VOYAGE
Areva Yoga Festival
Une rencontre par-delà les frontières physiques et culturelles
Le yoga est paix, ouverture, tolérance. Ces mots ont encore plus de sens dans une terre de conflits et de tensions. En plein désert du Néguev, deux visionnaires ont créé Arava, un festival de yoga ouvert à tous. Notre journaliste a participé à la dernière édition, en novembre dernier.
C'EST UNE expérience magique vécue par des centaines de courageux, prêts à endurer un long voyage. Car de n'importe où, la vallée de l'arava est loin. C'est la partie orientale du désert du Néguev, au sud d'israël. Mais le voyage vaut largement le détour, à commencer par la route, enchevêtrements de lacets qui montent et descendent au milieu des rochers. Le Néguev, ce n'est pas moins de 13 000 km2 (soit 60 % du territoire israélien !) de dunes ocre et de canyons blonds. Les strates de terre rappellent qu'autrefois ce paysage était en partie sous les eaux. On distingue la Jordanie à l'est et l'egypte à l'ouest. C'est à ce carrefour, au décor lunaire, que deux locaux, amoureux de leur région, ont décidé il y a 10 ans d'organiser le plus grand festival de yoga du Moyen-orient.
Cette année, plus de 1 200 yogis ont répondu à l'appel du Festival Arava, qui a eu lieu du 31 octobre au 2 novembre. Certains sont venus en 4x4, d'autres ont fait du stop et trimballent leur tente sur le dos. « Pendant 4 jours, et sur plus de 200 km, une quarantaine d'ateliers est organisée », précise Shradha, l'un des organisateurs. Après l'inscription, et selon les informations fournies, le programme propose le professeur et le moshav (village agricole) dans lequel le yogi restera jusqu'à la fin du séjour. « Il y a des maîtres de yoga venus de l'étranger ainsi que des professeurs locaux », explique l'organisateur. Les cours sont donnés en anglais et en hébreu.
Terre de feu
La vallée de l'arava est un lieu unique, surtout si l'on souhaite se reconnecter avec la nature. Les levers et couchers de soleil sont à couper le souffle. « Le désert est l'endroit parfait pour faire du yoga. On est au calme, loin des villes, c'est spacieux, encore sauvage et on lâche prise plus facilement », explique Yoav Shamash, professeur de Vijnana (une forme de yoga centrée sur la méditation) à Tel Aviv-jaffa. Claire, parisienne de 29 ans, a atterri sur cette terre de feu un peu par hasard. « J'ai réservé mes vacances en Israël il y a un mois et lorsque j'ai vu qu'il y avait ce festival, je me suis dit pourquoi pas. C'est évidemment le yoga qui a attiré mon attention mais je suis tellement contente d'avoir découvert ces lieux magiques. »
La séance géante au mont Timna
Après les cours du matin, tous les yogis sont transportés par navette au parc Timna, pas loin d'eilat. Au milieu du parc, le mont Timna qui culmine à 453 m au-dessus de la vallée et un peu partout des formations géologiques majestueuses sculptées par l'érosion. Parmi elles, celles que l'on appelle les Piliers du Roi Salomon. C'est devant ce lieu chargé d'histoire que tous les participants se réunissent. Vêtu de blanc, chacun déplie son tapis pour une séance de grande envergure qui va marquer le début du shabbat. Elle est dirigée par l'australien Simon Borg Olivier, (le créateur du Synergy Yoga). Shradha, ne cache pas sa fierté. « Vous n'avez rien vu jusqu'à ce que vous ayez vu au moins 500 yogis en blanc sous d'énormes roches. » Des centaines de bras ondulent dans les airs sur des effets sonores indéfinissables. Des dizaines de spots cachés dans les roches donnent vie aux ombres alors que le soleil commence sa descente. Cette fois, c'est sûr, nous sommes sur une autre planète. À la fin de la séance, il fait nuit noire et la température baisse rapidement. Un immense buffet est prêt à accueillir les participants, une belle queue se forme devant les plats XXL et les longues tablées se remplissent. C'est le moment idéal pour faire connaissance, en hébreu, en russe, en anglais et en français. Sur la scène, les musiciens s'installent.
Musique et rencontres
Shrada n'est jamais très loin, « pour animer la soirée, nous aimons bien faire appel à des gens dont les pays ne sont pas les meilleurs amis d'israël comme les Turcs, les Palestiniens ou les Jordaniens. Le yoga représente l'unité, et je suis persuadé que pratiquer le yoga
sur des musiques qui unissent les coeurs peut changer le monde. » Le groupe Anna RF, dont le nom est composé d'hébreu et d'arabe, propose une musique orientale fusion, de l'electro Ethnic Reggae. « Nous avons beaucoup de fans turcs et nous donnons régulièrement des concerts là-bas, explique Ofir, le chanteur. La musique, c'est comme le yoga, ça n'a pas de frontière. » Le groupe enchaîne les morceaux aux sonorités arabisantes, qui résonnent d'autant plus sur cette terre de traditions bédouines. Et la magie opère. Le public se déchaîne mélangeant des mouvements de yoga à la danse du ventre. D'ailleurs, une danseuse professionnelle, Yeliz, née à Ankara, vient de faire son apparition sur un titre en arabe.
Un pas en avant, deux pas en arrière
Anna RF tente de militer pour la paix et le rapprochement des peuples. Mais parfois, et d'autant plus dans des pays traditionnalistes, c'est souvent un pas en avant, deux pas en arrière. Yoav, le professeur à Tel Aviv-jaffa l'a expérimenté. « Il y a quelques temps, j'enseignais dans les Territoires palestiniens, à Bethléem, avec des professeurs palestiniens. Tout cela était encore possible, mais aujourd'hui, en tant que Juif, c'est devenu trop risqué. J'enseigne uniquement à Jaffa, (ville arabe avant l'exode de la population en 1949 qui a su préserver son caractère
oriental) donc il y a des Juifs et des Arabes qui pratiquent le yoga ensemble et tout se passe bien. » Mais Yoav garde les pieds sur terre et se rend bien compte que le yoga a ses limites : « c'est beaucoup trop arrogant de penser qu'au nom de la paix, il suffit de faire du yoga, des « Aum » et c'est tout. C'est évidemment plus compliqué. Tendre la main est déjà un premier pas. Si tout le monde faisait ce geste... ».
Vers minuit, chacun regagne son logis le coeur un peu plus léger. Yoga Arava fut, cette année encore, un succès. Incontestablement, ce festival fait du bien. Dans un monde où la haine et la violence gagnent du terrain, il est bon de vivre, ne serait-ce que l'espace de trois jours, une expérience de tolérance, d'ouverture d'esprit, de bienveillance et de respect.