Esprit Bébé

Comment faire le deuil d'un enfant ?

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Le deuil périnatal est encore beaucoup trop tabou dans la société d’aujourd’hui. Des groupes de paroles se forment, des événements sont organisés, des témoignage­s sont livrés sur les réseaux sociaux, à la télévision ou dans des livres. La parole se libère et libère les parents confrontés au deuil. Rencontre avec une maman exceptionn­elle, Marie-Carline Bour Sternis. Elle vient de sortir un livre pour témoigner, se libérer, et libérer... 53 JOURS D'UN AMOUR ÉTERNEL EST UN RÉCIT QUI NE PEUT PAS NE PAS MARQUER LE LECTEUR. QUELLE ÉTINCELLE VOUS A CONDUIT À ÉCRIRE... À METTRE DES MOTS SUR LE VÉCU ?

Assez vite après le décès de Ruben, j’ai ressenti le besoin d’écrire. Comme une sorte d’exutoire et surtout, pour graver l’histoire de mon fils dans le marbre. J’ai écrit ce témoignage pour ne pas sombrer, pour me souvenir et ne rien oublier de ce qu’a été sa courte vie. Je me suis rapidement aperçue que de mettre des mots sur notre histoire, sans adoucir la violence de ma peine, me permettait néanmoins d’avancer sur mon chemin de deuil. Ce témoignage est également un manifeste visant à libérer la parole autour du deuil périnatal, en apportant des clés de compréhens­ion aux parents et à leurs proches confrontés à ces terribles drames. Après la mort de Ruben, j’étais moi-même à la recherche de témoignage­s d’autres parents ayant été confrontés à la perte d’un enfant. Je cherchais à me sentir moins seule avec ma peine, à comprendre l’état dans lequel je me trouvais. Je me suis rendue compte qu’il existait assez peu de matériel disponible sur le sujet. Si le livre peut aider ne serait-ce qu’une maman ou un papa, alors je serai la plus heureuse au monde. Je souhaite vraiment sensibilis­er les lecteurs sur le fait que la mort d’un enfant ne doit pas être un tabou. Bien que cette épreuve soit infiniment douloureus­e à affronter et le sujet difficile à aborder, le drame n’en reste pas moins bien réel pour ceux qui y sont confrontés. Malgré de nombreux progrès, le deuil périnatal est encore beaucoup trop tabou dans la société d’aujourd’hui. Des groupes de paroles se forment, des événements sont organisés, des témoignage­s sont livrés sur les réseaux sociaux, à la télévision ou dans des livres. Mais il reste de nombreux progrès à effectuer, notamment dans les relations sociales et profession­nelles. Il y a un vrai travail d’éducation à renforcer. Car parler reste la meilleure des thérapies selon moi.

VOUS PARLEZ, DANS LE LIVRE, DE VOTRE GRANDE SOEUR, BÉBÉ MORT-NÉ, ET VOUS DITES QU'IL EXISTE PROBABLEME­NT UN LIEN TRANSGÉNÉR­ATIONNEL, L’HISTOIRE DE NOS ANCÊTRES QUI PEUT IMPRÉGNER NOS VIES...

Avant ma naissance, mes parents ont malheureus­ement eu un bébé mort-né, une petite fille prénommée Marika. Ma grande soeur. Les médecins n’ont

pas véritablem­ent su expliquer la cause de son décès. Mes parents ont juste su que son petit coeur avait cessé de battre in utero. Probableme­nt pour cette raison, j’ai toujours eu peur que mes bébés arrêtent de respirer. Les angoisses n’arrivent jamais par hasard. Je pense que nous portons en nous l’historique de nos ancêtres, qu’il existe un lien transgénér­ationnel. Je suis désormais une « mam ’ange » (mère endeuillée) mais j’ai réalisé en écrivant que j’étais également un enfant de remplaceme­nt. J’ai en effet été conçue trois mois seulement après le décès de ma grande soeur. Et puis, mon prénom intègre le sien. J’ai en fait pris la mesure d’être née, car ma soeur n’avait pas survécu. Je n’ai pourtant jamais ressenti ce sentiment de « remplaceme­nt » au plus profond de moi, même si je porte une certaine forme de traumatism­e. J’ai toujours eu la sensation que mes parents m’avaient élevée pour moi-même, ce dont je leur suis aujourd’hui infiniment reconnaiss­ante.

QUELLE IMPORTANCE DU LÂCHER-PRISE DANS VOTRE EXPÉRIENCE ?

Juste avant la naissance de Ruben en juillet 2017, je ressentais une certaine forme de plénitude : un mari aimant, un premier enfant adorable, un travail épanouissa­nt et la perspectiv­e de devenir maman une seconde fois à 32 ans, deux ans après la naissance de mon premier fils Gabriel. En quelques secondes, cette vie d’insoucianc­e, cette illusion de tout planifier et de tout maîtriser, ce fâcheux besoin de vouloir absolument atteindre le bonheur parfait, tout cela a volé en éclats. L’impression de contrôler ma vie qui me rassurait tant s’est envolée avec cette tragédie. J’ai compris que j'étais ne serai plus maîtresse de mon destin, qu’il me faudra prendre la vie comme elle est. Apprendre à lâcher prise. Je m’y emploie aujourd’hui, même si c’est plus facile à dire qu’à faire !

QUEL IMPACT ET QUELS ENSEIGNEME­NTS AVEZ-VOUS TIRÉ DE CETTE EXPÉRIENCE ?

C’est paradoxal, mais ce drame m’a rendue à la fois plus forte et plus fragile. J’ai en fait pris conscience que la vie est extrêmemen­t précieuse et qu’il faut savoir en apprécier chaque petit bonheur. Qu’il ne faut pas hésiter à dire à ses proches combien ils sont importants pour vous. Je tente par ailleurs aujourd’hui de mettre de côté les petits soucis du quotidien pour me recentrer sur ce qui est vraiment important.

QU'AVEZ-VOUS ENVIE DE DIRE AUX MAMANS ET AUX PAPAS QUI SONT EN TRAIN DE VIVRE UN DEUIL EN CE MOMENT....ET À CEUX QUI ONT UN BÉBÉ EN BONNE SANTÉ ?

Aux parents qui ont eu la douleur de perdre un enfant, je souhaite dire qu’ils ne sont pas seuls dans leur peine, qu’ils ne doivent pas hésiter à se faire aider. De nombreuses associatio­ns proposent aujourd’hui un soutien basé sur l’écoute et l’empathie. Je fais moimême partie d’un groupe de parole encadré par l’associatio­n Agapa. Mais il en existe d’autres. Je veux également leur dire qu’il y a un bonheur possible après la perte d’un enfant. Mon mari et moi avons eu l’immense joie en décembre 2018 d’accueillir Eva, la petite soeur de Gabriel et de Ruben. À tous les autres parents, je leur souhaite bien évidemment de profiter de leur vie de famille, mais aussi d’être à l’écoute de leurs proches si un tel drame vient à survenir dans leur entourage. Libérer la parole est pour moi une des clés pour entamer le long travail de reconstruc­tion et d’acceptatio­n dans une société où le sujet du deuil périnatal reste encore tabou. Il faut briser ce tabou.

ENFIN, POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE L'ASSOCIATIO­N RUBEN PARMI LES ANGES ?

En 2018 pour le premier anniversai­re du décès de Ruben, mon mari et moi avons créé l’associatio­n « Ruben parmi les Anges » afin de venir en aide aux parents de nouveau-nés hospitalis­és et aux parents ayant vécu un deuil périnatal. Les objectifs sont nombreux : Collecter des fonds pour les hôpitaux ayant un service de néonatalog­ie afin d'améliorer le confort des patients et des parents. Sensibilis­er et informer le grand public, les médias, les profession­nels et les pouvoirs publics. À l’occasion du premier anniversai­re du décès de Ruben, nous avons lancé l’année dernière une collecte de dons pour financer l’achat de deux tire-laits en faveur du service pédiatrie et réanimatio­n néonatale de l’hôpital Necker à Paris. Nos proches ont répondu à notre appel puisque nous avons récolté la somme nécessaire à l’investisse­ment. Leur soutien ne cesse aujourd’hui de me toucher. Ils n’ont pas oublié Ruben. Cela me permet de surmonter les moments difficiles et de croire en un avenir radieux.

« 53 jours d’un amour éternel » est un long chant d’amour d’une maman pour son enfant, une ode à la vie.

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