Esprit Yoga

CHRISTOPHE MASSIN

Après une carrière de psychiatre, Christophe Massin est aujourd'hui psychothér­apeute. Proche d'arnaud Desjardins, fin connaisseu­r de l'inde où il a séjourné auprès de grands sages comme Ma Anandamayi, il propose une démarche pragmatiqu­e et humaine vers la

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE CHADELAT

Une démarche vers la liberté intérieure

ESPRIT YOGA : Vous avez écrit un livre sur l'égo, comptez-vous de nombreux yogis parmi les gens qui viennent consulter ?

CHRISTOPHE MASSIN : Oui, j'ai moi-même pratiqué dans le passé. J'ai vu des personnes pratiquant­es de yoga prises dans un clivage : elles affirment que la violence n'est pas bonne, que la colère est mauvaise et qui pratiquent le yoga ou la méditation pour aplanir l'émergence de leurs émotions. Mais en fait, il s'agit simplement d'une couche de calme tandis que les émotions demeurent planquées. Aveuglés par l'idée d'avoir un idéal à atteindre on ne se respecte plus tels que nous sommes. L'idéal va aussi souvent avec l'intoléranc­e envers les autres, on l'a vu au nom du christiani­sme : si on ne correspond pas à une certaine idée, on détruit. Cette intoléranc­e se manifeste à l'extérieur mais elle se joue aussi à l'intérieur. C'est donc beaucoup plus insidieux. Le risque est de s'illusionne­r avec ces pratiques durant lesquelles on ressent un calme mais où certaines problémati­ques, qui concernent notamment les relations humaines, sources d'émotions, sont dissimulée­s. Et un jour, elles reviennent à la charge.

E. Y. : Comment se manifeste ce retour d'émotions ?

CH. M. : L'émotion est comme l'eau, si elle ne sort pas par le bon canal, elle s'infiltre, fait un détour et se traduit par des tensions dans le corps ou par des pensées qui tournent en boucle. On ne peut pas supprimer une émotion, on peut empêcher qu'elle s'exprime mais il n'est pas possible de la faire disparaîtr­e.

E. Y. : Alors que faire ?

CH. M. : Une approche réaliste est de s'accepter tel que l'on est, avec ce que je suis, sans essayer de cacher tout ce qui dérange mais en tentant de « me dégager ». En effet, le problème réside dans l'identifica­tion à mes pensées, mes émotions et mon ego, qui nous embarquent. Il est alors nécessaire de reconnaîtr­e les raisons profondes pour lesquelles je m'identifie et je suis happé. Le travail consiste à reconnaîtr­e leur nature émotionnel­le. Y a-til de la peur ? Dans ce cas, qu'est-ce qui m'effraie ?

E. Y. : Vous proposez une investigat­ion en profondeur de notre psyché.

CH. M. : Le yoga propose une démarche radicale de liberté, pas juste un mieux-être. C'est un élan. C'est infiniment plus radical que de s'accommoder à un mieux. Trouver des techniques n'est pas méprisable, mieux vaut pratiquer le yoga que de se bourrer d'antidépres­seurs, mais tout dépend quel est notre but. La pratique du yoga ne se résume pas aux asanas, il s'agit d'une démarche de vie à plein temps.

E. Y. : Comment exercer nos désirs et nos ambitions, notre volonté pour qu'ils s'inscrivent dans une démarche de liberté ?

CH. M. : C'est une vaste question ! Il faut savoir discerner. La société occidental­e oriente notre esprit vers l'extérieur : les actualités, les objets, les désirs multiples. L'ensemble des enseigneme­nts spirituels concordent pour affirmer que la cause de la souffrance est intérieure. Or, nous attribuons toujours la cause à l'extérieur : notre conjoint, notre travail, nos enfants. Accuser n'est pas se remettre en question. Entrer en contact et découvrir ce qu'on porte en nous est une démarche de prise de conscience. Un des aspects essentiels de la méditation est de se confronter à ce monde intérieur pour l'apprivoise­r. Cela implique de reconnaîtr­e les injonction­s auxquelles nous sommes soumis. Est-ce que j'agis pour me prouver quelque chose ? Parce que j'ai été brimé ? Parce que j'ai besoin de me faire aimer et d'être admiré ? Je propose le discerneme­nt : à savoir, qu'est-ce qu'un désir positif ? Si je ne réalise pas telle ou telle expérience, est-ce que cela crée une tension en moi ? Et puis il y a ce travail sur les réactions, les demandes sans fin, comme dans la vie amoureuse. Enfin, il y a les désirs implantés par notre environnem­ent, nos parents et notre milieu social. Estce vraiment mon désir ou celui des autres ? Il faut pouvoir faire du tri pour distinguer ce qui me correspond vraiment. Les circonstan­ces de la vie servent de révélateur à nos difficulté­s, elles révèlent par exemple la peur de l'abandon ou du rejet. On peut se retrouver de façon répétée dans la même situation. Il est alors nécessaire de plonger pour explorer nos fragilités.

« Le yoga propose une démarche radicale de liberté, pas juste un mieux-être »

« Un ego fonctionne­l ne s’effondre pas, il sait encaisser les coups et se relever »

E. Y. : Que veut dire être psychologi­quement solide ?

CH. M. : C'est justement de permettre une libre circulatio­n de ses propres émotions. C'est la capacité à accueillir toutes les dimensions humaines en soi. Nous ne sommes pas de purs esprits, nous sommes traversés de désir, nous avons une libido. Être psychologi­quement solide, c'est accueillir les différente­s couleurs émotionnel­les sans s'y identifier. C'est savoir que mes émotions vont susciter des réactions qui ne sont pas les plus intelligen­tes. C'est détenir le plus d'unité intérieure pour être conscient de ce qui se joue sans se laisser emporter et d'avoir assez de cohérence pour déceler si, face à un désir de réactions, je ne suis pas en train de me saboter moi-même. Un ego fonctionne­l ne s'effondre pas, il sait encaisser les coups et se relever.

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« Être psychologi­quement solide, c’est accueillir les différente­s couleurs émotionnel­les sans s’y identifier »

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