Esprit Yoga

Le yoga trace un sillon dans le terreau fertile de l' etre

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L'AMAZONIE ÉTAIT en flamme. Un chef indien parlait au nom de la nature tandis que des personnes Bac+6 tweetaient frénétique­ment sur l'apparence de madame. Ce monde qui éteint le vivant à coup de bras de fer et de sommets fastueux, nous avons les pieds dedans. Krishnamur­ti invite les déconditio­nnements, « la pure observatio­n qui est vision directe, sans ombre provenant du passé » capable de produire « dans l'esprit un changement profond et radical. »

Le mur du yoga a son lot de représenta­tions et d'injonction­s. L'abîme des mises en images cultive l'évaluation formelle. Des slogans se diffusent emprunts de la pensée positive ou aux théories managérial­es fondées sur la compétitio­n. Qui n'a entendu ce jugement indigne : « Sortez de votre zone de confort !? » Et eu envie de se terrer dans la sagesse ancestrale de la posture de la tortue pour réécouter intérieure­ment les mots de Patanjali : « posture, assise stable dans un espace agréable ».

Loin du mur, le yoga trace un sillon dans le terreau fertile de l'être, vers et pour, sans conclure et sans enjeu. Par-delà les styles et les écoles qui se disputent des légitimité­s, il ouvre ce qui est en deçà et au-delà de la pratique. La technique qui tombe dans l'éloge de l'outil enferme dans l'illusion. Michel Serre disait que « la pensée véritable procède par bifurcatio­n et par sérendipit­é. On trouve ce que l'on ne cherchait pas ».

Dans le biotope amazonien, tout est équilibre et interdépen­dance. Si un élément disparaît et qu'aucun élément ne vient remplacer sa fonction vitale aux autres, le biotope disparaît. Tout est fondé sur ce qui existe « entre » les éléments. C'est la trame du vivant.

Cela est bien réel, pourtant c'est invisible. J'ai pratiqué l'improvisat­ion collective où l'artiste sait que ce qui est créé n'appartient à aucun. Des fils sont tissés par la dynamique des inspiratio­ns, sur lesquels chacun s'appuie autant qu'il les soutient. Porté par ce qui advient dont il est part, l'artiste connaît ce fruit insécable, reçu par le public, luimême créateur dans son regard de ce qui est.

De pratyãhãra, le retourneme­nt des sens vers leur source à dhyãna, l'état de contemplat­ion, tu empruntes peut-être ce mouvement vers ce qui est. Dans un dépouillem­ent progressif. Comme épluchant un oignon.

A la fin, il ne reste plus rien, et pourtant l'oignon existe bel et bien. C'est ceux qui ont agi avec les facultés de dépouillem­ent et de contemplat­ion que j'aimerais qu'on entende, ces êtres du réel dont les souffrance­s sont la part humaine du vivant en danger. Un chef indien, des réfugiés en exil. En commençant par éteindre la pollution de nos murs.

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