TAPIS & DÉPENDANCES
Yoga : un peu, beaucoup, à la folie ?
J'ADORE PARTICULIÈREMENT qu'on m'offre du miel. En plus du plaisir gustatif qu'il procure, je le trouve riche. À chaque fois qu'on m'en offre, il y a une histoire de terroir derrière. La personne qui m'offre le pot ne manque jamais de me parler de la provenance et de sa relation intime avec ce lieu. Dernièrement, c'est avec une onctueuse merveille de la Sainte-baume qu'on m'a gâtée. Au hasard de la conversation, j'ai appris que le domaine de la Sainte-baume était une forêt sacrée pour les druides. Ça a fait frissonner mon imaginaire quand on m'a offert du miel issu des plantes de cette forêt ! La forêt, le miel, le lien. Quand on m'offre du miel, j'ai cette sensation qu'on me nourrit de liens. On m'a appris qu'en ayurveda, le miel est ce qu'on appellerait ici un super-aliment. Pourtant il peut devenir nocif. À haute température, la composition du miel changerait et, quand on ingère ce miel transformé, on favorise l'accumulation de toxines dans les intestins.
Je me suis fait cette réflexion : c'est un peu ce qui se passe avec le yoga. En état de surchauffe, le nectar devient poison. Je connais de pratiquants qui prennent plusieurs cours de yoga par jour, tous les jours. J'ai aussi vu, lors de stages intensifs, des personnes enchaîner des postures de yoga pendant les temps de pause. La frontière entre passion et excès peut être floue. Dans les retraites de yoga que j'ai animées, j'ai observé l'état d'épuisement et parfois d'agressivité de quelques participants. Pour eux, « faire du yoga » pendant les vacances est un enjeu, celui de rendre une brève semaine de relâche plus efficace, avant de retourner dans l'arène.
Mais comment savoir à quel moment « on en fait trop » ? Les blessures corporelles sont un signe évident. Un peu d'introspection peut aussi aider : dans tout ce temps passé à « faire du yoga », prend-on de la distance avec le quotidien pour s'éviter à soi-même ou pour se faire face ? Je pense que les « accros » au yoga font l'expérience des deux, dans des proportions variables. Quand le déni l'emporte sur la prise de conscience, la température est trop élevée. Pour baisser d'un cran le thermostat, je propose qu'on bannisse du yoga une question courante : « Combien de séances par semaine dois-je faire pour en ressentir les effets ? » Cette question est sans doute celle qui a mis le feu aux marmites. Par souci de bien faire, on s'astreint à faire plus, au point de se sentir « pas à la hauteur » si on rate sa troisième séance hebdomadaire ou si on ne trouve pas un cours de yoga à suivre pendant qu'on est aux sports d'hiver. Eva Ruchpaul nous rappelle l'importance de faire de sa séance de yoga, un moment rare et de l'envisager comme si c'était la première et la dernière. Rendre au yoga son caractère précieux, c'est garder le nectar intact.