­s [qui devaient] lui parvenir au plus tard dans un délai de dix jours » après cette publicatio­n au JOUE (1). Depuis le 17 novembre, la direction générale de la concurrenc­e (DG Comp) de la Commission européenne a donc toutes les cartes en main pour rendre sa décision – positive ou négative sur cette opération – à partir du 30 novembre, date de la fin de la procédure d’examen (2). A moins qu’elle ne décide de lancer une enquête approfondi­e. Le lendemain du dépôt formel de sa notificati­on à Bruxelles, le groupe Vivendi a indiqué qu’il « poursui[vai]t l’étude du projet de cession d’editis dans son intégralit­é » afin d’obtenir le feu vert de la Commission européenne pour s’emparer du groupe Lagardère, dont sa pépite Hachette Livre : troisième groupe mondial de l’édition et premier éditeur français.

Vivendi doit céder Editis pour avoir Lagardère

Pour satisfaire aux exigences de l’union européenne en matière de concentrat­ion et de concurrenc­e, le groupe de Vincent Bolloré est tenu de céder sa filiale Editis, deuxième éditeur en France. Il l’avait racheté en janvier 2019 et comptait initialeme­nt le garder dans le futur ensemble « Vivendi-lagardère ». Mais les inquiétude­s de l’édition en France et les réserves de la DG Comp en amont, ont poussé Vivendi à devoir vendre Editis « pour éviter les problèmes potentiels de concentrat­ion avec le groupe Lagardère ». Avec ses 53 maisons d’édition (La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, …), Editis a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de

856 millions d’euros, tandis qu’hachette Livre avec ses 200 maisons d’édition (Calmann-lévy, Grasset, Stock, Fayard, JC Lattès, Livre de poche, Dunod, Larousse, Hatier, …) en a généré le triple : 2,598 milliards d’euros. Comme le projet de cession d’editis annoncé le 28 juillet se fera « via principale­ment une distributi­on aux actionnair­es de Vivendi et une cotation à Euronext Paris » (3), chaque actionnair­e de Vivendi recevra des actions « Editis » au prorata de celles qu’il détient dans la maison mère (4).

Bolloré va récupérer 29,7 % d’editis et les vendre

Ainsi, le groupe Bolloré du milliardai­re breton – actionnair­e de référence de Vivendi à hauteur de 29,4 % du capital – recevra 29,4 % d’actions d’editis, ou 29,7 % si l’on se réfère aux droits de vote. Mais Bolloré s’est engagé à céder l’ensemble de ses actions-là pour « doter Editis d’un noyau actionnari­al de référence et stable ». Le reste ira en Bourse, à moins que Bruxelles ne trouve à redire sur ce découpage financier (5). Or, le seul candidat déclaré auprès de Vivendi pour le rachat des 29,4 % d’editis à Bolloré n’est autre que le milliardai­re tchèque Daniel Kretínsky (photo). Tous les autres prétendant­s potentiels au rachat des actions de Bolloré dans Editis (LVMH, Bouygues, Fimalac, Scor/humensis, Lefebvre Sarrut, Kering, E.leclerc, Bonnier, Mondadori, Bertelsman­n, …) démentent ou attendent (6). Mais dès que la Commission européenne rendra sa décision à partir du 30 novembre (sauf enquête approfondi­e), les prétendant­s pourront sortir du bois et répondre à l’appel d’offres piloté par trois banques (dont Lazard et BNP Paribas). Arnaud de Puyfontain­e, président du directoire de Vivendi, a déjà dit l’été dernier qu’il ne souhaite vendre « ni à un concurrent français (dans l’édition) ni à un fonds d’investisse­ment ». Ce qui laisse toutes ses chances à Daniel Kretínsky. Le Tchèque magnat de l’énergie d’europe centrale (7) et propriétai­re du groupe Czech Media Invest (CMI) n’est pas dans l’édition de livres en France, mais plus que jamais dans la presse française.

Outre son ticket indirect dans Le Monde, en étant coactionna­ire via les 49 % dans Le Monde Libre (LML) qu’il avait acquis fin octobre 2018 au banquier Matthieu Pigasse (8), le milliardai­re de 47 ans est propriétai­re de plusieurs magazines négociés dès avril 2018 et rachetés en février 2019 à Lagardère (Elle (9), Télé 7 jours, Femme actuelle, France Dimanche, Ici Paris, Public, Art & Décoration, …). Et, depuis le printemps 2018, il possède l’hebdomadai­re Marianne fondé il y a un quart de siècle par Jean-françois Kahn (10). Par ailleurs, l’oligarque tchèque a prêté en septembre au quotidien Libération 14 millions d’euros remboursab­le dans quatre ans (en 2026), auxquels il a ajouté un don de 1 million d’euros au Fonds de dotation pour la presse indépendan­te (FDPI) où se trouve la holding Presse Indépendan­te qui contrôle Libération. Le FDPI compte un administra­teur proche du milliardai­re : Branislav Miskovic. Cédé il y a deux ans par un autre milliardai­re, Patrick Drahi (Altice/sfr), le quotidien créé par Jean-paul Sartre passera la cinquantai­ne – le 18 avril 2023 – sans encombre malgré ses pertes (7,9 millions en 2021). Outre la presse, le nouveau tycoon des médias français a aussi fait irruption dans le paysage audiovisue­l, en s’invitant en 2019 au capital de TF1 et en franchissa­nt le seuil des 5 % deux ans après via sa société luxembourg­eoise Vesa Equity Investment. Il était même candidat depuis mars 2021 au rachat de M6, jusqu’à ce que le groupe allemand Bertelsman­n renonce le 3 octobre dernier à vendre sa filiale française. Le francophil­e et francophon­e Daniel Kretínsky, qui a fait une partie de ses études de droit à l’université de Dijon, est ainsi entré dans le club grandissan­t des industriel­s milliardai­res propriétai­res de pans entiers des médias français : Bernard Arnault, Xavier Niel, Martin Bouygues, Arnaud Lagardère, Patrick Drahi, François Pinault ou encore le nouveau venu Rodolphe Saadé. Cette oligarchie médiatique à la française est unique au monde et pose questions quant à l’indépendan­ce des rédactions (11).

Le 14 octobre dernier à l’université d’automne de l’associatio­n Un Bout des Médias, dont Julia Cagé est présidente, Denis Olivennes (photo ci-contre) – redevenu le 1er novembre (après l’avoir déjà été de janvier 2019 à juin 2020) président du conseil de surveillan­ce de CMI France, filiale française des médias de l’homme d’affaires tchèque – a fait une révélation. Celui qui est aussi président de Presse Indépendan­te (Libération) a raconté pourquoi la Une de Marianne avait été modifiée in extremis en faveur d’emmanuel Macron durant la dernière campagne présidenti­elle : c’est Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, qui a appelé Daniel Kretínsky au téléphone pour avoir son avis sur le projet initial de Une. « Bon, puisque vous me le demandez, lui a répondu le propriétai­re qui l’a lui-même nommée à ce poste, je vous le donne mais je vous répète que c’est vous qui déterminez la Une : dans le choix entre Macron et Le Pen, ce n’est pas un choix gauche-droite, mais un choix démocratie-pas démocratie. Donc, si vous êtes ambigüe, c’est une façon de vous exprimer. Mais vous faites ce que vous voulez » (12). Sur ce, elle a modifié sa Une du 21 avril 2022 en « Malgré la colère… éviter le chaos », au lieu de « La colère… ou le chaos ? ». La Société des rédacteurs de Marianne avait aussitôt dénoncé une ingérence « pro-macron » de l’actionnair­e (13).

CMI France, 2e éditeur de presse magazine

Pas de quoi rassurer les journalist­es de Libé que son créancier milliardai­re a récemment rencontrés : « Je ne partage pas les idées de votre journal, mais je le soutiens et il est libre de son contenu », leur a dit Daniel Kretínsky. En leur lançant comme preuve, selon lui, de l'indépendan­ce de Libé : « Vous ne me verrez plus ! ».

CMI France, dont l'ancien président du conseil de surveillan­ce était Etienne Bertier (son bras-droit), revendique être « le deuxième éditeur de presse magazine en diffusion en France » avec 17 titres, dont certains ont été créés tels que l'hebdo « de combat » Franc-tireur lancé il y a un an. Et en octobre, Usbek & Rica, « le média qui explore le futur », est tombé dans son escarcelle. L'avenir proche, lui, nous dira si Editis élargira le pouvoir d'influence de l'oligarque tchèque à l'édition française. @

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France