LE CHANGEMENT, ICI ET MAINTENANT
Dépassant les clivages, des hommes et des femmes toujours plus nombreux s’investissent pour bâtir un monde meilleur. Tour d’horizon de six initiatives citoyennes.
d Dans son dernier livre Nouvelle réalité1, le Dalaï-lama exhorte à une prise de conscience de nos interdépendances. Nous sommes tous reliés. Relevez un coin de la toile, et c’est l’ensemble du tissu qui se plisse et se déséquilibre. Les événements de ces dernières années, événements climatiques extrêmes, interconnexion des marchés économiques, déstabilisation des sociétés, conflits2, viennent illustrer cette intuition bouddhiste. Ainsi, chaque énergie insufflée en faveur du collectif, chaque geste, seront des efforts en moins, demain, pour renflouer les services médicaux, l’aide sociale et la sécurité policière. Chaque petit geste compte.
ALTERNATIBA : TROQUER LA PEUR CONTRE LA JOIE
Né en 2013 à Bayonne, parrainé par Stéphane Hessel, Alternatiba est un mouvement citoyen qui agrège toutes les personnes engagées au sein de collectifs pour la transition, comme les Colibris, les villes en transition et d’autres associations environnementales. L’objectif du mouvement est de mettre en pratique les alternatives en matière de justice sociale, d’éducation, d’énergie, de transport. « Nous voulons montrer que des solutions existent grâce à l’organisation de villages citoyens réunissant un maximum d’alternatives. Nous proposons des kits de mobilisation : comment organiser un appartement témoin écologique ou proposer un "village des alternatives" sur son territoire ? 120 villages des alternatives ont vu le jour depuis 2013. Chez Alternatiba, l’engagement se conjugue avec le plaisir et la joie. « Seule la joie de vivre est une source d’énergie suffisante pour s’opposer à la peur, dans une économie organisée sur la peur du manque, et permet d’augmenter la capacité à s’organiser » argumente le philosophe Patrick Viveret. Il est toujours surprenant de constater avec quelle facilité certaines ONG indiennes conduites par des maîtres spirituels, telles que Embrace the World d’amma ou l’art de Vivre avec Sri Sri Ravi Shankar, parviennent à mobiliser les énergies et oeuvrer pour des projets humanitaires d’envergure.
CHANGE.ORG : DES PÉTITIONS POUR MOBILISER LES CONSCIENCES
« En 2012, en France, le site comptait 60 000 utilisateurs. Aujourd’hui, on en dénombre 8 millions », observe Sarah Durieux, directrice de campagne pour Change.org, site internet qui accompagne ses membres dans leurs campagnes de pétition en ligne. D’après elle, l’intérêt des citoyens pour la politique reste vif : « On évoque souvent la baisse d’intérêt des Français pour la politique, nous constatons plutôt un mouvement de re-politisation en direction de la vie locale ». Parmi les sujets les plus populaires sur le site : l’éducation, la santé, l’accessibilité pour les handicapés. La France serait ainsi le cinquième pays comprenant le plus grand nombre de lanceurs de pétition dans le monde, après l’angleterre et la Russie. « Notre travail, en tant que facilitateur, est de donner envie d’agir grâce à des exemples concrets, c’est de l’empowerment ». En français, cela signifie faire naître la conscience de notre pouvoir et croire en notre capacité d’action : le changement commence d’abord dans la tête. Bref, se sentir concerné est une clef du changement. www.change.org
CHRYSALIDE, DYNAMIQUE : DES ÉCOLES MAIS AUSSI DES PROJETS DE SOCIÉTÉ
Dans le sud de la Gironde, à Captieux, une nouvelle école a vu le jour. Ses fondateurs sont des citoyens, à l’instar de Marc Milgram pour qui « fonder une école est la démonstration que les citoyens ont la capacité et les compétences d’agir, aussi dans le domaine de l’éducation ». L’école La Chrysalide a vu le jour en septembre 2015 après deux années de préparation, inspirée par les Colibris — le mouvement lancé par Pierre Rabhi — par la communication non-violente et par le projet des Villes et Territoires en Transition, initié par Rob Hobkins. Marc Milgram estime que « l’école n’est pas qu’une pédagogie, mais un projet de société. L’impact d’une école est aussi important sur les acteurs directs, enfants, parents, que sur le plan local. Nous attachons aussi beaucoup d’importance au savoir-être.
Les relations entre les personnes sont prioritaires ».
Pour autant, le cofondateur reste pragmatique. S’il avait un conseil à donner, ce serait celui de « ne pas oublier la dimension entrepreneuriale d’un tel projet : les coûts de fonctionnement, le salariat … Nous sommes des entrepreneurs ».
À Paris, dans le 14è, la rentrée 2016 a vu s’ouvrir une École Dynamique, inspirée de l’expérience réalisée dans l’école démocratique de la vallée verdoyante de Sudbury, dans le Massachussetts, aux Étatsunis. Cette école repose sur un modèle purement démocratique. Les enfants sont totalement libres de leur programme, différents âges sont mêlés et les décisions sont prises en commun. Ramin Farhangi est à l’origine du projet de l’école Dynamique. Ancien professeur de mathématiques reconverti après une carrière de consultant, il fait l’expérience dans sa classe de collège de la pratique de l’autonomie. Il constate vite les bénéfices de cet apprentissage libre. Il observe qu’en « s’accordant du temps, sans pression, dans l’absence de productivité, peuvent se réveiller nos intérêts profonds. De ce type d’apprentissage provient la réelle efficacité ». En un an, Ramin Farhangi parvient à regrouper des parents intéressés via les réseaux sociaux. L’école Dynamique voit le jour en septembre 2016. www.creer-son-ecole.com www.ecole-dynamique.org Vidéo en français sur l’école de Sudbury disponible sur Youtube
AQUARIUS : UN BATEAU POUR LES NAUFRAGÉS
En Méditerranée, l’axe entre la Lybie et l’italie est la route migratoire la plus dangereuse du monde. Les réfugiés originaires d’afrique de l’ouest sont tassés sur des bateaux pneumatiques avant d’être abandonnés par leurs passeurs, sans vivres et sans combustible suffisant pour atteindre les côtes italiennes. Désespéré d’assister impuissant aux naufrages de réfugiés abandonnés par leurs pas-
seurs, le capitaine allemand Klaus Vogel, avec le soutien d’un petit groupe de citoyens, décide d’affréter un navire pour lancer des opérations de sauvetage. Un acte citoyen exceptionnel qui demande du courage. Après une campagne de financement réussie sur un site de crowdfunding, un bateau, l’« Aquarius », est prêt pour secourir les migrants de la noyade en lien avec l’association SOS Méditerranée. En huit mois, l’association avait accompli 33 sauvetages. Le 13 octobre 2016, son travail était couronné du Prix du Citoyen européen. www.sosmediterranee.fr
DEMANDEURS D'ASILE : DU YOGA POUR SOUFFLER
À Paris, à Lyon, dans les Hauts-defrance, en Occitanie, les 20 000 membres de la communauté Singa travaillent de manière « horizontale » auprès des réfugiés. L’année dernière, la communauté a logé plus de 300 d’entres-eux. Les actions de Singa consistent à mettre en relation des citoyens avec des demandeurs d’asile autour d’un intérêt ou d’une profession commune. Pendant ces périodes de transition délicates, le bien-être occupe une place de choix pour soulager le stress et la peur. « Les demandeurs d'asile traversent des situations de stress et de peur importantes dues à l’incertitude de leur situation. Pendant l’attente de leurs statuts, ils ne peuvent pas travailler, ce qui conduit à une perte de confiance en soi très destructrice, en plus de la peur d’être renvoyé dans leur pays d’origine. Lorsqu’ils obtiennent leurs statuts de réfugié, ils ont ensuite trois mois pour trouver un travail et un logement. Les cours de yoga et de Qi Gong leur permettent de souffler » explique Nathanaël Molle, cofondateur de Singa. Gratuits, les cours sont organisés par des membres de la communauté, mêlant les personnes du quartier aux demandeurs d'asile. « C’est un vrai outil de rencontre » ajoute le cofondateur. Toutes les personnes qui rejoignent le réseau sont formées à l’interculturalité. Durant le premier semestre 2017, une plateforme web sera mise en ligne pour faciliter les rencontres sur des centres d’intérêts précis dans son quartier, et favoriser ainsi l’intégration.