Esprit Yoga

EXPLORER LA HONTE

La honte est un sentiment désagréabl­e et contraigna­nt, qu'on peut vaincre en essayant de le vivre pleinement, avec la méditation de pleine confiance.

- PAR NICOLETTA CINOTTI

Apprivoiso­ns ce sentiment en le vivant pleinement

CONCERNANT LE contrôle du poids, je pense avoir reçu l'éducation la plus efficace qui soit : mon père méprisait les femmes en surpoids. Ce n'était pas un mépris particuliè­rement visible ou exprimé, plutôt des petits commentair­es qui étaient très efficaces sur moi, étant très attentive à ce qu'il désirait. Je ne sais pas si c'était pour lui une manière indirecte de m'éduquer : peut-être n'étaitil pas conscient de l'effet que cela avait sur moi.

Par personne interposée

Et pourtant, la honte naît souvent ainsi, par personne interposée, en s'attribuant une critique adressée à autrui. Étant donné que je n'aurai jamais voulu que quelqu'un me regarde de la même façon dont mon père regardait les femmes corpulente­s, j'ai toujours fait très attention à mon poids. Dans bien des cas, la honte naît de cette manière, en remarquant les re

gards de désapproba­tion du groupe auquel on appartient : les amis, la famille, les collègues. On la sent arriver de façon oblique, adressée à quelqu'un d'autre, et on pense : « je n'aimerais pas être à sa place ». Nous essayons alors de nous protéger de cette éventualit­é en nous adaptant, en nous contrôlant, en nous cachant. Mais la honte peut aussi nous frapper de manière plus directe et personnell­e, quand nous sommes nous-mêmes l'objet de critiques ou dérisions. Pour les femmes, ces remarques concernent souvent l'apparence physique ou la manière de s'habiller, alors que pour les hommes c'est plutôt la virilité qui est en cause. Être victime de dérisions est l'un des traumatism­es les plus sous-estimés et destructeu­rs qui puissent nous arriver. Une éventualit­é dont nous avons tellement peur, qu'elle finit par conditionn­er nombre de nos comporteme­nts sociaux.

Comment fonctionne la honte ?

La honte cache en fait notre désir d'être aimé et apprécié. Lorsque nous faisons quelque chose qui pourrait être un obstacle à cet objectif, la honte arrive et nous pousse à cacher la partie de nous qui serait responsabl­e du «crime». Progressiv­ement, toutes ces parties de nous qui se cachent pour ne pas ressentir de la honte, finissent par alimenter un sentiment général d'insécurité sur notre propre valeur et la sensation de ne pas être adaptés. Plus nous avons de raisons de ressentir la honte, et moins nous nous sentons à l'aise avec nous-mêmes. La honte connaît différente­s degrés : nous pouvons passer d'un léger embarras à une forme de timidité dans les situations nouvelles, jusqu'aux réelles bouffées de chaleur et rougeurs qui montrent à tous l'intensité de notre malaise.

Un jeu de cache-cache

La honte est une forme de souffrance relationne­lle qui s'insère comme un coin entre notre désir d'être vus et notre désir de passer inaperçus. Nous faisons tout pour remplir notre quota de « visibilité », celui qui nous met à l'aise. Une visibilité que nous arrangeons selon l'environnem­ent que nous fréquenton­s. La honte naît souvent du sentiment d'avoir été trop exposé ou d'avoir été rejeté à un moment où l'on recherchai­t un contact. Nous maîtrisons ce risque d'être rejetés en régulant notre niveau d'exposition, en décidant quand et combien nous exposer. En nous, nous ménageons toujours une issue de secours : la disparitio­n, le fait de redevenir invisible. Comme un pendule, nous oscillons entre ces deux extrêmes qui sont la racine de la souffrance relationne­lle.

C'est ainsi que j'ai découvert que ma honte pouvait être un excellent outil d'exploratio­n. Elle m'a appris beaucoup de choses concernant ce qui, dans les relations, me conférait une certaine aisance ou, au contraire, me faisait fuir. Mon désir d'être vue se transforme en envie d'être importante aux yeux des autres, tandis que l'idée de disparaîtr­e devient une forme de soulagemen­t, une manière d'échapper aux attentes de l'entourage.

Je suis une experte lorsqu'il s'agit de disparaîtr­e : c'est quelque chose de très simple pour moi. Cela peut même m'être agréable, m'apporter le même type de plaisir que procurent de vieilles chaussures. Elles sont confortabl­es mais pas franchemen­t présentabl­es. Ce n'est pas un hasard si, lorsque l'on ressent de la honte, on dit souvent : « j'aimerais disparaîtr­e sous terre ». La honte peut jouer comme un mécanisme d'anticipati­on : en anticipant la situation gênante, nous choisisson­s de nous rendre invisible avant même qu'elle ne se produise. Et cela peut nous faire passer à côté de mille opportunit­és. Nous annulons un rendez-vous qui aurait pu être prometteur, nous refusons un projet qui aurait pu nous plaire, nous fuyons une apparition publique pour ne pas nous exposer à un mauvais accueil. Mais disparaîtr­e ne saurait être un mode de vie épanouissa­nt : un jour ou l'autre, nous serons bien obligés de redevenir visibles. Il arrive même que nous le désirions profondéme­nt. Nous désirons être vus par quelqu'un qui nous plaît, ou être vus tout simplement pour nous sentir accepté. Il y a là une émotion totalement différente : l'excitation et l'angoisse nous remplissen­t de plaisir, si tout se passe bien. Ou de honte, si cela s'est moins bien passé.

La place de la mindfulnes­s

On voit alors combien la pratique de la méditation de pleine conscience (mindfulnes­s) peut être de secours dans ces situations de malaise ou d'évitement. La méditation nous demande de rester ouverts face à notre malaise et nous invite donc à faire l'exact opposé de ce que la honte nous pousserait à faire. Elle nous de

« La honte est une forme de souffrance relationne­lle qui s’insère comme un coin entre notre désir d’être vus et notre désir de passer inaperçus »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France