YOGAÏA
Pour une pratique « décroissante »
JE PENSE que vous conviendrez avec moi que nous vivons une époque anxiogène faite de crises sociales, d'exploitation effrénée de ressources, avec une perte de repères, dans un climat planétaire en surchauffe ponctué de catastrophes climatiques. De quoi parfois baisser les bras ou faire l'autruche, confrontés à notre impuissance. Impuissants? Pas vraiment ! Le yoga nous donne les clefs de transformation pour nous engager dans des actions plus conscientes et plus justes à l'égard de l'ensemble du vivant.
Quel rapport entre réchauffement climatique et adho mukha svanasana, me direz-vous ? Pas besoin d'être des maîtres yogis pour réaliser que le yoga nous façonne bien au-delà du corporel. J'entends de nombreux pratiquants dire que le yoga a « changé leur vie ». Au-delà des postures, le yoga entraîne de profonds changements et nous invite à revisiter notre manière d'être au monde. Aussi, il nous fait ressentir intimement la vérité ultime de l'écologie, c'est-à-dire l'interdépendance entre tout le vivant. Pour un pratiquant de yoga, concevoir la planète comme un tout vivant et interconnecté est une évidence.
Pour que la terre soit encore là pour nos enfants et leurs enfants, de nombreux économistes en appellent les Etats à adopter des politiques économiques de décroissance. Ils partent d'un constat qui me paraît de bon sens, à savoir qu'il est tout simplement impossible de poursuivre une croissance infinie, qui implique une destruction croissante de ressources naturelles dans une planète où ces ressources sont par définition limitées. L'option de la décroissance prône le primat de la qualité sur la quantité, du bien-être sur la performance, du bonheur sur la réussite matérielle. Tout cela vous paraît-il familier ? Personnellement j'y vois un parallèle évident avec les valeurs et la voie du yoga.
Le yoga nous invite à la sobriété, à la compassion, à l'action consciente, au non-asservissement du vivant, dans les petits gestes comme dans les grands choix. Bref, entrer en communion avec le monde plutôt que le consommer ! Pour moi il ne s'agit pas non plus de poursuivre une impossible et même non souhaitable vie d'ascèse, mais tout simplement d'aligner mes actes envers l'environnement avec les valeurs yogiques qui me sont chères.
J'utilise alors ma pratique comme un moment d'entraînement pour déconstruire mes réflexes bien ancrés de performance, de toujours plus. Oser Dandasana plutôt que Pincha Mayurasana, Balasana plutôt que Chaturanga ! En m'exerçant à me défaire sur le tapis de mes envies de comparaison, de compétition, d'accumulation, je peux me libérer de leur emprise dans mes choix et comportements envers l'environnement. Abandonner la poursuite d'une impossible croissance infinie et choisir de respecter autant mes limites et mes ressources que celles de la planète.