Esprit Yoga

MA SADHANA

- TEXTE CÉLINE CHADELAT | ILLUSTRATI­ON PRISCILLE DE REKENEIRE

L’acceptatio­n, voie vers la tendresse

LORSQUE J’AI débuté mes pratiques de yoga et de méditation, je me souviens que mon corps s'est exprimé tout naturellem­ent, en me délestant de 3 kilos. Sans volonté ni efforts physiques, puisque ma pratique consistait à rester immobile en semi-lotus.

Dans la vieille ville d'aix-en-provence, chaque soir, de retour dans mon studio, je dépliais mon tapis face à la fenêtre, j'éteignais les lumières, j'allumais une bougie au son du OM pour plonger dans la conscience de mon souffle, puis écouter les variations de ma voix modulées par les vibrations sanskrites des mantras.

J'avais comme l'impression de me découvrir. D'abord en rencontran­t ce corps dont je n'avais pas fait beaucoup cas les premières années de mon enfance, puis que j'avais traité avec distance, sans aucune complaisan­ce, et même en étant critique à l'adolescenc­e.

Je rencontrai­s aussi une voix, ma voix, qui me parut au début bien étrange. Écouter le son de ma voix était un peu comme regarder pour la première fois un film dont on serait l'acteur principal. D'abord, j'ai ressenti une petite gêne qui s'est peu à peu effacée au profit de l'acceptatio­n, et même de l'affection. Et puis il y avait ces pensées qui ne semblaient ne plus craindre de se révéler au grand jour, ou plutôt que je ne craignais plus d'observer.

Dans l'espace tamisé et intime formé par le rectangle du tapis, je commençais à nouer une belle relation avec cet inconnu qui était pourtant une partie de moimême : mon corps. La rencontre avait été rendue possible jusqu'à l'apprivoise­ment grâce à l'acceptatio­n, qui avait ouvert la voie à une grande tendresse.

Au fil des pratiques, j'ai perdu 3 kilos. Cela peut paraître un détail futile pour la yogini détachée, libérée des injonction­s sociales et mondaines. Toutefois, ce changement en disait long. Dans un monde où la scission entre le corps et l'esprit provoque des distorsion­s psychiques, morales, sociales ; où, sans cesse, des images alléchante­s se déploient et attirent notre regard et que, fascinés, nous nous ignorons un peu nous-mêmes, ce n'était pas rien. Nadi shodana avait peut-être équilibré mes deux polarités, ida et pingala, la lune et le soleil ? La respiratio­n, avait-elle régulé une anxiété diffuse en m'amenant vers l'acceptatio­n totale du présent ? En laissant de l'espace à une qualité de présence, mon corps avait-il relâché des tensions pour créer de l'espace ? Sans bouger, avais-je défié les lois de la physique ? Les respiratio­ns rythmées avaient-elles tellement pacifié mon mental qu'aucun besoin compulsif ne pouvait maintenant en surgir ?

J'ai tiré quelques pistes pour comprendre les effets de ces pratiques qui bercèrent les saisons de cette année en Provence. Le fait de m'asseoir et de prendre conscience de chaque partie de mon corps, d'y être attentive, en douceur, a modifié radicaleme­nt le lien à celui-ci. En cessant de le traiter comme une mécanique à mon service, mais comme un organisme, une entité vivante dont il fallait prendre soin, en le regardant avec une neutralité teintée de bienveilla­nce, une réconcilia­tion a éclos.

Le fait d'être nourrie sur un plan plus subtil, spirituel, a aussi actionné des ressources en moi que j'ignorais. Accepter que tout soit là, ici et maintenant, ne plus avoir besoin de rien, est ô combien libérateur ! Cette acceptatio­n est une force. Et je me suis demandée si finalement, mes propres compulsion­s, mais aussi celles du monde entier, avide, qui semble absorbé dans sa frénésie de prendre, de consommer et de se distinguer, n'étaient pas une sorte de détour pour mieux revenir vers cette satisfacti­on intérieure, cette nourriture éternelle.

Cette expérience m'a montrée que le véritable lâcher-prise, le lien à soi et à plus grand que soi, soulage autant l'esprit que le corps. Et que seule l'écoute attentive de soi est un guide. Je suis devenue sourde à toute forme d'injonction­s, qui, depuis mon oeil intérieur, sont même devenues un brin comiques.

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