PATANJALI
La vie entourée de mystère du codificateur du yoga moderne.
La vie mystérieuse du père du yoga moderne
QUAND ON cherche à approfondir un tant soit peu sa pratique du yoga, la lecture des Yoga-sutra de Patanjali est une étape incontournable. C'est souvent le premier texte de la tradition qu'on a envie de lire et ses aphorismes sont enseignés dans toutes les formations de yoga. Pourtant ce texte ne manque pas de mystère. À commencer par sa datation. Selon les sources et les experts, ce recueil de 195 brèves paragraphes (ou sutras) serait apparu entre le IIE siècle av. J.-C et le Ve siècle ap. J.-C : une fourchette de 700 ans ! Et il est bien possible que le texte final ne soit en réalité qu'une codification de fragments ou de textes encore plus anciens, souvent issus de la tradition orale.
Homme ou mythe
Les légendes mettant en scène la figure de Patanjali sont innombrables, et sa biographie est clairement empreinte de mythologie. L'iconographie la plus répandue le représente mi-homme, mi-reptile, son buste humain émergeant des spirales d'un puissant serpent. En effet, une légende le présente comme la réincarnation d'adisesa, serpent à mille têtes, sur lequel repose allongé le dieu Vishnu. Le corps de Patanjali est enveloppé dans trois anneaux et demi qui symbolisent l'énergie non-manifeste, la Kundalini, dont nous ne réalisons pas l'existence jusqu'au jour où celle-ci se réveille.
Toujours dans l'iconographie traditionnelle, Patanjali possède quatre bras et quatre mains. Deux mains sont jointes devant la poitrine, en namasté, geste de salutation mais également de bénédiction envers les nombreux disciples qui se tournent vers lui et qui souhaitent approfondir l'étude du yoga et de ses enseignements. Par ce geste, le sage les rassure, car tous leurs efforts porteront leurs fruits, spirituellement parlant. Les deux autres mains sont dirigées vers le haut : l'une tient Shankha, emblème de Vishnu, le coquillage qui incarne l'énergie du son sacré Om, tandis que l'autre tient un disque, Kalachakra, qui symbolise à la fois la loi de cause à effet et la fugacité de la Roue du Temps, qui tourne inexorablement.
La naissance légendaire de Patanjali
La légende raconte qu'un jour, alors qu'il était allongé sur son serpent Adisesa, Vishnu fut tant absorbé par la danse extatique que Shiva exécutait sous ses yeux que son corps commença à vibrer très intensément, devenant de plus en plus lourd et écrasant le serpent, jusqu'à lui couper le souffle. Une fois la danse de Shiva terminée, le corps de Vishnu revint à sa légèreté originelle. Adisesa manifesta alors la volonté d'apprendre cette même danse, afin d'apporter inspiration et émotion à son seigneur. Frappé par tant d'ardeur, Vishnu émit une prédiction : le dieu Shiva récompenserait le Serpent pour tant de dévotion, en l'autorisant à se réincarner en être humain, qui enseignerait aux hommes l'art de la danse et du yoga.
Adisesa se mit alors à méditer afin de trouver la femme pouvant être sa mère. Soudainement, l'image d'une yogini, ascète au coeur pur, lui apparut et il comprit que cette femme serait la mère qu'il cherchait. Son nom était Gonika, une vierge dévouée au yoga, qui désirait ardemment avoir un fils auquel révéler et transmettre la connaissance de cette pratique antique et précieuse. Elle se mit à prier le soleil — manifestation de la lumière et de la présence divine sur terre — de lui accorder un fils. Gonika offrit à l'astre brillant de l'eau de source, le seul présent qu'elle, humble et pauvre, avait pu trouver. L'eau était gardée dans ses paumes rapprochées, dans un geste proche d'anjali Mudra. Plongée dans une profonde méditation, à peine eutelle ouvert les yeux qu'elle vit un petit serpent entre ses mains, réincarnation d'adisesa. Ce serpenteau se transforma immédiatement en être humain, puis s'inclina devant elle en la priant de l'accepter comme fils. Gonika le nomma Patanjali — Pata signifiant « tombé » et Anjali rappelant le mudra des mains en salutation.
La vie de Patanjali
À partir d'un tel mythe d'origine, Patanjali était forcément destiné à une vie extraordinaire. Il fut ce que l'on appellerait aujourd'hui un enfant prodige. Dès sa plus tendre enfance, il philosophait avec les sages (rishis) et les voyants. Non seulement, il savait discuter de philosophie, de grammaire, d'ayurveda et de musique, mais aussi il était capable de révéler des secrets antiques et prédire avec précision le futur. Son esprit était si vif et puissant, sa parole et sa vision si intenses, que lorsque des importuns osèrent le déranger lors de ses pénitences religieuses en se moquant de lui, ils se retrouvèrent subitement réduits en cendres par le feu de sa parole et de son regard. Un parfum de légende entoure également son mariage : un jour qu'il méditait en marchant près du sommet du mont Meru — la montagne céleste centre de l'univers — il découvrit, cachée dans la cavité d'un tronc d'arbre, une délicieuse et charmante jeune fille, une yogini prénommée Lolupa. Foudroyé par la beauté de cette dernière, il fut instantanément marié à elle. Les époux vécurent une heureuse et longue union.
Ses oeuvres
L'incertitude plane également sur la paternité de ses oeuvres. On est à peu près certain qu'il fut un grand danseur : encore aujourd'hui, les danseurs de la tradition classique indienne l'invoquent et lui rendent hommage, le considérant comme la figure tutélaire de la danse. En plus des Yoga-sutra, certains chercheurs lui attribuent également la création d'un traité de médecine ayurvédique, dans lequel il diagnostique les maladies, décrit la structure et les fonctions du corps humain, explique comment maintenir un corps en bonne santé grâce aux herbes officinales et décrit la préparation des remèdes. D'autres lui attribuent l'écriture d'un Grand Commentaire de la grammaire de Panini. Celleci marque conventionnellement la fin du sanskrit védique et le début du sanskrit classique. Non seulement Patanjali en écrivit-il le commentaire, mais redéfinit-il les règles du sanskrit, en élargissant son vocabulaire et en donnant à cette langue, mère de toutes les langues européennes, une puissance expressive qu'elle n'avait jamais eue auparavant. Il en fit un instrument plus fin et précis, capable d'exprimer chaque aspect de notre existence et de la pensée humaine.
En absence de sources documentaires plus précises, nous ne pouvons pas être tout à fait sûrs que Patanjali ait été un danseur hors pair, un expert en ayurveda, un grammairien et un linguiste exceptionnel. Mais peu importe. Pour les pratiquants de yoga contemporains que nous sommes, ce qui compte vraiment est que Patanjali a laissé en héritage un don de valeur inestimable : un précieux guide pratique pour chercher la paix intérieure et poursuivre l'accomplissement spirituel. La philosophie du yoga codifiée par Patanjali dans les Yoga-sutra s'est avérée intemporelle et moderne à la fois. Elle parle si clairement et si puissamment à la conscience humaine qu'elle a traversé, pendant deux mille ans, toutes les époques et les cultures.