Edition Multimédi@

Jeux d'argent et de hasard : la France est appelée à lever la prohibitio­n des casinos en ligne, d'ici 2025 ?

- Charles de Laubier

L'autorité nationale des jeux (ANJ) a publié début décembre une étude sur l'offre illégale en France de jeux d'argent et de hasard en ligne, afin de lutter contre de manière plus efficace. Mais en creux, l'ouverture des casinos en ligne – déjà autorisés dans la plupart des pays européens – est en réflexion.

Quinze ans après l’ouverture à la concurrenc­e – en 2010 – du marché des jeux d’argent et de hasard, soit en 2025, la France légalisera-t-elle enfin les casinos en ligne comme la plupart de ses voisins européens ? A défaut de pouvoir miser légalement en ligne à la roulette, au jeu de dés, au baccara, au blackjack ou encore aux machines à sous sur l’hexagone, les spéculatio­ns vont bon train sur le moment où leur prohibitio­n sera levée. Et ce, avec ou sans l’abolition du monopole français des « casinotier­s » physiques (Barrière, Partouche, Joa, Tranchant, Cogit, …).

Leurs syndicats Casinos de France et ACIF (1) militent pour obtenir l’exclusivit­é d’opérer les casinos en ligne qui seraient le pendant digital de leurs établissem­ents en dur. Casinos de France porte ainsi depuis 2019 – et plus encore depuis la pandémie de covid durant laquelle les casinotier­s ont dû fermer neuf mois au total – un projet que ce syndicat appelle « Jade », pour « Jeu à distance expériment­al ». « La solution qui consistera­it à ouvrir à la concurrenc­e les jeux de casino en ligne serait toxique pour les casinos terrestres. Pour éviter cela, il faut relier les casinos en ligne aux casinos physiques », explique à Edition Multimédi@ Philippe Bon, délégué général de Casinos de France. Ses voeux seront-ils exhaussés le 25 janvier prochain lors de la présentati­on du plan stratégiqu­e 20242026 de l’autorité nationale des jeux (ANJ) ?

Des tentatives législativ­es sans résultat

Cette idée de régulation expériment­ale des casinos en ligne « réservés » aux seuls casinotier­s fait son chemin, depuis que le projet Jade a été présenté à L’ANJ, régulateur français des jeux d’argent et de hasard en ligne ouverts à la concurrenc­e, que préside depuis juin 2020 Isabelle Falque-pierrotin (photo). Pas moins de quatre amendement­s ont d’ailleurs été déposés dans ce sens au Sénat dans le cadre du projet de loi visant à « sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN), mais ils

ont été déclarés « irrecevabl­es » début juillet. A l’assemblée nationale, une propositio­n de loi « Autoriser les exploitant­s de casinos à proposer des jeux de casino en ligne » a aussi été déposée le 23 mai 2023 mais elle est toujours en attente à la commission des lois (2). De plus, deux amendement­s ont été adoptés par les députés le 13 octobre pour maintenir les casinos en ligne dans l’illégalité.

La balle dans le camp du gouverneme­nt

« Nous n’avons pas été saisis pour avis sur la question de la légalisati­on des jeux de casinos en ligne », nous indique L’ANJ. Dans le cas d’une ouverture, trois options se présentera­ient au ministère de l’intérieur, la tutelle des casinotier­s : soit les casinos terrestres obtiennent l’exclusivit­é des casinos en ligne, soit les jeux de casino en ligne sont ouverts à la concurrenc­e – comme le souhaitent l’afjel (3) en France et, dans son communiqué du 5 décembre (4), L’EGBA (5) en Europe –, soit la Française des Jeux (FDJ) en obtient le monopole (un de plus). La balle est dans le camp du gouverneme­nt.

C’est en septembre 2022 que L’ANJ se décide à faire réaliser une étude sur l’audience de l’offre illégale des casinos en ligne en France, mesurer l’impact de la fraude et évaluer les effets d’une « levée de leur prohibitio­n ». Car seuls sont ouverts à la concurrenc­e en France : les paris sportifs en ligne, le poker en ligne et les paris hippiques en ligne. Les casinos en ligne, eux, restent interdits. Trois monopoles perdurent sur l’hexagone : les loteries en dur et en ligne ainsi que les paris sportifs en dur proposés uniquement par la FDJ ; les paris hippiques en dur réservés exclusivem­ent au PMU (Paris mutuel urbain) ; les jeux de casino et les machines à sous autorisés uniquement dans l’un des plus de 200 casinos physiques tenus par des sociétés privées délégatair­es de service public communal.

Si la France décidait d’ouvrir le marché aux casinos en ligne, « un système de licences pourrait être ouvert (comme en Suède et au Danemark) ou réservé aux opérateurs disposant déjà d’un établissem­ent physique (comme en Suisse, en Belgique et en Slovénie), voire à un opérateur de droits exclusifs (Autriche, Luxembourg, et Norvège) », a considéré en septembre dernier la Cour des comptes dans son rapport sur les jeux d’argent et de hasard (6). La France et Chypre sont les seuls pays de l’union européenne à interdire les casinos en ligne. Tous les autres Etats membres ont franchi le pas sous différents régimes. Un vrai patchwork, bien loin de l’idée que l’on se fait du marché unique numérique…

La Cour des comptes avait relevé que « selon L’ANJ, [la libéralisa­tion des casinos en ligne] pourrait assécher une partie de l’offre illégale, à l’instar de l’ouverture à la concurrenc­e en 2010 ». En publiant le 4 décembre 2023 son « étude sur l’offre illégale de jeux d’argent et de hasard en ligne accessible en France », réalisée par le cabinet britanniqu­e PWC (7), le régulateur français des jeux d’argent se met implicitem­ent dans la perspectiv­e d’une autorisati­on à terme des casinos en ligne. L’ANJ a voulu savoir si cette ouverture du marché français aux casinos en ligne pourrait porter préjudice aux établissem­ents physiques des casinotier­s. Car les Barrière, Partouche (8) et autres Joa craignent les conséquenc­es économique­s de cette ouverture possible sur l’emploi dans leurs casinos en dur et sur le financemen­t des communes (via une fiscalité locale) où ils sont établis sous forme de monopole. Ce qui constitue pour les villes à casino « une rente de situation », selon la Cour des comptes (9).

Or l’étude « PWC » de L’ANJ tend à démontrer que les inquiétude­s des casinotier­s sont non-fondées : « En cas de légalisati­on des casinos en ligne en France, la majorité des joueurs interrogés déclare qu’elle garderait ses habitudes de consommati­on dans les casinos terrestres ». Ainsi, les joueurs de casino terrestre sont 60 % à déclarer qu’ils continuero­nt à aller jouer dans des casinos terrestres sans changer leur habitude de consommati­on, et même 16 % disent qu’ils iront plus souvent jouer dans ces casinos terrestres. Seulement 8 % des joueurs arrêteraie­nt de jouer dans des casinos physiques.

Reste à savoir si L’ANJ suggèrera au gouverneme­nt et au législateu­r d’aller dans le sens des casinotier­s, en leur accordant une exclusivit­é sur les casinos en ligne, ou estce qu’elle ira dans le sens de l’ouverture à la concurrenc­e des casinos en ligne – à l’instar de ce qui a été fait il y a treize ans avec les paris sportifs en ligne, le poker en ligne et les paris hippiques en ligne (10).

Légaliser les casinos en ligne, et éventuelle­ment les ouvrir à la concurrenc­e, aurait deux avantages :

• Donner un coup de frein au marché illégal. En France, sur les 1.241 sites Internet illégaux identifiés en 2023 de jeux d’argent et de hasard en ligne, les casinos en ligne en représente­nt près de la moitié : 45 %, selon l’étude PWC pour L’ANJ. Les consommate­urs de jeux illégaux sont principale­ment des hommes de moins de 35 ans privilégia­nt les jeux de casino en ligne. Au total, les jeux de casino en ligne illégaux génèrent sur Internet 5 % du trafic de l’ensemble des jeux d’argent en ligne. Et sur les 106 applicatio­ns mobiles de jeux d’argent et de hasard en ligne, les casinos en ligne dominent l’offre illégale : 65 %.

Les casinos en ligne, relais de croissance

• Accélérer la croissance des jeux d’argent en ligne. Dans les six pays étudiés par l’étude PWC (Belgique, Suède, Espagne, Irlande, Italie et Norvège), la croissance de leur marché des jeux d’argent et de hasard en ligne est portée, au cours de ces dernières années, par le segment des jeux de casino en ligne – intégrant les machines à sous en ligne. Par exemple, en Belgique, le casino en ligne arrive en tête des jeux d’argent et de hasard en ligne. @

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