LES PERLES D'ANANDA
La lourde tâche de bien se porter
LE MINISTÈRE de la santé a organisé en juin 2019 un colloque intitulé « Interventions basées sur la pleine conscience, sciences, santé et société ». Parmi les invités figurait l'association « Initiative Mindfulness », dont l'objet est de sensibiliser les pouvoirs publics aux bienfaits de la pratique de la méditation de pleine conscience dans divers domaines comme la rechute dépressive, la récidive criminelle, les résultats scolaires des enfants et l'épuisement professionne1. Si l'intérêt des décideurs publiques pour les questions de la santé et du bien-être mental et son engouement croissant pour la « ressource méditation» peut réjouir, il doit aussi être interrogé.
On sait depuis Michel Foucault que la « santé » n'a jamais été seulement un fait biologique mais aussi une construction culturelle. Chaque société développe une idée de la « bonne santé » en dessinant les contours du « profil normal » de ses individus. Dans les sociétés contemporaines, la santé se définit par la performance, la maîtrise de soi et l'épanouissement personnel : l'individu sain est responsable de maximiser ses compétences, d'améliorer sa réussite sociale et de développer sa qualité de vie et sa santé. Dans ce contexte, méditer peut s'avérer une technique efficace pour capitaliser sur sa propre santé. Utilisée afin de restaurer l'humeur ou augmenter sa capacité de concentration, elle peut aider à améliorer son taux d'employabilité ou sa carrière. Mais être sommés de se dépasser en permanence génère un dangereux état de détresse issu du sentiment de ne pas être à la hauteur de l'injonction à « devenir soi-même » et à se dépasser en permanence.
Vladimir Jankélévitch
La pratique de la méditation risque d'être orientée et instrumentalisée en fonction des besoins du marché.
Il est alors opportun de contrecarrer cette tendance au moyen d'une réflexion critique sur les causes individuelles et collectives de la souffrance. Méditer peut servir à vivre en bonne entente avec ses limites inévitables et nécessaires, à combattre l'uniformisation des vies mentales et à affirmer pleinement son autonomie face aux institutions. Plaidons donc pour la méditation comme moyen de se réconcilier avec le caractère incarné de l'existence, de retisser le lien social et de nouer un vrai engagement avec le réel et avec le monde.
« Il n'est rien de si précieux que ce temps de notre vie, cette matinée infinitésimale, cette fine pointe imperceptible dans le firmament de l'éternité, ce minuscule printemps qui ne sera qu'une fois, et puis jamais plus »