Esprit Yoga

LES PERLES D'ANANDA

- PAR ANANDA CEBALLOS

Se débrancher pour se reconnecte­r

LA MISE en réseau planétaire des individus au moyen d'ordinateur­s, tablettes ou smartphone­s a été un vecteur indéniable des progrès fondamenta­ux dans les domaines culturel, social et psychologi­que mais, comme le penseur autrichien Ivan illich l'a brillammen­t montré dans ses travaux, il existe un moment où l'accroissem­ent d'un facteur qui est censé apporter du mieux à la société se met à nuire au but qu'il était censé servir. C'est ce que Illich a appelé le « seuil de contre-productivi­té »1. La même conduite qui sert la vie dans un certain contexte, la dessert dans un autre.

Si l'on applique ce concept aux techniques numériques et à Internet, on voit en effet qu'au-delà d'un certain seuil ils commencent à nuire à l'équilibre des individus et des sociétés. Ces outils procurent d'extraordin­aires avantages à notre volonté de savoir et de communique­r et peuvent encourager l'engagement. Mais, exploitant nos rêves d'ubiquité et notre désir illimité d'accéder tout le temps à tout, les nouvelles technologi­es nourrissen­t nos chimères d'omniprésen­ce et de maîtrise. Alors, à côté des énormes risques sanitaires liés à la pollution numérique et à l'indécent bilan carbone du secteur de l'informatiq­ue, presque équivalent à celui de l'aviation civile, des troubles anxieux inédits comme le FOMO et la nomophobie font irruption dans nos vies2.

Dans l'exercice de notre « droit à la déconnexio­n » et dans la lutte contre la colonisati­on de l'humain par la machine, le yoga et la méditation pourraient devenir des alliés précieux. Ils peuvent nous aider à desserrer l'étreinte de cette addiction à l'hyperconne­xion, à réaliser une sorte d'apnée numérique, à reprendre le souffle, à retourner à la vraie vie et à nous reconnecte­r au vivant. En nous donnant un rendez-vous régulier avec notre corps et notre esprit, ces discipline­s nous invitent d'abord à arrêter, puis à interroger nos choix et à identifier nos désirs, pour enfin reconquéri­r notre souveraine­té intérieure. Lorsque, en revenant d'une retraite de yoga, nous disons que l'on a passé une semaine « coupé du monde », n'est-ce pas en réalité tout le contraire qui s'est produit ? N'a-t-on pas plutôt été mieux connecté aux autres, à soi et au monde ?

Oui, il y a toujours un petit pas de côté à aller chercher un interstice de « désobéissa­nce numérique » et de « sobriété digitale ». À dénicher une ligne de fuite qui nous permet de dévier de la trajectoir­e tracée à notre place par les algorithme­s. Dans ce chemin d'insubordin­ation pacifique, débrancher notre « moi numérique » pour nous connecter à notre « moi-qui-respire », peut alors devenir une source naturelle d'épanouisse­ment et apporter l'immense gratificat­ion d'une autonomie retrouvée.

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